La proposition raciste de Charlie Hebdo

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Notre collaboratrice et amie, Rokhaya Diallo, s’est vue caricaturée par Charlie Hebdo, dansant avec une ceinture de bananes face à des hommes blancs hilares. L’hebdo réactive une imagerie coloniale raciste et révèle ce que la laïcité est devenue pour une partie de ses défenseurs : un instrument de stigmatisation.

Charlie Hebdo pensait sans doute faire de l’esprit en caricaturant Rokhaya Diallo affublée d’une jupe de bananes, à la manière de Joséphine Baker. Sur ce dessin publié fin décembre, la journaliste et militante antiraciste est représentée en danseuse de cabaret exotique, avec pour légende : « The Rokhaya Diallo Show ridiculise la laïcité à travers le monde ». Aux yeux de l’hebdo satirique, l’essayiste antiraciste du Washington Post, du Guardian et de Regards ridiculiserait la laïcité républicaine. Ce qui est choquant ne tient pas tant à ce qui est dit qu’à la généalogie mobilisée par cette image : une généalogie profondément raciste.

En réutilisant la célèbre jupe de bananes de Joséphine Baker, Charlie Hebdo ressuscite une imagerie colonialiste nauséabonde. La danse de Baker en 1925 était une exhibition exotique pour un public blanc avide de stéréotypes. Ce fantasme réduisait les femmes noires à des corps dansants sexualisés : c’est cette mémoire empoisonnée que ravive aujourd’hui la caricature de Riss. Au lieu de débattre du fond des idées défendues par Rokhaya Diallo, le journal la rabaisse et la renvoie à un stéréotype de « femme noire sauvage » venu du passé colonial.

Charlie objecte que la référence à Baker n’a rien de raciste, sous prétexte que Joséphine moquait elle-même les préjugés de son époque. Cet argument ne tient pas face à l’Histoire. Rokhaya Diallo rappelle que « la Revue nègre était le prolongement de la propagande coloniale » et que Baker fut « outrée lorsquil lui a été proposé de danser nue ». En clair, cette ceinture de bananes était dès l’origine un attribut de l’oppression raciale. La ressortir en 2025 contre une femme noire qui dérange, ce n’est pas de la satire innocente : c’est du racisme.

Plus largement, on observe qu’une frange des prétendus défenseurs de la laïcité en France promeut aujourd’hui un racisme systémique. Détournée de son sens originel d’émancipation universelle, la laïcité a été progressivement « falsifiée » à partir des années 2000 pour reprendre le mot de l’historien Jean Baubérot et, de principe juridique garantissant la liberté de conscience pour tous, elle est remodelée en marqueur identitaire national… Toute manifestation jugée «déviante » face à cette nouvelle doxa est perçue comme une menace pour la République. Cette « nouvelle laïcité» construit l’altérité de populations minoritaires (musulmans au premier chef, mais aussi Noirs, Roms, etc.), présentées comme des «ennemis de lintérieur» incompatibles avec les valeurs françaises.

« Charlie » est devenu un mot d’ordre identitaire bien plus qu’un principe universaliste ou un héraut de la liberté d’expression. Le principe de liberté individuelle garantit s’est mué en outil de tri et de suspicion. Non plus garantir l’égalité, mais désigner ceux qui n’y auront jamais vraiment droit. Ce qui est visé, désormais, ce sont des croyances, des pratiques mais aussi des corps, des origines, des identités racialisées : femmes noires, personnes issues de l’immigration postcoloniale, figures publiques assignées à leur couleur. En ce sens, Charlie Hebdo, jadis symbole de la libre pensée, est devenu le symptôme d’une République qui renonce à son idéal universaliste pour flatter une crispation raciale de plus en plus décomplexée. Triste époque.

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