TRIBUNE. COP15 : le vivant disparaît et la France ne réagit pas assez
Par Aymeric Caron, Hendrik Davi, Mathilde Panot
Alors que la Cop 15 sur la biodiversité se déroule à Montréal avec pour mission d’établir un plan décennal mondial de sauvegarde des espèces, trois députés insoumis déplorent l’indifférence qui entoure cet événement et, de manière plus large, ce sujet.
La perte de biodiversité est la face la plus dramatique de la crise écologique. La vitesse actuelle de disparition des espèces est 100 à 1.000 fois supérieure au taux naturel d’extinction. D’après les estimations du WWF, les populations de vertébrés sur la planète ont diminué de 69% depuis 1970. Rien qu’en France, on estime que les populations d’oiseaux ont perdu 30% de leurs effectifs depuis 30 ans. Un million d’espèces animales et végétales sont par ailleurs menacées d’extinction dans les prochaines décennies : plus de 40% des espèces d’amphibiens, près de 33% des récifs coralliens, plus d’un tiers de tous les mammifères marins, plus de 25% des vertébrés terrestres, d’eau douce et marins, 16% à 63% des végétaux, 10% des insectes…
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Les causes de l’effondrement du vivant sont bien connues : artificialisation des sols, agriculture intensive, pesticides, exploitation forestière, chasse et pêche excessive, extraction minière, pollution… L’augmentation exponentielle des espèces exotiques envahissantes, conséquence directe de la multiplication par 40 des échanges mondiaux depuis 1945, est un autre motif de préoccupation. Enfin, évidemment, le changement climatique va avoir un effet majeur en changeant radicalement le biotope des espèces. Si on estime qu’il ne cause actuellement que 6% des extinctions, cela pourrait atteindre 80% en 2100.
Quand on connaît les causes d’un phénomène, il est facile d’agir, pour peu de s’en donner les moyens
Il faut d’abord limiter radicalement la destruction des espaces naturels. Nous devons donc limiter nos consommations alimentaires qui contribuent à détruire les forêts tropicales, par exemple cesser de nourrir notre bétail avec du soja importé. Cela passe par un changement radical de nos comportements alimentaires avec une baisse drastique de notre consommation de viande. Rappelons qu’avec un régime vegan, un Français a besoin de 1200m² d’empreinte au sol pour son alimentation, contre 5200m2 pour un mangeur de viande. Que fait la France pour dé-carner son alimentation, ce qui au passage est mieux pour notre santé ? Presque rien. Aucune campagne d’information sur le sujet ! Aucune interdiction d’importation de viandes venant de l’autre bout du monde. Au contraire, les échanges mondiaux s’amplifient.
Rappelons que la surexploitation minière que requiert le développement de nos appareils électro-ménagers a aussi des conséquences sur la biodiversité, il suffit de voir l’effet des mines de nickel sur les écosystèmes en Nouvelle Calédonie. Limiter la surexploitation de nos ressources biologiques et minières, c’est aussi possible. Il faut sortir de notre logique consumériste mortifère. Les mesures là aussi sont bien connues : limiter la publicité, empêcher l’obsolescence programmée en étendant les obligations de garantie et gérer les ressources par des contrôles stricts. En métropole, sur les presque 400.000 tonnes débarquées en France, 20% proviennent encore de stocks surpêchés. En nombre d’espèces menacées, le bilan est encore pire : 44% des pêches touchent des espèces en danger. Le contrôle des pêches est donc loin d’être suffisant.
La limitation des pollutions est aussi possible de façon simple et réglementaire. Nous avons sauvé la couche d’ozone de cette façon. Il nous faut progressivement éliminer tous les pesticides de nos champs qui tuent les insectes, mais aussi les agriculteurs. La France est le sixième consommateur mondial de pesticides, alors que nous sommes le quinzième pays en termes de surface agricole. Nous sommes passés de 61.000 tonnes de pesticides en 2009 à 84.000 tonnes en 2018, alors même que nous avions lancé des plans Ecophyto pour diminuer leur usage. Il faut, sans attendre, interdire les pesticides les plus dangereux, réguler mieux l’usage des autres et favoriser la recherche agronomique pour des alternatives par la lutte biologique ou des pratiques culturales innovantes.
Pour une planification de rupture
La pollution, c’est aussi la pollution des mers et des sols avec les plastiques, dévastant la faune qui s’y trouve. Nous devons tendre vers une société zéro déchet et remplacer partout où c’est possible l’usage du plastique. Pourquoi existe-t-il encore dans nos rayons des pots de yaourt en plastiques non recyclables, alors qu’ils devraient tous être en verre ? Nous devons réduire drastiquement tous les emballages et remplacer ceux qui sont absolument nécessaires par du bois ou du papier, issus de forêts gérées durablement ou du recyclage.
L’autre mesure phare est la protection des milieux naturels. Nous devons donc éviter massivement l’artificialisation des terres. En France, entre 20.000 et 30.000 hectares sont artificialisés chaque année. Cette artificialisation augmente presque 4 fois plus vite que la population. C’est intenable. Il faut un moratoire sur toutes les artificialisations notamment celles qui visent le développement de complexes commerciaux ! Plus largement dans son rapport, le GIEC propose de protéger entre 30 et 50% des espaces naturels. La France compte seulement onze parcs nationaux, qui ne couvrent que 8 % du territoire national, et 58 parcs régionaux qui couvrent 15,5% de la surface. Nous devons augmenter tout de suite de 6,5% ces aires protégées, ce qui n’est pas forcément incompatible avec un développement de certaines activités économiques. Mais pourquoi continuer à soutenir à bout de bras des activités de sport d’hiver vouées à disparaître avec le changement climatique à coût d’infrastructures et de canons à neiges, qui massacrent les écosystèmes et épuisent nos ressources ?
Quant aux changements climatiques, il nous faudrait un grand service public de l’énergie pour tendre vers 100% d’énergies renouvelables, un vrai service public du logement pour rénover massivement et globalement 700.000 logements par an, un service public des transports pour multiplier les lignes ferroviaires, les tramways et tendre vers leur gratuité dans les métropoles… Bref, tout le contraire de la politique des petits pas du gouvernement qui s’appuie sur des acteurs privés dont le principal souci n’est pas le bien commun, mais le portefeuille de leurs actionnaires multimillionnaires !
Hendrik Davi, directeur de recherche en écologie et député de Marseille
Aymeric Caron, journaliste, président de la Révolution écologique pour le vivant (REV) et député de Paris
Mathilde Panot, présidente du groupe parlementaire de La France insoumise et députée du Val-de-Marne