TRIBUNE. Le transféminisme au secours du féminisme ?
Une campagne du Planning familial présentant un homme enceint est la cible de nombreuses critiques de la part de celles et ceux qui peinent à intégrer la transidentité dans les luttes contemporaines. Thierry Schaffauser, militant au STRASS (Syndicat du Travail Sexuel) leur répond.
Alors que la majorité des féministes en France, héritières du constructivisme beauvoirien, ont toujours combattu les arguments naturalistes renvoyant les femmes à leur biologie, voici qu’à présent, certaines féministes utilisent ces mêmes arguments essentialistes contre l’autodétermination des personnes trans, présentées comme le nouvel ennemi principal.
C’est un renversement majeur et un risque réel pour l’ensemble des femmes qui se voient déjà nier leur capacité à prendre des décisions par elles-mêmes au nom de la résistance aux injonctions patriarcales. Présenter les hommes trans comme des femmes qui ont appris à se détester à cause du patriarcat, en assimilant leur potentiel recours à la chirurgie, à l’hormonothérapie, ou même aux binders, à de l’automutilation comparable à l’excision, ouvre la porte à l’interdiction de disposer librement de son corps pour tout le monde.
En suivant cette logique, toute femme prenant la décision de se refaire la poitrine, de suivre un régime alimentaire, de se maquiller, ou de se vêtir à la dernière mode, peut être accusée d’obéir à des contraintes sociales issues de la domination masculine et se voir renvoyer à un statut d’éternelle mineure à protéger contre elle-même. Qui doit décider à leur place ? Hier, les hommes, et aujourd’hui une prétendue avant-garde éclairée qui aurait mieux compris le féminisme que tout le monde ?
La peur de l’effacement des femmes et des lesbiennes ressemble aux vieilles peurs antiféministes contre l’indifférenciation sexuelle. Personne ne nie les réalités biologiques. Il s’agirait au contraire de reconnaitre la grande pluralité des sexes sur le plan chromosomique, hormonal, génital, dans l’espèce humaine, comme dans d’autres espaces animales, et cesser d’effacer les personnes intersexes, ou de les réduire à de l’exceptionnel.
Relisons ensemble les auteures féministes et lesbiennes radicales. Pourquoi cette caractéristique biologique qu’est le sexe prend elle autant d’importance comparée à d’autres caractéristiques qui distinguent les humains entre eux ? Pourquoi la catégorie de sexe a-t-elle était inventée si ce n’est pour classer et dominer ? La bi-catégorisation de l’humanité en deux classes, l’une au service de l’autre, a été décrite comme un régime politique appelé « hétérosexualité » par Monique Wittig.
Lorsque celle-ci disait que les lesbiennes ne sont pas des femmes, il s’agissait précisément de refuser l’assignation à un sexe, de s’échapper de ce régime, et d’inventer de nouvelles subjectivités, de nouvelles cultures, de nouvelles identités. C’était tout le contraire du féminisme de la différence qui valorisait les qualités dites féminines, en partie liées à des représentations passéistes de la maternité.
Quel retour en arrière que ces attaques faites contre le Planning Familial qui a besoin de soutien dans un contexte de difficultés d’accès aux soins en santé sexuelle et reproductive, dont l’accès à l’avortement, ou pour améliorer les conditions d’accouchement. Ce n’est certainement pas rendre service aux femmes que de s’en prendre ainsi à la plus ancienne organisation féministe de France.