Frédéric Sawicki à propos de la NUPES : « On est en train de reparlementariser notre vie politique »
Week-end très politique avec la naissance à gauche de la NUPES (Nouvelle Union Populaire Écologique et Sociale). Quelles conséquences à gauche et pour la majorité présidentielle ? Frédéric Sawicki, professeur de science politique, est l’invité de #LaMidinale.
UNE MIDINALE À VOIR…
ET À LIRE…
Sur l’alliance de la NUPES
« Rien n’est jamais naturel dans la vie sociale et politique mais il y a une naturalité qui s’explique par l’état des rapports de force et des règles du jeu politique. »
« Il était assez logique d’anticiper qu’il y aurait une pression à une convergence ou à des accords minimums qui par le passé ont concerné le PS et le PCF – même quand ils n’étaient pas d’accord. »
« On aurait pu penser que l’actualité ukrainienne en pleine présidentielle aurait créé des fractures au sein de la gauche. Ces fractures demeurent mais elles ont été surmontées pour des raisons d’opportunités. »
« Pour des partis comme le parti communiste, le parti socialiste ou écologiste qui ont fait moins de 5% à l’élection présidentielle, la survie même de l’organisation supposait de pouvoir espérer rembourser les dépenses non remboursables du fait de ne pas avoir obtenu 5%, les rendait très dépendants du fait d’obtenir ou pas des députés. C’était un profond stimuli. »
« Du côté de LFI et de Jean-Luc Mélenchon, il faut quand même saluer le fait qu’à la différence de 2017 d’emblée, sans attendre le deuxième tour, Mélenchon et son mouvement ont joué la carte des élections législatives. »
« On aurait pu imaginer que, poussés par le ressentiment et la déception, Mélenchon et les siens adoptent une position de revanche et de volonté d’hégémonie totale et d’élimination du PCF, du PS et des verts. Ça n’est pas ce qu’ils ont fait. La sagesse l’a emporté. »
« LFI est encore un parti qui a peu de relais et de figures locales contrairement aux socialistes, communistes et écologistes. Il aurait été suicidaire de se priver de ces relais là pour gagner une majorité à l’élection législative. »
« Cette convergence d’une stratégie sage s’est en partie traduite sinon des renoncement du moins des édulcorations sur un certain nombre de propositions programmatiques, a favorisé une espèce de mariage qui n’est pas un mariage global : on n’est pas dans le cadre de la polygamie, on est dans une succession de relations monogames. »
Sur le caractère programmatique et politique de l’accord
« La dynamique première de l’accord vient d’abord de la contrainte du jeu électoral et de la survie des organisations partisanes. »
« La France insoumise a accepté de tendre la main très largement, ce qui n’était pas évident dès le départ. »
« Les écologistes et les socialistes ont accepté d’avaler un certain nombre de couleuvres notamment sur la question européenne. »
« Un tel accord reste assez peu précis dans les détails de ce que serait une politique à mener et on peut penser que ça déboucherait immanquablement sur des difficultés pour mettre un contenu précis. »
Sur l’état des rapports de force à gauche
« Les 22% de Mélenchon ne correspondent pas à un vote d’adhésion total au programme de Jean-Luc Mélenchon – c’est rarement le cas pour une élection présidentielle, ça l’est encore moins dans cette configuration-là. »
« Beaucoup d’électeurs se sont mobilisés au dernier moment pour faire barrage à Marine Le Pen, en votant pour le candidat qui avait l’expérience, le charisme, qui a su incarner une opposition forte au gouvernement d’Emmanuel Macron. À partir de là, les autres partenaires de la gauche étaient tout à fait fondés à considérer que le poids électoral de cette élection présidentielle n’était pas représentatif. »
« Les élections régionales, municipales et européennes ont montré qu’il y avait un électorat instable et très partagé entre les écologistes, socialistes, communistes, insoumis voire même quelques macronistes. »
Sur les discussions et les négociations à gauche
« Si on prend l’histoire des accords programmatiques à gauche, notamment le programme commun en 1981, cela ne s’est pas fait sur un coup de dés ou sur une seule élection. Tout a pris de longues années. Donc là, nous pouvons déplorer qu’entre 2017 et 2022, il n’y ait jamais eu de rencontres pour négocier. Tout cela s’est fait dans la précipitation. »
« Une des raisons pour lesquelles je suis plutôt optimiste, est qu’on est en train de reparlementariser notre vie politique. C’est à dire qu’il s’agit -non pas de dire que le programme sera celui-là à la virgule prêt- mais qu’il y a des orientations qui vont dans le bon sens, et qui seront ensuite discutées par une majorité parlementaire, qui resterait plurielle. La France insoumise a accepté que chaque groupe continue d’avoir sa propre autonomie. »
« Cela prend en compte la complexité des questions posées, par exemple sur le sujet du nucléaire. Nous ne pouvons pas imaginer que la France sorte du nucléaire ou y reste, simplement suite à une négociation de coin de table. »
Sur la ligne politique du Parti socialiste
« Du côté insoumis, on voit bien une centralité autour de Jean-Luc Mélenchon. Preuve en est, si la décision de s’allier avec le parti socialiste, était passée par les militants, on n’est pas sûr que cela serait passé. Il y a une haine des socialistes du côté des militants insoumis. »
« Le fait qu’Olivier Faure ait accepté d’entériner la loi El Khomri, a été un acte très fort d’un point de vue symbolique. Cela veut dire que les socialistes réfutent une partie non négligeable du bilan de François Hollande. Et là ce n’est pas de la tactique : il y a depuis 2017 une forte opposition dans le parti socialiste entre ceux qui considèrent que le quinquennat Hollande a permis un certain nombre d’avancées -le mariage pour tous mais aussi la prise en compte de la pénibilité au travail- et ceux qui considèrent que globalement cela a été un échec. »
« Et là, Olivier Faure a saisi avec son équipe, l’occasion de solder le bilan du quinquennat Hollande, c’est une manière de reconnaître que le parti socialiste a un regard lucide et critique sur ce qui a été fait. Il serait donc prêt à refonder quelque chose d’autre, et passer dans un nouveau cycle de son histoire. »
« Le monde des partis politiques n’est pas déconnecté des différentes idéologies qui existent dans la société. L’idéologie néo-libérale a profondément pénétré la société, y compris dans les classes populaires, qui considèrent que le travail est quelque chose de bien, et qu’il faut récompenser le mérite. Voir même à considérer que ceux touchant les aides vivent aux crochets de la société. »
« Le parti socialiste a perdu un électorat au profit d’Emmanuel Macron voulant des réformes sociales tout en continuant l’économie de marché. Rester sur une position politique, qui est celle d’une gauche radicale, est se condamner à rester longtemps minoritaire. Une grosse minorité certes, mais une grosse minorité reste une minorité. »
Sur les risques de dissidences
« Dans ce système d’élection, il y aura toujours des dissidences car les partis ont tendance à utiliser ces élections pour parachuter des candidats, ou faire des accords avec les autres partis, et localement les militants ne sont en général jamais contents des décisions prises par le haut. »
« Nous avons un parti insoumis derrière une figure très centralisée, qui va investir des candidats avec une légitimité faiblement démocratique. Je ne sais pas si les militants de la France insoumise de Villeurbanne sont absolument ravis à l’idée d’avoir à soutenir Gabriel Amard. De voir des candidats qui non seulement ne sont pas du parti des militants écologistes, socialistes ou communistes, et qui en plus vont devoir soutenir des candidats sans légitimité territoriale, ne peut que créer des résistances. »
« Le PS ou le PCF ne peuvent rien faire contre les dissidents, à part les exclure ou les priver de financement, mais cela n’a jamais empêché les dissidences. On verra bien, mais on peut s’attendre à un nombre de dissidences importantes ».
Sur l’attentisme d’Emmanuel Macron
« Macron a déjà évolué ne serait-ce qu’en s’engageant à désigner un premier ministre qui ait une sensibilité sociale et environnementale marquée. Ça veut plutôt dire qu’il irait chercher son Premier ministre vers le centre-gauche. »
« Là où Macron est embêté, c’est qu’il doit composer avec le passé – à commencer par ses anciens ministres qui estiment que leur place est importante et qu’ils doivent être reconduits. »
« Macron a beaucoup marginalisé Edouard Philippe. »
« La stratégie pour l’instant est plutôt une stratégie centriste et centrale : ne pas trop se marquer à droite et puis envoyer des signaux. »
« Je pense qu’on peut s’attendre à un Premier ministre qui sera de sensibilité social-écolo, pas trop techno. »
« Il y a une fébrilité de la part de la majorité présidentielle. »
« La grande inconnue, c’est le taux de participation. »
« Il y a eu une frustration d’une campagne présidentielle très courte et on peut s’attendre à une participation plus importante qu’attendue aux législatives. »
« Il y a beaucoup d’éléments qui peuvent perturber le jeu des législatives pour Macron avec notamment la possibilité de triangulaires plus nombreuses qu’attendues si la participation est plus importante. »
« L’hypothèse d’une majorité relative est très forte de même qu’aucun bloc n’ait de majorité à lui tout seul. »