« La vraie crise du cinéma ne se situe pas au niveau du marché mais au niveau politique »

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Le Festival de Cannes, c’est d’abord l’occasion de parler cinéma. Mais aussi de politique parce qu’au fond, les deux sont inextricablement liés. La productrice indépendante Judith Levy est l’invitée de la Midinale.

UNE MIDINALE À VOIR…

 

ET À LIRE…

Sur la nécessité du cinéma – et de la salle de cinéma
« Ce que je défends, c’est le cinéma qu’on va voir dans la salle de cinéma. C’est la plus belle expérience au monde : dans une salle obscure avec des gens que l’on ne connait pas face à un immense écran. »
« Il y a un discours de crise sur le cinéma en ce moment : on a surtout vécu une fermeture exceptionnelle des salles pendant 6 mois au moment de la crise sécuritaire (ce n’était jamais arrivé, même pendant la Seconde guerre mondiale, les salles n’avaient pas fermé). »
« J’essaie d’éviter d’analyser le cinéma en tant que marché : le fait de parler de box-office et de recettes fabrique une approche de notre secteur du cinéma par le biais du marché. »
« Ce qui est exceptionnel en France, c’est que c’est une vision politique qui a sous-tendu l’élaboration de notre système de créations des oeuvres cinématographiques. Cela a permis l’éclosion d’un cinéma d’auteur très varié que le monde entier nous envie. »
« Tu parlais du film Atlantique de Mati Diop que l’on a tourné à Dakar. En tournant le film, on a appris qu’au début des années 1990, dans la capitale sénégalaise, il y avait 90 salles de cinéma. En 2019, quand on sort le film, il n’y en a plus que 6 dont la moitié appartient à Vincent Bolloré – qui diffuse un cinéma plus commercial. »
« Dans les pays qui ne défendent pas leur industrie culturelle et leur cinématographie, les salles disparaissent petit à petit. »
« Quand les salles ferment, le cinéma meurt doucement et c’est la société toute entière qui se vulnérabilité. »
« La France rayonne dans le monde grâce au cinéma – il ne faut pas oublier que c’est la France qui a inventé le cinéma. »
« Quand on pense aux cinémas très dynamiques comme le cinéma sud-coréen, ils ont complètement importé le modèle français. »
« Le cinéma, c’est une question de politique culturelle, de vision du monde et du modèle dans lequel on a envie de vivre. »

Sur le cinéma indépendant
« Si l’initiative du film est indépendante, on est sur du cinéma indépendant. »
« Traditionnellement, on disait qu’un film était indépendant, une production qui n’appartenait pas à un groupe de diffusion. Aujourd’hui, il y a un phénomène qui est apparu en France, c’est une concentration dans des groupes avec des composantes parfois étrangères, parfois adossés à des fonds d’investissement. »
« Je me méfie de la question “est-ce qu’il y a trop de films ?” parce que la question qui se pose immédiatement après, c’est “quelle est l’instance légitime pour juger les films en trop ?” Ce sont ceux qui ne marchent pas ? Le cinéma d’auteur qui fait moins d’entrées que le cinéma commercial ? »
« Ce qui est beau dans l’hyper-vitalité du cinéma en France, c’est qu’il y a énormément de cinémas différents. »
« Je pense qu’il faut faire beaucoup de films pour qu’on ait des perles. »
« En France, le cinéma a été victime de sa propre hybris : il a cru qu’il n’était pas obligé de prendre le virage de la communication digitale. Or, tout un pan du public s’informe plus en ligne que sur les médias traditionnels. »

Sur l’académisme
« Oui, il y a un académisme dans le cinéma – comme dans tous les arts – et il faut toujours essayer de se battre pour proposer d’autres manières de montrer le monde et de créer des récits. »
« On est dans une époque où les conventions se sont beaucoup durcies autour d’une manière de financer les films basée sur le scénario. Certains cinéastes disent de manière très belle qu’il ne faut pas écrire des scénarios mais des films. »
« Le cinéma a une mauvaise réputation de club fermé : ce qu’il est. Il y a beaucoup de reproduction sociale et familiale mais il y a parfois des gens nouveaux qui débarquent qui balancent un film : Mati Diop, Ladj Ly… »
« Il faut un grand plan de relance du cinéma pour communiquer massivement sur ce que c’est que la salle, qu’on baisse le prix des tickets, qu’on dédramatise l’expérience de la salle. »
« La parole fabrique de la réalité, les mots fabriquent une vision. »

Sur le cinéma et la politique
« La vraie crise du cinéma ne se situe pas au niveau du marché, mais au niveau politique. »
« La culture, c’est la société et la culture, c’est la société. »
« On a le droit à une succession de gens, à la tête du ministère de la culture ou du CNC, qui n’étaient pas intéressés par le cinéma ni même par la culture… C’est un de nos problèmes. »
« Le cinéma, c’est aussi une pratique : les techniciens, les réalisateurs etc doivent pouvoir partager leurs réflexions, leurs expériences et leurs désirs pour inventer le cinéma de demain. »
« Au fil des années, on s’est complètement fait éjecter des réflexions sur le modèle : le CNC a été créé dans une concertation entre pouvoirs publics et professionnels. Il y a quelques années, en 2009, un conseil d’administration a été créé à l’intérieur même du CNC et dans lequel il n’y a plus de professionnels mais que des pouvoirs publics. Le CNC a donc maintenant une vision qui appartient à la sphère politique et qui décide de notre système d’organisation. Et cela nous rend tributaires des différents gouvernements. »

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