PSA : la crise a bon dos

Sylvain Selon, ouvrier et syndicaliste chez Barres Thomas, équipementier automobile, sous-traitant de PSA, chez lui à Rennes (35).

En ces temps de crise, l’entreprise PSA fait de nouveau l’actualité en annonçant 8000 licenciements. Un plan social largement remis en cause par les salariés qui contestent la stratégie du groupe et assurent que les sites français peuvent être sauvés. En décembre 2008, Regards avait enquêté sur le site de PSA Rennes alors menacé par un plan de restriction sévère lui aussi justifié par la crise. Comme une impression de déjà vu… Reportage accompagné d’un portfolio réalisé par Sophie Loubaton

Multiplication des plans de restructuration, chômage partiel… La crise financière, largement relayée dans les médias, ne constituerait-elle pas une aubaine pour les dirigeants des grands groupes industriels? Enquête à l’usine PSA Peugeot-Citroën de Rennes, massivement touchée par ces mesures de restriction.

A lire aussi notre article du jeudi 25 octobre 2012: PSA, le jour le plus long.

C’est la crise. Jeudi 4 décembre, 17 heures, le jour décline sur le site PSA de Rennes plongeant les bâtiments de l’usine dans une semi-obscurité. Dans les étages déserts de l’administration, Denis Martin, le directeur de l’entreprise, se prépare à donner une conférence de presse. Depuis la veille, la direction a stoppé la production et renvoyé les ouvriers dans leur foyer pour un mois. Cette mise au chômage partiel n’étant qu’une mesure supplémentaire venue s’ajouter au plan de réduction des effectifs annoncé le 20 novembre dernier.

UN PLAN PREMEDITE

Face aux journalistes, Denis Martin se retranche derrière «un contexte de crise internationale» et quelques figures rhétoriques pour justifier la suppression, d’ici la fin 2009, de 1750 postes, soit près d’un quart des salariés. Pour résoudre un problème de «sureffectif» , le plan prévoit 900 «redéploiements» d’ouvriers de production vers d’autres sites du groupe auxquels s’additionneront 850 «départs volontaires» de cadres, d’ouvriers professionnels, de techniciens et d’agents de maîtrise. «Toutes ces mesures se feront sur la base du volontariat et uniquement du volontariat» , rassure le directeur de PSA Rennes. Et si les volontaires manquent à l’appel? Un journaliste ose le terme de licenciement. «Nous verrons bien à ce moment là» , rétorque Denis Martin.

Vendredi 5 décembre. Comme la veille, Jean-Claude Noblet est resté chez lui, dans son appartement de Saint-Méen-le-Grand, situé à une trentaine de kilomètres de Rennes. Ouvrier professionnel à PSA depuis 1989, il a déjà connu des périodes de chômage partiel et survécu à deux plans de réduction du personnel. «Depuis la signature du GPEC, en 2007, il y a déjà beaucoup de collègues qui sont partis» , raconte-t-il. Le GPEC (Plan de gestion prévisionnel de l’emploi et des compétences) s’est en effet traduit par 587 «départs volontaires» en 2007 et 410 en 2008. Signé à l’échelon national en avril 2007 par la majorité des syndicats de PSA, cet accord prévoyait déjà la possibilité pour l’entreprise de supprimer des emplois et de faciliter des départs sur la base du volontariat. A l’époque, l’annonce de ce plan inquiète et quelques voix se font entendre, dont celle de la CGT, qui a refusé de signer l’accord. Mais à quelques jours du premier tour de l’élection présidentielle, Hugues Dufour, le porte-parole national de PSA, se veut rassurant: «Cet accord n’est qu’un cadre, il n’y a rien de prévu aujourd’hui. (1)» , assure-t-il. Le ver est dans le fruit, mais Christian Streiff, qui venait d’être nommé à la tête du groupe, se serait engagé auprès du gouvernement de ne pas «annoncer ces charrettes en pleine période de campagne présidentielle (2)» .

Si, avec la mise en place effective du GPEC, quelques mois après les déclarations du porte-parole de PSA, les salariés ont le sentiment d’avoir été bernés, ils sont malgré tout conscients de la situation actuelle de l’industrie automobile. «C’est vrai qu’il existe actuellement une baisse de la consommation. Les gens achètent moins de voitures» , admet Lionel Maillard, ouvrier de production et délégué syndical à la CGT. Mais pour les salariés interrogés, le GPEC ne semble pas une solution adaptée pour pallier cette baisse de la demande. Ils s’interrogent notamment sur l’entêtement de la direction du groupe à vouloir maintenir le site de Rennes dans une production de véhicules «moyen haut de gamme» . «Nous sommes fragilisés par cette spécialisation, confie Jean-Claude Noblet, en ce moment les gens n’achètent pas du moyen haut de gamme. Résultat? Nous sommes le site de PSA le plus touché par les mesures de restriction.» Depuis des années, les syndicats dénoncent cette stratégie et réclament la diversification de la production, à savoir produire des véhicules plus petits et moins polluants.

PRODUIRE MOINS, BOSSER PLUS
«D’une manière plus générale, la crise est un prétexte pour réduire les coûts de production. Depuis des années, les grands groupes industriels licencient pour maintenir leur marge. Avec 733 millions d’euros de bénéfices au premier trimestre 2008, PSA n’échappe pas à la règle. Christian Streiff se sert des salariés comme variable d’ajustement et rassure les actionnaires» , déclare Lionel Maillard, quelque peu désabusé. Dans un communiqué publié en octobre 2008, Christian Streiff annonçait des mesures de chômage partiel sur l’ensemble des sites français. «Les réductions de production seront ainsi massives au 4e trimestre, car il est essentiel que le groupe soit en bonne position pour aborder l’année 2009» , justifiait alors le président du groupe. A Rennes comme ailleurs, depuis quelque temps, le recours aux jours chômés s’accentue. «J’ai le sentiment d’être à nouveau en intérim, confie Mickaël Gallais, ouvrier chez PSA depuis 2004. Pourtant, les cadences ne ralentissent pas. Je préférerais chômer quelques jours en moins et diminuer le rythme de travail.»

Sur certaines lignes de montage, notamment pour la C5, la production a même augmenté d’une voiture par heure. Le maintien, voire l’accélération des cadences, la réduction du nombre de salariés ainsi que la suppression d’un certain nombre de postes de travail sur les lignes de montage conduisent immanquablement à l’augmentation de la pénibilité du travail. «Il y a une réelle intensification du travail, avec les suppressions de postes on doit assumer le boulot de deux personnes. Les gens souffrent de plus en plus et sont davantage en arrêt maladie, explique Lionel Maillard. Sans compter qu’avec la disparition des pools de remplacement, il suffit qu’il y ait deux absents sur une ligne pour que ce soit la pagaille.» Un travail plus dur, mais aussi parfois plus long. Du mois de mai au mois de septembre, les salariés ont ainsi accumulé les heures supplémentaires et travaillé certains samedis. «Le jeudi précédant la fermeture de l’usine pour un mois, on nous a demandé de travailler deux heures de plus» , raconte Mickaël Gallais. Ce temps de travail supplémentaire ne génère pas pour autant une augmentation de salaire. Il correspond simplement aux heures que doivent les salariés à l’entreprise en compensation des jours chômés, au cours desquels ils continuent de percevoir leur salaire.

MOTIVER LES VOLONTAIRES

Malgré ce durcissement des conditions de travail et la succession des plans de restructuration, les syndicats ont eu beaucoup de mal à mobiliser le personnel. Le 4 décembre dernier, ils étaient à peine une quarantaine à débrayer. «Les gens ont peur de se faire repérer par la direction» , confie Jean-Claude Noblet. Principalement issus du monde agricole, les salariés de PSA-Rennes n’ont pas hérité d’une culture ouvrière et sont peu aguerris aux luttes sociales. La position hégémonique du SIA-CSL, syndicat «maison» de PSA et véritable cheval de Troie de la direction, a aussi largement contribué à museler les velléités contestataires des ouvriers pendant des décennies.

Cette soumission apparente ne signifie pas pour autant qu’ils sont disposés à quitter l’entreprise de leur plein gré. Certes, le GPEC 2008 prévoit des mesures incitatives: aide à la création d’entreprise, prime de mobilité, accompagnement vers une reconversion professionnelle, etc. Cependant, avec une moyenne d’âge de 47 ans, de nombreux salariés travaillent à l’usine de Rennes depuis plus de vingt ans. «Les gens ont un conjoint, des enfants, une maison, ils n’ont pas envie de partir» , déclare Jean-Claude Noblet.

Comment réunir, dans ses conditions, les 1 750 volontaires requis par la direction? «Des pressions s’exercent en interne, confie Mickaël Gallais le chef d’équipe passe sur les lignes et demande à certains s’ils ne souhaitent pas partir.» Lui-même a d’ailleurs été convoqué. «On m’a suggéré une mutation en m’expliquant que l’entreprise était déficitaire et que je devais contribuer à sa pérennisation. J’ai refusé.» Les salariés embauchés à partir de 1990 sont les premiers sollicités pour les mutations, leur contrat de travail comportant une clause de mobilité. «Certains ont déjà été convoqués trois ou quatre fois, c’est un véritable harcèlement» , dénonce Lionel Maillard. Avec la suppression de nombreux postes sur les lignes de montage, beaucoup d’ouvriers, parfois difficilement reclassables sur d’autres lignes en raison de problèmes de santé, sont amenés à exécuter toutes sortes de missions. «On peut leur demander de passer le balai ou de nettoyer les vitres, c’est une façon de les pousser vers la sortie» , s’insurge Jean-Claude Noblet. Des méthodes condamnables qui risquent pourtant de s’intensifier dans les mois à venir. «2009, ça va être l’enfer» , anticipe Mickaël Gallais. De fait, le 5 janvier dernier, alors qu’ils reprenaient le travail, les salariés bretons apprenaient qu’ils ne travailleraient plus, en moyenne, qu’une semaine par mois d’ici le mois d’avril. Le motif avancé par la direction n’est pas une surprise: c’est la crise!

[[1. www.capital.fr, article du 21 avril 2007.
]][[2. www.capital.fr, article du 20 avril 2007.
]]Paru dans Regards n°59, février 2009

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