LA LETTRE DU 3 DÉCEMBRE
Ci-gît 2024
Victoire du RN aux européennes, dissolution, absence de majorité puis enfin censure du gouvernement. Analyse d’une crise profonde.
Cette fois, les dés en sont jetés. La crise qui s’approfondit marque l’agonie d’une méthode qui voulait faire croire que l’intelligence formelle d’un seul valait compétence politique. En réalité, elle a montré que l’habileté rhétorique du « et de droite et de gauche » n’était que le masque d’un vide incommensurable. Ce vide a eu un seul effet : il a plongé la gauche dans une minorité sans équivalent et il a poussé la droite de plus en plus vers sa droite. Le malheureux gouvernement Barnier en a fait la brève et triste expérience.
Il devait contenir l’extrême droite et la gauche en rapiéçant le costume défraîchi des Républicains et des macronistes. L’arrogance creuse des seconds et la rigidité des premiers n’a fait que raviver l’éternelle querelle des droites. Au détail près que les uns et les autres n’avaient plus pour les soutenir, ni la grande image du Général, ni l’utopie de ce Centre qui, au milieu des années 1970, prétendait regrouper « deux Français sur trois ».
Le roi est nu. L’incompréhensible dissolution de l’été dernier a avivé la crise et l’a diffusée dans tous les segments de l’espace politique institué, à l’exception – pour l’instant – de celui du Rassemblement national. Nous entrons dans une phase d’incertitude aggravée, sans boussole et sans pilote dans l’avion, sans horloge et sans direction. On ne fera ici aucun pari sur l’avenir, avec seulement une certitude et trois exigences.
La certitude a souvent été énoncée dans les colonnes de Regards – voir ici ou là. La droitisation en cours n’est pas celle de la société, mais celle du champ politique et la chance de la droite s’est trouvée d’abord dans les carences de la gauche. Ce sont les effets des échecs cumulés des gauches qui ont laissé le champ libre à la composante la plus radicale des droites.
De la certitude découlent les exigences. La faiblesse majeure de la gauche provint de la dissociation qui s’est établie peu à peu, autour des années 2000, entre la dynamique sociale et une dynamique politique dominée par l’alignement social-libéral des social-démocraties européennes. La combativité sociale s’est ainsi déconnectée de cette grande espérance égalitaire de la « Sociale » qui avait coloré la rencontre historique de la gauche et du mouvement ouvrier. Dès lors, la colère sociale a hésité entre la résignation et le ressentiment, l’abstention et la droite extrême.
Retrouver un lien renouvelé et égalitaire du social et du politique reste sans nul doute l’enjeu central de la période qui vient. Mais cela suppose réalisées deux exigences complémentaires : que la gauche apprenne à conjuguer durablement sa diversité et son unité ; qu’elle ait à nouveau autre chose dire que la liste nécessairement longue des critiques et la juxtaposition des propositions. Il lui faut à nouveau partager du projet – un récit de la société possible d’émancipation sobre – et énoncer une stratégie capable de rendre ce projet politiquement majoritaire désirable et convaincant dans la durée.
Le temps de la crise sera celui de l’accélération. Mais la conjoncture heurtée ne devra pas faire oublier le temps long de l’unité dans le respect réciproque et, plus encore, celui du travail de refondation. Il est seulement à souhaiter que les intérêts particuliers sauront alors s’effacer devant l’impérieuse construction d’une unité prolongée et d’un travail partagé encore inédits à ce jour.
Roger Martelli
DÉMOCRATIE DU JOUR
Israël n’aime pas la presse libre
Agressions de journalistes, pressions des services secrets, censure militaire… Depuis le 7 octobre 2023, en Israël, la liste des atteintes à la liberté de la presse est longue. On ne parle même pas des dizaines de journalistes empêchés d’entrer dans Gaza, ni ceux, tout aussi nombreux, morts sous les bombes de Tsahal. Un titre est particulièrement dans le viseur du gouvernement Netanyahou : Haaretz. Ce quotidien de référence, plutôt classé à gauche, a fait, fin novembre, l’objet d’une décision ministérielle : le boycott. Le pouvoir israélien a interdit tout contact entre Haaretz et les institutions de l’État ainsi que toute publicité publique (plus d’argent public, donc), accusant le journal d’atteinte « à la légitimité de l’État d’Israël et à son droit à l’autodéfense » et de « soutien au terrorisme ». En réaction, le journal a dénoncé « une nouvelle étape dans le parcours de Netanyahou vers le démantèlement de la démocratie israélienne […] Comme ses amis Poutine, Erdogan et Orbán, Netanyahou essaie de faire taire un journal critique et indépendant ».
L.L.C.
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Le reportage d’Arte « Syrie : Raqqa, la guerre d’après ». Alors que le Proche-Orient soufflait un peu, de la trêve entre le Liban et Israël, on apprenait que la deuxième ville syrienne, Alep, tombait entre les mains d’islamistes radicaux. Ils envisageraient désormais de viser la capitale Damas. Comme la résurgence d’une guerre, celle débutée en 2011, qui a fait plus de 500 000 morts et qui n’est pas terminée.
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