Houria Bouteldja dénonce une volonté de « criminaliser le mouvement antiraciste »
Demain mercredi 14 décembre s’ouvre à Toulouse le procès d’Houria Bouteldja, accusée de « racisme antiblancs » par une association d’extrême droite. Dans un entretien accordé à regards.fr, la porte-parole du Parti des indigènes de la République décrypte le sous-texte de ce concept et dit ce qui, selon elle, caractérise aujourd’hui les mouvements antiracistes en France.
Regards.fr: Pouvez-vous nous retracer en quelques mots la généalogie de ce procès ?
Houria Bouteldja: J’ai prononcé le mot « souchien » en juin 2007 dans une émission de télévision (Ce soir ou jamais, ndlr) pour me moquer de l’expression « Français de souche », plus précisément du mot « souche » qui renvoie à la « racine », à la « race ». Il s’agissait de pointer et de moquer cette distinction entre deux catégories de citoyens : les Français dits de souche, c’est-à-dire les blancs, et ceux qui ne le sont pas et ne le seront jamais. Je faisais la critique d’une citoyenneté à deux vitesses fondée sur la race. J’ai prononcé ce terme sans aucune ambiguïté et dans un contexte très précis. À la suite de cela, une campagne médiatique a été lancée par Alain Finkielkraut et l’hebdomadaire Marianne, m’accusant de racisme antiblancs, au motif qu’ils avaient entendu un tiret (sous-chien ndlr). Ce qui était un néologisme sur le mot « souche », eux ont souhaité le voir comme un jeu de mot. Cette histoire a fait un petit buzz médiatique. Un an plus tard, Brice Hortefeux a pris le relais en menaçant de porter plainte contre moi. Nouveau buzz. A cette époque, l’UMP aussi a publié un communiqué contre moi. Puis, l’affaire s’est tassée, à mon avis pour des raisons très objectives. Je pense que leurs avocats leur ont dit qu’ils allaient perdre en justice. De fait, nulle part je n’ai écrit « souchien » avec un tiret et surtout le jour où j’ai prononcé ce mot sur le plateau de France 3, personne n’a mal réagi, tout le monde a compris ce que je voulais dire. Puis en 2010, l’Alliance générale contre le racisme et pour le respect de l’identité française et chrétienne (Agrif), une association d’extrême droite basée à Toulouse, a fini par porter plainte. Le procès aura lieu demain, mercredi 14 décembre. Selon mes avocats, je ne risque pas grand chose, mais l’enjeu pour l’Agrif est de faire de la propagande politique autour de ce concept de « racisme antiblancs ».
Regards.fr: Quel intérêt l’Agrif, et ses soutiens, ont-ils à populariser ce concept ?
Houria Bouteldja: Tout d’abord, il faut rappeler que cette expression ne vient pas de l’extrême droite, mais des néo-conservateurs comme Finkielkraut. À la suite des révoltes de 2005, puis des mobilisations contre le CPE, des manifestants ont été agressés par des banlieusards. Finkielkraut a alors dénoncé un racisme antiblancs et fait circuler une pétition.
Ce concept sert à criminaliser le mouvement antiraciste, à l’intimider, à voiler une vraie fracture sociale. Les victimes de racisme deviennent elles-mêmes racistes : un partout, balle au centre. Parler de racisme antiblancs permet de culpabiliser les vraies victimes du racisme, de mettre un voile sur toutes les violences perpétrées par l’État, sur toutes les violences institutionnelles, policières, sociales… Cela sert à cacher que le racisme est avant tout un rapport social de domination. Du coup, il déculpabilise les bénéficiaires du système : les blancs.
Nous avons subi 30 ans d’antiracisme moral. Or, à partir du moment où l’on pense que le racisme est une haine de l’autre, nous sommes tous potentiellement racistes. Un arabe, un noir peut effectivement avoir la haine du blanc. En France, on a toujours eu du mal à définir précisément le racisme. Pour les grands médias et les associations médiatiques comme SOS racisme ou la Licra, c’est une question morale ; Sauf que cela masque le fait que le racisme est un système hiérarchique. Celui qui est en bas de l’échelle peut réagir violemment, éprouver de la haine, mais il n’a pas le pouvoir d’être raciste. Toutes les haines ne se valent pas. Les unes sont la conséquence des autres. Il y a la violence originelle, celle du racisme, et les conséquences de cette violence.
Regards.fr: On observe une réorganisation des mouvements antiracistes depuis quelques années…
Houria Bouteldja: Depuis le 11 Septembre 2001, et plus précisément en France depuis l’affaire du voile, on assiste à des mutations dans le champ de l’antiracisme. Aujourd’hui, on est réellement antiraciste quand on dénonce les principaux racismes, à savoir l’islamophobie, le racisme antinoirs et anti Roms. Le Collectif des féministes pour l’égalité (CFPE), Une École pour tous, Les Indigènes de la République, le collectif Mamans toutes égales (MTE), les indivisibles, l’Alliance Noire Citoyenne ainsi que ceux qu’on appelle les « islamogauchistes » (militants de gauche et minoritaires dans leurs organisations) se sont réorganisés autour de cette question. Dans cette nouvelle cartographie, le MRAP joue un rôle singulier. Il reste fondamentalement une association blanche structurée autour d’une définition morale du racisme. Le racisme n’y est pas clairement défini comme structurel. C’est ce qui le fragilise. Il reste cependant du côté des plus opprimés, donc spontanément, il est du côté des musulmans. C’est ce qui tendanciellement classe le MRAP dans cette mouvance réellement antiraciste (mais jusqu’à quand ?). Par ailleurs, ce qui caractérise cette réorganisation du champ de l’antiracisme c’est qu’elle se fonde également sur la solidarité avec la Palestine et sur la dénonciation du colonialisme israélien. Autre grande ligne de fracture en France…