Cécile Alduy : « Zemmour utilise tout un outillage de procédés pour nous empêcher de penser »
Si Zemmour utilise les mots comme des armes, de quoi la langue de Zemmour est-elle le nom ? Cécile Alduy, sémiologue, auteure de La Langue de Zemmour aux éditions du Seuil, est l’invitée de #LaMidinale.
UNE MIDINALE À VOIR…
ET À LIRE…
Sur ce que révèle le langage
« Le langage révèle des sociolectes, c’est-à-dire qu’il dit quelque chose du milieu dans lequel on a grandi. Il relève aussi des idiolectes, c’est-à-dire qu’il révèle des tics de langages particuliers à une personne qui dénotent son rapport au monde, ses goûts et ses affinités. Et surtout, le langage, c’est de la pensée. »
« On pense que les mots ne sont qu’un moyen de communication. Ça n’est pas juste une forme qui serait transparente. Les mots qu’on utilise encadrent le débat et donc sont plus que du sens, que le sens des mots : ils impliquent une vision du monde. »
« Le langage peut trahir les cadres de pensée. Par exemple, Emmanuel Macron a un langage managérial. Ça n’est pas nécessairement intentionnel mais c’est appris. C’est acquis. »
« La langue est éminemment sociale et traduit d’où l’on vient – qu’il s’agisse des milieux soit politiques, soit professionnels. »
« Le langage peut s’apprendre par mimétisme, par insinuation ou intoxication. »
« Il y a des langages qu’il y a 20 ou 30 ans étaient tabous et qui se sont inséminés dans la société française – je pense notamment au langage de l’extrême droite. »
« Le langage est une construction sociale. »
Sur Zemmour et Hitler
« Au moment du premier confinement, Zemmour sort dehors dans Paris et la première chose à laquelle il pense, ça n’est pas de savoir comment il va faire ses courses en une heure ou d’avoir une pensée pour les gens qui ont perdu leur emploi mais il pense à Hitler débarquant dans Paris désert. Convoquer l’occupation de Paris – un des moments traumatiques de l’histoire de France – est extrêmement choquant. D’autant qu’il le transpose à notre présent comme si c’était anodin. »
« La manière dont il présente Hitler est celle d’un touriste qui déambule dans Paris et il trouve ça très joli. Et deux secondes après il s’interroge : est-ce qu’il pensait vraiment à Hitler ou est-ce qu’il s’agit de souvenirs de La Grande Vadrouille. Il se moque de lui-même. D’un côté, on a cette image paniquante d’un Paris envahi par Hitler et de l’autre il essaie de nous faire rire et de prendre ça à la légère, comme si ça n’était pas vraiment grave de penser Hitler quand on voit Paris désertée. »
« Zemmour et ses proches essaient de nous faire une sorte de grand LOL généralisé sur les imaginaires de l’extrême droite. C’est une manière de minimiser les référents historiques qui structurent notre champ politique. »
Sur les effets de la langue de Zemmour
« Zemmour utilise tout un outillage de procédés pour bloquer la pensée de ses adversaires mais aussi de ses soutiens. »
« Zemmour manie constamment la peur avec un discours terrorisant. »
« Zemmour utilise un univers mental anxiogène et qui suscite tout à la fois la peur et le rire. »
« La langue de Zemmour crée des automatismes qui caractérisent les gens en ennemis ou en alliés. »
« Le monde de Zemmour est manichéen. Il n’y a pas de différence acceptée entre les gens ou les cultures, c’est forcément des oppositions conflictuelles. »
« Ce discours manichéen met des catégories sur les gens et entraîne l’auditoire à filtrer leur vision du monde et des autres avec ces catégories. »
« Ce qui m’a énormément choqué et frappé, c’est l’abondance du vocabulaire racial chez Zemmour. Le mot « juif » est plus utilisé que les mots « social » ou « économique ». »
« Il faut essayer de se déprendre de l’emprise de Zemmour (…). Il faut créer de la distance entre le discours de Zemmour et notre réception pour le prendre comme une opinion et non comme une vérité. »
Sur le rapport de Zemmour aux femmes
« L’avantage de Zemmour c’est qu’il est très explicite. Sa misogynie s’étale à toutes ses pages. »
« Il parle de la mixité scolaire entre les filles et les garçons comme d’un totalitarisme. »
« Au-delà de sa misogynie vraiment très explicite – il pense que les femmes ne devraient jamais être près du pouvoir car tout pouvoir efféminé est un affaiblissement -, il y a aussi des choses qui lui échappent : la manière dont il décrit les femmes est aussi extrêmement méprisant : elles sont soit hystériques soit des potiches. »
« La vision des femmes de Zemmour le renvoie à un système de pensée à la fois très banal et très ancien qui est la pensée réactionnaire, conservatrice et anti-républicaine qui est contre l’égalité des droits – droits des femmes ou des minorités -, et qui pense qu’il y a des hiérarchies naturelles : le chef de famille au-dessus de tous les autres. Le groupe au-dessus des individus. »
« En proposant 10.000€ à toutes les familles qui auraient des enfants en zone rurale, Zemmour traite les femmes comme des ventres. »
« Zemmour a une politique nataliste explicitement nationaliste. »
« Zemmour utilise les femmes comme une arme démographique. »
Sur la langue de Zemmour par rapport aux autres hommes/femmes politiques
« La langue de Zemmour a une grande influence. On le voit quand Valérie Pécresse reprend le terme de « grand remplacement » ou quand Emmanuel Macron donne une interview à Valeurs Actuelles dans laquelle il parle de « droit de l’hommisme ». Cnew parle la langue de Zemmour. »
« Il y a eu un bouquin sur la langue du IIIe Reich. Il y a un sociolecte qui se développe et impose un cadre de pensée et donc de théories comme le grand remplacement qui se diffuse chez les hommes politiques. »
« La stratégie de l’extrême droite version Zemmour c’est de réhabiliter le discours de Jean-Marie Le Pen alors que tout le travail de Marine Le Pen a été de normaliser, d’adoucir, d’euphémiser ses propres propositions. »
« Ce qui est important derrière Zemmour, c’est le moment historique que l’on vit où il devient acceptable et même rentable politiquement et médiatiquement d’avoir un discours ouvertement xénophobe, raciste et misogyne. »
Sur le référentiel de la langue de Zemmour
« La langue de Zemmour n’a pas à voir avec la langue d’Hitler en tant que personne mais elle a à voir avec la langue du IIIè Reich qui était une manière de contrôler la manière de parler de tous les allemands et de favoriser un certain nombre de mots du vocabulaire dont on pervertit le sens. »
« Il faut prendre Zemmour non pas comme individu mais comme discours. Comme influence linguistique sur les gens et donc la façon de pensée. »
« Je pense que l’idéologie de Zemmour se rapproche de celle d’un mouvement autoritaire, antidémocratique. Il est très clairement antirépublicain. Il place très clairement la France au-dessus de la République. Ça devrait alerter. »
« Le discours de Zemmour c’est vraiment comme le serpent Kaa qui vous happe, vous fige et vous paralyse. Et c’est vrai aussi pour les opposants politiques qui ne savent pas comment répondre. »
« Zemmour est doué pour manipuler le langage. L’art de mettre les gens dans sa poche. Il est en même temps un piètre lecteur. Il ne sait pas citer un livre sans le déformer. Il maltraite la langue. Il essor les mots de leur contenu et inverse le sens des mots en permanence. »
Sur la « langue » de la gauche
« Il manque à la gauche une stratégie de communication et même de propagande – au sens de propager les idées. »
« Le discours de la gauche est extrêmement nuancé, subtil et théorique. Très abstrait. Or l’abstraction ne parle pas au cerveau comme des images ou des récits le font. »
« La gauche est sur la défensive en permanence. On parlait de la droite complexée il y a vingt ans. Aujourd’hui, c’est la gauche qui est complexée. Elle n’assume pas d’être de gauche. De poser haut et fort certaines valeurs et de les marteler. »