Colombie : victoire historique de la gauche

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Ce dimanche 19 juin les Colombiens ont élu Gustavo Petro et Francia Marquez, respectivement à la présidence et à la vice-présidence du pays. Un séisme démocratique que nous analyse Sergio Coronado.

Deux siècles d’histoire républicaine pendant lesquelles la gauche avait été tenue à l’écart de la présidence de la République colombienne, parfois au prix des armes et de la violence, viennent de prendre fin. Ce 19 juin, Gustavo Petro obtient 50,44% des suffrages et 11.281.002 voix, contre 47,31% et 10.580.399 voix pour son adversaire Rodolfo Hernandez.

 

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Favori des enquêtes d’opinion depuis des mois, Gustavo Petro avait survolé le premier tour hissant la gauche à plus de 40%, laissant loin derrière le candidat de la coalition gouvernementale d’extrême droite, Federico Gutierrez – dit Fico – qui était son adversaire désigné.

La qualification au second tour du millionnaire Rodolfo Hernandez, ancien maire de Bucaramanga, avait cependant crée la surprise. La présence inattendue d’un personnage atypique, hors normes, faisant l’objet de poursuites judiciaires pour des affaires financières, avait rendu le second tour des plus incertains.

Au soir du premier tour, la joie de résultats avait laissé place à une grande crainte. Rodolfo Hernandez avait de grandes réserves de voix, notamment chez les électeurs uribistes furieusement anti-pétristes, et même si son comportement erratique et ses déclarations à l’emporte-pièce jouaient en sa défaveur, il n’était pas le candidat d’extrême droite que la gauche attendait, ni même n’avait souhaitait. Il représentait dans la campagne une forme d’aspiration au changement aux accents populistes et parfois réactionnaires. Son refus de débattre, sa campagne modeste sans réunions publiques, ses prises de positions contradictoires, avaient rendu le second tour incertain.

Gustavo Petro avait finalement dû ajuster sa stratégie de campagne. Celui dont l’engagement militant commença dans le choix des armes s’est transformé en meilleur défenseur des institutions et de la stabilité du pays. L’ancien maire de Bogota, le brillant sénateur s’est montré rassurant, pris des engagements fermes de ne pas toucher à la constitution, à la propriété privée et de ne pas chercher la réélection.

Après une semaine de flottement, Petro a invité le pays à un accord national basé sur un changement profond mais tranquille, tournant le dos aux haines qui expliquent que la politique colombienne demeure une activité à hauts risques.

Le soutien d’une partie des élites universitaires et intellectuelles du pays, même conservatrices, a donné à ce discours non seulement une grande consistance mais une réalité palpable.

L’incapacité d’Hernandez à faire campagne, à expliquer comment il entendait gouverner, et avec quelles forces politiques, avec l’annonce du recours à un état d’exception (« estado de conmoción interior ») ont fini de fragiliser sa candidature qui bénéficiait de la bienveillance des medias dans un pays au légalisme affiché.

La victoire de Petro est nette. Il est en effet le président le mieux élu de l’histoire du pays. Son adversaire reconnut sa défaite sans aucune réserve dès l’annonce des résultats. Il n’est pas certain que celui à qui la constitution offre le rôle de premier opposant décide faire faux bond et se déclarer finalement indépendant, montrant ainsi qu’il n’était pas le candidat d’extrême-droite tant de fois dépeint. La construction de la coalition « Pacte historique » était un avant-goût de ce qui attend le premier président de gauche du pays dans la recherche d’une majorité gouvernementale.

Après le rejet des accords de paix par voie référendaire en 2016, ce vote marque un soutien clair au processus de paix, que le gouvernement précédent a mis en miettes. En élisant un ancien guérillero, le pays a exprimé sa volonté de tourner la page de la guerre.

Gouverner ne sera pas simple

Il n’en reste pas moins que l’uribisme qui a tenu le pays pendant des décennies, souvent par la terreur et la violence, sort très affaibli de cette élection. Petro bénéficie d’un socle solide. La présence de Francia Marquez à ses côtés a été un atout de poids. Elle a réconcilié le candidat parfois chahuté avec les mouvements féministes, indigènes, afro-descendants, minoritaires, les jeunes. Francia est une militante d’une écologie populaire, aux engagements connus et salués contre l’extractivisme et pour la défense de l’environnement. Elle avait créé la surprise lors des primaires ouvertes en mars dernier, recueillant plus de 800.000 voix.

Dans un continent où les expériences de gauche ont parfois construit leur modèle économique sur la destruction du vivant et l’extrativisme, elle est un gage d’une autre politique.

La victoire de la gauche à la présidentielle colombienne marque une forme de normalisation de la vie politique dans le pays : celle d’une démocratie, certes très imparfaite avec des insuffisances tragiques parfois, mais où l’alternance est possible.

Elle ouvre aussi une période de redéfinition des relations avec les États-Unis, dont le pays est le principal allié sur le continent et une base arrière militaire. Elle marque enfin le retour des gauches au pouvoir sur le continent, après l’Argentine, le Mexique, le Pérou, le Honduras, le Chili.

 

Sergio Coronado

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