LA LETTRE DU 31 DÉCEMBRE
Mayotte : le jeu dangereux de Bayrou
par Roger Martelli
Sur l’archipel, le premier ministre relance le débat sur le droit du sol. Inopérant pour soulager Mayotte et désastreux pour la République.
François Bayrou est enfin parvenu à Mayotte. Il en profite pour distiller deux affirmations lourdes de conséquences. « Quiconque prétendrait qu’il n’y a pas de problème d’immigration brûlant à Mayotte est irresponsable », a-t-il commencé par déclarer. Dans la foulée, il est revenu sur une proposition faite par lui en 2007 de supprimer le droit du sol à Mayotte et en Guyane.
Tout son temps devrait se concentrer sur l’urgence du moment, le drame des bidonvilles qu’il ne visite pas, le désarroi et le découragement des populations qui se sentent abandonnées par la République. Il pourrait se dire que, pour bâtir des solutions concrètes, le devoir de l’État est de rassurer et d’apaiser : il choisit au contraire d’attiser les braises.
En abordant brutalement la question des migrations, il exacerbe le conflit déjà lourd avec les Comores voisines. En mettant en cause d’emblée le droit du sol, il fait un nouveau geste du côté de la droite extrême. Ce droit universel en France est déjà bien écorné à Mayotte par la loi sur l’asile et l’immigration de 2018 – en enfant né à Mayotte de parent étrangers ne peut acquérir la nationalité française que s’il démontre que l’un de ses parents était légalement sur le territoire national depuis au moins trois mois lors de sa naissance. Cela ne suffit pas et le propos de François Bayrou résonne explicitement avec celui de Bruno Retailleau, qui déclarait, au lendemain même du cyclone tragique, qu’il faudra « légiférer pour qu’à Mayotte, comme partout sur le territoire national, la France reprenne le contrôle de son immigration ».
« Comme partout sur le territoire national »… Alors que les phénomènes migratoires vont s’amplifier dans les décennies à venir, alors que s’impose à l’échelle planétaire la nécessité d’un traitement concerté et humain, alors qu’il s’agit d’abord d’accueillir et d’insérer, c’est la clôture que le gouvernement met à l’ordre du jour. Que chacun reste chez soi et que l’on préserve un entre-soi garanti par la naissance et la filiation : connaissez-vous plus irresponsable qu’une telle politique ?
Le chef du gouvernement fait les yeux doux à un électorat mahorais séduit massivement par le Rassemblement national. Il fait un clin d’œil appuyé à une extrême droite parlementaire qui peut empêcher son inéluctable censure. Ce faisant, il enferme la solution mahoraise dans le cadre strict de l’île. Or, quelles que soient les tensions diplomatiques avec les Comores, il n’y a pas d’avenir pensable pour Mayotte en dehors de l’archipel comorien. S’il faut avancer, ce n’est pas dans une logique de clôture et de tensions régionales, mais au contraire de fluidité partagée et donc assumée.
François Bayrou joue un jeu inefficace et dangereux à Mayotte même. Au-delà, il légitime un peu plus la pression exercée par le Rassemblement national. Et il ouvre en grand la boîte de Pandore. Au prétexte des « caractéristiques et contraintes particulières » reconnues aux territoires ultramarins, il enfonce un clou supplémentaire dans la conception historique du droit du sol.
Roger Martelli
SALE BLAGUE DU JOUR
Sophia Aram ne cherche plus tant à faire rire qu’à faire de la politique. Nouvelle illustration.
L’humoriste qui continue de se réclamer de gauche est au centre d’une polémique comme X (ex-Twitter) en raffole : elle a arabisé le nom du député insoumis Aymeric Caron qui défendait la dignité du peuple palestinien, pour dénoncer, selon elle, sa collusion avec les islamistes du Hamas. Un procédé d’extrême droite dont Alain Juppé avait déjà été la cible il a quelques années. Celle qui confond sa croisade islamophobe et sa détestation de LFI continue de s’éloigner dangereusement du républicanisme dont elle s’imagine pourtant le chantre.
P.P.-V.
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De réécouter les vœux d’Emmanuel Macron du 31 décembre 2023, avec cette clairvoyance : « 2024, année de la détermination, de l’efficacité des résultats. […] 2024 sera enfin l’année de nos fiertés françaises. […] Oui, 2024 sera, vous l’avez compris, un millésime français. […] 2024, année de détermination, de choix, de régénération, de fierté. Au fond, une année d’espérance. Oui, cette année, beaucoup de notre avenir se détermine. Alors, à nous de faire ensemble. A nous de choisir plutôt que de subir, à nous de tracer la route plutôt que de suivre. » Visionnaire !
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