Budget « Frankenstein » : le monstre du compromis aléatoire

Image

Sommes-nous enfin devenu un pays mature, enclin aux compromis comme nos voisins allemands ? Sauf qu’en France, cela tient plus du marchandage, sans aucune cohérence politique si ce n’est sauver le soldat Lecornu.

Après un passage en commission, l’examen du budget arrive, ce vendredi dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale. Plus précisément, les députés vont examiner la partie « recettes » proposée par le gouvernement Bayrou-Lecornu.


TOUS LES JOURS, RETROUVEZ L’ESSENTIEL DE L’ACTU POLITIQUE DANS NOTRE NEWSLETTER

👉 C’EST ICI ET C’EST GRATUIT


La grande séquence qui commence sera marquée par le débat sur l’avenir de la réforme des retraites. On se souvient que Sébastien Lecornu a promis la « suspension » de la réforme pour garantir la non-censure de son gouvernement par le groupe socialiste. Patatra, le président Macron en déplacement à l’étranger vient de casser le bel accord. Pour rassurer les troupes du « bloc central », il a affirmé qu’il ne s’agissait pas de pause mais d’un simple « décalage » financé par des « économies ». La lecture de la lettre rectificative apportée par le gouvernement et rendue publique hier donne raison à Emmanuel Macron.

N’en déplaise aux uns (les socialistes) et à l’autre (le premier ministre), il s’agit bien d’un simple report de trois mois et, pour un an, de l’application de la réforme Borne-Touraine-Macron. Ainsi, les personnes nées en 1964 auront la possibilité de partir à 62 ans et neuf mois – soit le même âge légal que la génération 1963. Ensuite, ce paramètre continuera d’augmenter au rythme de trois mois par an : 63 ans pour ceux nés en 1965 (au lieu de 63 ans et 3 mois dans la réforme), 63 ans et 3 mois pour la génération 1966 (au lieu de 63 ans et 6 mois). Le décalage s’applique aussi à l’augmentation de la durée de cotisation. Le nombre de trimestres sera de 170 pour la génération 1964 (au lieu de 171) et de 171 pour ceux nés en 1965 (au lieu de 172).

Tout le monde s’accorde pour dire que ce budget n’a plus de cohérence et, en tout cas, pas de force politique. Il est le résultat de rapports de forces aléatoires dans un hémicycle fracturé. Nous serions forcés d’entrer dans l’ère du compromis dont ce budget serait un premier essai.

Les socialistes ne sont pas contents de s’être fait dupés par l’emploi du mot « suspension » qui signifiait, pour eux, le dernier mot au suffrage universel. En fait, la logique de la lettre rectificative est autre : la réforme Borne-Touraine-Macron continuera de s’appliquer passer ce report d’un an…. sauf si l’élection présidentielle venait y mettre un terme. À nouveau, par la voix de leur président de groupe, ils menacent de censurer. Mais leurs menaces se dévaluent à force d’être brandies sans suite… Ils devraient se souvenir du conte de l’enfant qui crie au loup et qu’on finit par ne plus croire. À suivre, donc.

Ces budgets, celui de la sécurité sociale et celui du pays, ont déjà un petit surnom : « Frankenstein », pour souligner leur mode de fabrication : découpage/collage. Tout le monde s’accorde pour dire que ce budget n’a plus de cohérence et, en tout cas, pas de force politique. Il est le résultat de rapports de forces aléatoires dans un hémicycle fracturé. Certains pensent qu’il s’agit désormais du mode inévitable de fabrication du budget et de la loi car la société est divisée. Nous serions forcés d’entrer dans l’ère du compromis dont ce budget serait un premier essai.

Cette évolution peut être discutée, contestée. Non que la société ne soit sans doute durablement divisée ni que le compromis ne doit être valorisé. L’un est vrai et l’autre nécessaire en tout temps, pas seulement par nécessité arithmétique. La politique n’est pas du registre de la vérité et de la pureté : écouter et intégrer les autres points de vue doit faire partie de l’esprit démocratique. Faut-il pour autant penser inéluctable ce galimatias qui est un défi à toute pensée politique, à toute action publique ? Si cela devenait la norme, il n’y aurait plus de débat possible ni de cohérence et de force à l’action. Il n’y aurait plus de direction choisie par les citoyens.

Non. Il faut absolument que les choix politiques éclairés, décidés par les électeurs redeviennent la charpente du pays. Sinon, la France sera durablement en crise globale et singulièrement en crise de confiance sur elle-même. La France se délite quand la politique devient une technique, un théâtre confus et des jeux d’ombres. En revanche, il est vrai que la façon de gouverner à toutes les échelles doit être plus démocratique, plus ouverte au dialogue. L’abandon du 49.3 pouvait en être un symbole. Mais les symboles ne suffisent plus. Et le compromis ne doit pas devenir l’équivalent du grand marchandage.

Sébastien Lecornu, un homme de droite, nommé par un homme de droite fait – oh surprise ! – une politique de droite. On ne peut pas raconter qu’il en est autrement. La gauche peut souhaiter qu’il en soit autrement : alors il lui faut convaincre davantage et clairement sur ses grandes orientations. La politique se mène un peu dans l’hémicycle et beaucoup dans le pays.

Partager cet article

Actus récentes

Abonnez-vous
à notre NEWSLETTER
quotidienne et gratuite

Laissez un commentaire