La justice, la politique, l’oeuf et la poule

Marine Le Pen ne sera sans doute pas candidate à l’élection présidentielle. Elle ne le pourra pas parce la justice en a décidé ainsi, non par arbitraire, mais par stricte application de la loi.
Marine Le Pen n’a pas été destituée ce 31 mars 2025, puisqu’elle reste députée – contrairement à ce qui se dit parfois, tel Jean-Luc Mélenchon dans un tweet. Mais elle ne sera pas présente au scrutin jugé le plus décisif de la scène publique française, alors que tout tourne depuis quelques années autour de la possibilité de son accession à la plus haute fonction de l’État.
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Une loi n’est pas bonne par cela seul qu’elle est votée. Celle qui écarte la figure de proue du Rassemblement national est une adaptation de la loi européenne. On peut certes se demander s’il n’était pas risqué d’imposer de façon mécanique un principe d’inéligibilité immédiate qui contredit l’idée que, tant qu’un individu n’est pas définitivement jugé coupable, il est présumé innocent. Le Parlement français aurait pu, s’il l’avait voulu, s’écarter de la norme édictée à Bruxelles et à Strasbourg. Mais une large majorité a voté le texte et il a donc force de loi, valable pour tout individu quel qu’il soit.
Le RN s’est moqué ouvertement de la loi en s’appropriant des biens publics : il est donc normal que ses responsables soient sanctionnés, au nom de la loi, au nom du peuple français.
Il est étonnant d’entendre, de l’extrême droite de l’arc politique jusqu’à sa gauche, des propos expliquant que la décision des juges n’est pas démocratique. La production de la loi est certes une affaire de démocratie et il serait d’ailleurs bon qu’elle soit plus encore l’objet de délibération et d’appropriation citoyennes. Un juge peut se poser la question de savoir comment il met en œuvre la loi avec justice, mais il n’a pas, au moment où il siège, à juger du caractère démocratique ou non de la loi elle-même. Il ne juge pas au nom de la démocratie en général, mais au nom de la loi et donc au nom du peuple souverain qui a décidé de la loi, directement ou indirectement. Le RN s’est moqué ouvertement de la loi en s’appropriant des biens publics : il est donc normal que ses responsables soient sanctionnés, au nom de la loi, au nom du peuple français.
Ce n’est pas au juge de décider de la loi. En sens inverse, ni le gouvernement ni le législateur ni l’opinion publique n’ont à dicter au juge la manière de se prononcer. C’est le propre des régimes autoritaires d’user de l’argument que leur élection par le peuple les légitime à dire la loi. À ce titre, ils pourraient décider de qui respecte la loi et qui l’enfreint, qui il convient de punir et quand il ne le faut pas. C’est trop souvent au nom du peuple qu’ont pu être commises et légitimées les pires infamies.
La démocratie souffre de trois tentations dont on ferait mieux de se garder : penser que la souveraineté populaire est au-dessus du respect des droits universels et fondamentaux de la personne ; considérer que la justice est entièrement soumise à la volonté du peuple souverain ; estimer enfin que le recours permanent à la justice est une façon comme une autre de régler les différends politiques.