Chômage : comment le gouvernement va « honnêtement » vous mettre à l’amende

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La Macronie s’en prend encore aux droits sociaux, cette fois-ci avec une réforme de l’assurance chômage. Notre chroniqueur éco vous explique l’ampleur des dégâts.

Jeudi 17 novembre, le Parlement a définitivement adopté une nouvelle loi sur l’assurance chômage. Elle permet au gouvernement de décréter une baisse des droits des assurés. Cela sera fait dès le début de l’année prochaine. À partir du 1er février 2023, la durée d’indemnisation pour les chômeurs de France métropolitaine, nouvellement inscrits à Pôle emploi, sera abaissé de 25%. Jusqu’ici, dix mois de travail donnaient droit à dix mois d’allocations chômage, 20 mois à 20 mois, jusqu’à une durée maximale de 24 mois. À partir du 1er février, dix mois de travail donneront droit à 7,5 mois d’indemnisation, 20 mois de travail à 15 mois d’allocations. Avec un minimum de six mois d’indemnisation, et une durée maximale de 18 mois.

 

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« 18 mois, c’est suffisant »

Le 22 novembre au matin, le porte-parole du gouvernement Olivier Véran est allé sur CNews pour y déposer ce commentaire : « Honnêtement, dans la période que nous connaissons, 18 mois pour trouver un travail, avec un taux de chômage de 7% et qui continue de baisser, c’est suffisant ». Quand mon interlocuteur commence sa phrase par « honnêtement », je me méfie. S’il s’exprime ainsi, c’est qu’au fond de lui-même, il sait qu’il va proférer un gros bobard.

J’ai vérifié. Olivier Véran a dit vrai pour :

  • Agnès Buzyn, ministre de la Santé, démissionne du gouvernement le 16 février 2020, rejoint le cabinet du directeur général de l’OMS Tedros Ghebreyesus le 4 janvier 2021, est nommée conseillère-maître à la Cour des comptes à partir du 1er septembre 2022.
  • Richard Ferrand, président de l’Assemblée nationale de 2018 à 2022, battu aux élections législatives le 19 juin 2022, a crée la société de conseils Messidor, le 2 août 2022 et pourra cumuler, dans la limite de son ancienne rémunération, son allocation chômage et les revenus tirés de sa société.
  • Christophe Castaner, député et président du groupe LREM de 2020 à 2022, battu aux élections législatives le 19 juin 2022, nommé par décret membre du conseil de surveillance du grand port maritime de Marseille, le 8 novembre, désigné président de ce conseil, le 25 novembre, nommé par décret président du conseil d’administration de la société concessionnaire française pour la construction et l’exploitation du tunnel routier sous le Mont-Blanc, le 17 novembre.
  • Brigitte Bourguignon, ministre des gouvernements Castex puis Borne, battue aux législatives en juin 2022, démissionne le 4 juillet du gouvernement, nommée inspectrice générale des affaires sociales le 31 août 2022.
  • Élisabeth Wargon, secrétaire d’État puis ministre depuis 2018, battue aux élections législatives de juin 2022 et nommée présidente de la Commission de Régulation de l’Énergie (CRE) en août 2022.
  • Amélie de Montchalin, secrétaire d’État, puis ministre depuis 2019, battue aux élections législatives de juin 2022, démissionne le 4 juillet avant d’être nommée, en conseil des ministres, ambassadrice représentante permanente auprès de l’OCDE, le 23 novembre – elle remplacera l’ancienne ministre du Travail Muriel Pénicaud, en poste depuis août 2020 qui, elle-même, remplaçait Jean-Pierre Jouyet…
  • Jean Castex, Premier ministre du 3 juillet 2020 au 16 mai 2022, nommé PDG de la RATP le 23 novembre 2022.
  • Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Éducation nationale depuis 2017, démissionne après avoir été battu au premier tour des élections législatives de juin 2022. Depuis septembre 2022, il est professeur de droit public à l’université Paris II, sur un poste directement affecté à cette université par son université d’origine.
  • Julien Denormandie, ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation dans le gouvernement Castex, n’a pas été reconduit en mai 2022, est recruté, en septembre, comme « chef impact officer » par l’entreprise Sweep, société de conseils aux entreprises, pour la gestion du carbone, avant d’être recruté, le 27 octobre, comme senior advisor par le fonds d’investissement RAISE.
  • Didier Lallement, préfet de police de Paris de mars 2019 à juillet 2022, nommé secrétaire général de la mer le 26 septembre 2022.

Mais Olivier Véran a dit faux :

Et il dit faux, aussi, parce qu’avec la précarisation des emplois, tous les demandeurs sont loin d’avoir accès à la durée maximale d’indemnité. En fait, seuls 37% des chômeurs sont indemnisés par l’Unedic. Et au moins 25% des trois millions de chômeurs de catégorie A ne réclament pas leur allocation, essentiellement chez les plus précaires.

François Lenglet aussi !

« Honnêtement, c’est une réforme de bon sens », a dit presqu’au même moment François Lenglet sur RTL

À croire qu’ils s’étaient passés le mot. Celui-ci est, il est vrai, plus que symbolique. Il fait entendre que la différence entre les demandeurs et les demandeuses qui trouvent un emploi en moins de 18 mois et celles et ceux qui n’en trouvent pas se situe sur le terrain de l’honnêteté.

Le chômeur, ce paresseux en puissance

Éffectivement, la suspicion bat son plein sur BFM Business ou chez les éditorialistes de l’Opinion ou des Échos. Les superprofits ne seraient pas là où le disent les députés de la NUPES. Mais dans la poche des demandeurs d’emploi indemnisés trop longtemps, qui abusent de leur position dominante et des largesses de l’État. Selon ces commentateurs, le gouvernement fait un pas dans la bonne direction. Mais, pour mieux faire avaler la pilule, ils expliquent qu’elle est encore bien douce.

Ainsi, Jean-Francis Pécresse , éditorialiste des Échos, trouve que la réforme est encore trop laxiste, face à toute cette armée de profiteurs tricheurs : « La réduction de 25% de la durée d’indemnisation du chômage ne remet pas en cause la générosité de Pôle emploi… Là est la limite de ces réformes paramétriques : elles resteront assez inefficaces aussi longtemps que Pôle emploi – ou, pourquoi pas, des organismes privés dédiés à cela – ne suivra pas au jour le jour les chômeurs dans leurs recherches, afin de les presser de reprendre une activité, fût-elle moins bien payée ou dans un autre secteur que la précédente. » Et Nicolas Beytout, le patron de l’Opinion, d’expliquer : « La composante incitation au retour à l’emploi est déterminante dans la lutte contre le chômage. Le premier quinquennat avait permis de cocher la case « flexibilité », avec les ordonnances travail (qui restent, dans le domaine social, la meilleure « réforme Macron » à ce jour). Mais le dispositif n’avait de chance d’atteindre sa pleine puissance qu’à la condition de restreindre la durée de versement des allocations chômage. En somme, au volet assouplissement du régime des suppressions d’emploi, il fallait ajouter un aiguillon pour sortir de la situation de chômeur ».

Bien entendu, la théorie de l’aiguillon a été reprise par Dominique Seux sur les antennes de France Inter ce vendredi 25 novembre. Pour preuve, selon lui, la France est le pays qui cumule les meilleures indemnisations chômage et les plus grosses difficultés de recrutement… Sauf que c’est faux, comme l’a fait remarquer l’économiste Éric Heyer.

Dominique Seux prétend aussi que des études ont montré que la recherche d’emploi est plus active quand s’approche la fin des indemnisations. Esther Duflo avait, la veille, expliqué sur France Culture : « Les réformes qui rendent l’assurance chômage plus stricte ont un effet très clair. Elles réduisent la qualité de l’assurance. Mais aucun effet très clair sur la désincitation au travail ».

Et l’économiste Clément Carbonnier expliquait, sur Public Sénat, deux jours auparavant : « Il y a un plus grand nombre de réponses lorsque approche la fin des indemnisations. Mais sur des emplois qui n’ont rien à voir avec les qualifications des demandeurs, sur des CDD courts, des emplois à temps partiels. Cela n’améliore pas la situation de l’emploi ».

C’est dire combien sont ridicules les termes de langage des barons de la Macronie en défense de cette réforme. Tels ceux d’Olivier Dussopt qui « attend 100 à 150.000 retours à l’emploi en plus en 2023 avec la réforme ». Sans jamais expliquer d’où il tire ces chiffres. Ou ceux de Marc Ferracci, député LREM et rapporteur de la loi qui affirme que « la réforme de l’assurance-chômage vise à répondre aux pénuries de main-d’œuvre qui pénalisent les Français dans leur vie quotidienne ».

Ah bon ? Une réforme qui, comme le souligne Laurent Berger, va pénaliser des demandeurs d’emploi en formation, les travailleurs précaires, les aides à domicile. Et comment elle fait cette réforme pour créer ici et maintenant des emplois dans la santé, dans l’éducation, à l’université ou dans les transports collectifs ? « Arrêtez de nous prendre pour des couillons ! », a bien résumé le secrétaire général de la CFDT.

La France des assistés ?

Le gouvernement justifie la baisse de la durée d’indemnisation par le taux de chômage (au sens très restrictif du Bureau International du Travail)[[Un chômeur au sens du Bureau international du travail (BIT) est une personne âgée de 15 ans ou plus qui est sans emploi au cours de la semaine de référence, est disponible pour travailler dans les deux semaines à venir et a effectué, au cours des quatre dernières semaines, une démarche active de recherche d’emploi ou a trouvé un emploi qui commence dans les trois mois. Pour les derniers résultats trimestriels parus (troisième trimestre 2022, voir ici.]] de 7,3%. La durée actuelle d’indemnisation serait rétablie si le taux de chômage passait au-dessus de 9% ce qui ne pourrait provenir que d’une grande dépression ou d’une longue récession. L’économiste Olivier Bouba Olga, spécialiste de l’économie des territoires a publié sur Twitter une analyse critique rigoureuse et ravageuse de cette réforme.

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[cliquez sur la carte pour l’agrandir]

 

Le taux de chômage officiel de 7,3%, explique-t-il, varie entre 3,5% et 14,1% selon les territoires de France métropolitaine ? « Serait-on plus fainéant à Adge-Pézenas, Maubeuge ou Alès, qu’aux Herbiers, à Vitré ou à Beaune ? […] Si on rejette cette hypothèse explicative, cela signifie ipso facto qu’on reconnaît que le fait de rester au chômage ne résulte pas que d’un problème d’incitation, mais d’un ou de plusieurs autres problèmes, que la réduction de la durée d’indemnisation ne réglera pas […] Dès lors, en réduisant la durée d’indemnisation de tous les chômeurs, on risque d’en plonger beaucoup dans la précarité (sans que l’on ait pris le temps d’en évaluer le nombre, soit dit en passant) ». Conclusion d’Olivier Bouba Olga : « L’analyse géographique des taux de chômage est donc redoutable : elle conduit soit à formuler une hypothèse explicative absurde de la situation (on aurait une géographie des assistés), soit à rendre absurde la politique adoptée (qui ne répond pas aux problèmes identifiés) ».

Derrière l’absurdité d’une politique

Pour Laurent Berger, l’objectif principal de cette réforme est de réaliser 4 milliards d’économie sur les dépenses d’allocations chômage financées pour plus d’un tiers par les recettes publiques (CSG). C’est sans doute une raison de la réforme. Cela dit aussi la brutalité du dispositif puisque cela correspond à 10% d’économie sur le budget 2021 de l’Unedic. Mais cela ne dit pas l’essentiel de la philosophie et des objectifs de cette réforme. Il ne s’agit pas seulement de peser sur les chômeurs mais aussi sur celles et ceux qui ont un emploi. « Cela va avoir un impact sur les négociations salariales dans les entreprises », explique Clément Carbonnier.

C’est toujours la même politique de baisse du coût du travail. Mais dans un nouveau contexte. Avec de nouveaux moyens. En poussant toujours plus loin le bouchon. Mais avec le même objectif affiché et illusoire que l’insécurité sociale des travailleurs permettra d’augmenter les emplois.

 

Bernard Marx

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