La buvette, Shein et le droit au plaisir

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Faut-il interdire le vin à l’Assemblée nationale, les t-shirts à 1 euro et les illuminations de Noël ? La gauche peut-elle être du côté des peine-à-jouir ?

L’Assemblée nationale réfléchit à interdire la vente d’alcool dans sa célèbre buvette. Un rapport parlementaire vient de le proposer, au nom du bon sens et d’un principe élémentaire : dans quel autre lieu de travail en France peut-on encore boire un verre de vin entre deux réunions ? Partout ailleurs, ce serait motif de licenciement ou, au moins, de convocation au bureau des ressources humaines. Là, c’est considéré comme une tradition républicaine. Cerise sur le tonneau, ces consommations sont parfois intégrées aux frais de mandat. Autrement dit, financées par la collectivité. Problématique ? Assurément.


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Mais derrière cette polémique, il y a davantage : le Rassemblement national s’est saisi du sujet et monte au créneau contre ce nouvel empêchement de vivre et de prendre plaisir. Car derrière ce petit fait divers parlementaire se cache un grand symptôme politique : la question du plaisir. Et c’est là que les choses deviennent sérieuses.

Quand l’extrême droite défend le maintien du vin à la buvette, elle le fait au nom de la bonne chère, du bon vin et de la convivialité. Hélas, sur ce terrain aussi, la gauche recule aux yeux des Français. Depuis trop longtemps, elle apparaît comme celle qui dit non : non à la viande, non au barbecue, non au Tour de France, non aux sapins de Noël et aux illuminations, non à Shein, non aux petits plaisirs populaires dans un monde saturé de contraintes. Le RN se fait le défenseur de la joie simple, de la liberté de vivre comme on veut. Avez-vous vu Marine Le Pen chanter « Laissez moi-danser », la très populaire chanson de Dalida ? L’image est simple voire simpliste. Mais elle marche.

Quand l’extrême droite défend le maintien du vin à la buvette, elle le fait au nom de la bonne chère, du bon vin et de la convivialité. Hélas, sur ce terrain aussi, la gauche recule aux yeux des Français. Depuis trop longtemps, elle apparaît comme celle qui dit non : non à la viande, non au barbecue, non au Tour de France, non aux sapins de Noël et aux illuminations, non à Shein.

La gauche a souvent raison dans ses intentions. Pourquoi couper des arbres à Noël ? La viande rouge pollue l’atmosphère et tue des animaux. Le barbecue, c’est fait par les mâles et ça donne le cancer. C’est établi scientifiquement. Et Shein est une entreprise singulièrement exécrable : exploitation des travailleurs et des enfants, destruction écologique, production de déchets à la tonne, vente d’armes et de poupées pour pédocriminels. Mais pointer du doigt les jeunes qui commandent des sweats et des robes à 8 euros, c’est culpabiliser ces salauds de pauvres et laisser dans l’ombre les causes réels de ces désastres. Ce n’est pas eux qui ont délocalisé la production textile et font travailler des enfants, ce n’est pas eux qui écrasent les salaires, ce n’est pas eux qui détruisent la planète. On peut même préciser que le bilan carbone des plus pauvres est toujours bien meilleur que celui des plus riches.

En revanche, Ursula von der Layen et Emmanuel Macron trouvent que « Ça va bien comme ça, l’écologie ras-le bol » : la bureaucratie nous étouffe. Fuck les normes, vive la les simplifications promues par la directive européenne Omnibus. Pour eux, il faut revenir sur le « devoir de vigilance » qui responsabilise les multinationales vis-à-vis des pratiques de leurs sous-traitants. Fin octobre, les députés européens ont déjà tenu bon dans un vote serré où toute la droite et l’extrême droite s’est prononcée en faveur du laisser aller vis-à-vis des exigences sociales et environnementales. Le débat reprend en novembre…

Ce mercredi, c’était vraiment malaisant de voir les élus parisiens de gauche manifester face aux consommateurs venus acheter trois babioles chez Shein. La gauche ne gagnera rien en culpabilisant ceux qui veulent encore participer à ce monde… qui est aussi celui de la consommation. Elle ne peut gagner qu’en ayant comme moteur le plaisir, pas en en faisant une faute morale. Elle gagnera en faisant émerger d’autres lieux et moments de plaisirs et de désirs. Vive la Fête de l’Huma. Autrement dit : une gauche qui se souvient aussi que la lutte et la révolution sont joyeuses.


P.S. : on aime se souvenir qu’à Berlin, il y a quelques mois, un vote citoyen pour la réduction du temps de travail s’est exprimée de façon moins abstraite et plus charnelle : gagner du temps pour faire l’amour. 

Re-P.S. : et on conseille la lecture de Quartier rouge de Michaël Foessel.

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