À trois semaines des européennes : sauve qui peut !

UE polls

Pour le 9 juin prochain, bien des incertitudes demeurent. La litanie des sondages laisse se dessiner une forte poussée de l’extrême droite, en France comme dans la majorité de l’UE.

Nous connaissons désormais les 37 listes – oui, 37 ! – qui concourront, en France, au scrutin européen de juin prochain. À l’échelle européenne, on ne s’attend pas à une rupture aussi grande qu’elle était évoquée il y a quelques mois à peine. Le groupe de la droite libérale du Parti populaire européen (PPE) et celui des sociaux-démocrates (S&D) pourraient se maintenir plus ou moins à leur niveau actuel (qui est respectivement de 176 et 139 députés).

En revanche, les centristes de Renew Europe (RE, dont font partie les députés français macronistes) et les Verts seraient en recul. Quant à la Gauche unie européenne (GUE), elle est dans l’incertitude, tant du point de vue de ses effectifs que de ses équilibres internes (avec l’effondrement de la composante communiste et la poussée de forces plus ou moins populistes, comme celle de Sahra Wagenknecht en Allemagne).

Mais si les extrêmes droites ne devraient pas renverser la table de la « gouvernance » européenne, elles sont bien parties pour enregistrer une solide percée, qui les mettraient numériquement au niveau des libéraux (en additionnant les sièges d’Identité et Démocratie, des Conservateurs et réformistes européens et d’une partie conséquente des non-inscrits). Un séisme est donc improbable, mais ce qui se profile est une nette droitisation de l’espace politique européen, la gauche ne tirant son épingle du jeu que dans quelques territoires où elle est pour l’instant en tête des sondages (Suède, Danemark, Lituanie, Irlande, Wallonie).

Le Parlement actuelSondages récents
Groupes au ParlementDéputés sortantsPolitico (1)Europe Elects (2)
Groupe du Parti populaire européen (PPE)176174183
Alliance progressiste des socialistes et démocrates au Parlement européen (S&D)139144135
Renew Europe (RE)1018586
Groupe des Verts/Alliance libre européenne (Verts/ALE)724348
Conservateurs et réformistes européens (CRE)697086
Identité et démocratie (ID)588484
Groupe de la gauche au Parlement européen (GUE/NGL)373244
Non-inscrits524148
(1) https://www.politico.eu/europe-poll-of-polls/
(2) https://europeelects.eu/2024/05/03/april-2024/

Et en France…

Le paysage français s’inscrit pour l’instant dans cette dynamique. Une fois de plus la participation s’annonce modeste, à ce jour au-dessous de la barre des 50%. Peu à peu, les opinions se fixent, mais l’incertitude demeure. Selon les instituts, entre un cinquième et un tiers des personnes interrogées affirment qu’elles peuvent encore changer d’avis.

Les déclarations de vote les plus sûres concerneraient en premier lieu le RN (qui caracole en tête des sondages) et, dans une moindre mesure, la liste de Valérie Hayer, beaucoup plus à la peine. Les incertitudes sont plus grandes pour la liste de Marie Toussaint, de François-Xavier Bellamy et de Raphaël Glucksmann pour certains sondeurs. Quant à Manon Aubry, elle disposerait d’un socle de certitude allant de 2/3 à 4/5.

Il convient de rappeler une fois de plus la prudence qui doit accompagner la lecture des sondages. Les estimations varient selon les instituts et obligent à tenir compte de marge d’erreur pouvant aller de 1,5 à 3% selon le niveau atteint. Pour lisser les résultats, on peut recourir toutefois à la moyenne des sondages réalisés. Celle qui est présentée ci-dessous porte sur les sondages publiés entre le 13 et le 17 mai. Les chiffres retenus sont ceux des principales formations, auxquels on ajoute les totalisations par famille politique. Par comparaison, on indique aussi la moyenne des sondages réalisés au même moment en 2019, au moment de la publication définitive des listes. On y ajoute le résultat obtenu in fine en mai 2019.

 Moyenne à 3 semainesRésultat 2019
 20192024
LFI8,77,46,3
PCF2,92,42,5
PP-PS5,013,96,2
EELV7,85,813,5
REN22,316,422,4
LR13,27,18,5
RN23,331,623,3
EXT GAU+PC+LFI12,611,19,6
PS-EELV-PRG16,420,823,0
TOTAL GAUCHE29,131,832,5
DROITE37,026,633,4
EXT DROITE31,339,429,2
TOTAL DROITE68,366,062,6

La France insoumise – surestimée dans les derniers sondages en 2019 – serait au-dessus de son score de 2019. Le PS (légèrement sous-estimé en 2019) et les Verts (très sous-estimés au même moment) tendraient à inverser leurs résultats de la précédente consultation. La liste Hayer paierait lourdement l’addition du discrédit de l’Élysée et la droite classique, surclassée par le RN et talonnée par Reconquête, poursuivrait l’érosion de ses positions antérieures. 

Si l’on projette les estimations moyennes des 13-17 mai sur le résultat final de juin, cela donnerait l’évolution suivante :

200920142019Moyenne 13-17 maiÉcart 2024-2019
EXT GAU+PC+LFI12,27,99,611,1+1,5
PS-EELV-PRG33,226,123,020,8-2,2
TOTAL GAUCHE45,434,032,531,8-0,7
DROITE43,136,733,426,6-6,8
EXT DROITE6,924,929,239,4+10,2
TOTAL DROITE49,961,662,666,0+3,4

L’élection européenne n’est historiquement pas la plus favorable à la gauche, qui n’a jamais été majoritaire depuis 1979 et n’a plus jamais approché le seuil des 47% qu’elle avait dépassé de justesse cette année-là. Si l’on en restait aux sondages actuels, elle serait légèrement au-dessus de son score de 2019, mais resterait dans les basses eaux atteintes 2014.

En revanche, l’extrême droite ferait un bond en avant d’une dizaine de points. Dans une droite à son plus haut niveau, le rapport des forces entre droite classique et extrême droite se retournerait, au net bénéfice de la seconde. Une droite en progrès et qui se droitise : difficile d’envisager pire que cette évolution, produite conjointement par l’épuisement accéléré du macronisme et par le déchirement de la droite classique.

Structure des électorats potentiels

Dans une élection de faible participation, où « l’utilité » perçue est plus faible que dans les grands scrutins nationaux, la capacité de chaque liste à mobiliser « son » électorat est l’élément le plus fondamental.

Structure des intentions de vote
Ifop rolling (semaine du 13-17 mai)
 AubryGlucksmannHayerBardella
Vote aux européennes 2019
La France Insoumise5915 12
Place Publique, Parti Socialiste, ND18385
EELV, AEI, R&PS 82954
LREM, Modem, Agir, Radicaux 11745
Les Républicains, Centristes22817
Rassemblement national11184
Vote à la présidentielle 2022 (1er tour)
Jean-Luc Mélenchon3623311
Emmanuel Macron 115558
Valérie Pécresse 31814
Marine Le Pen11188
Éric Zemmour 2235
Proximité politique actuelle
La France Insoumise 68548
Parti socialiste 47844
Europe Écologie Les Verts 1545
Majorité présid. 14786
Les Républicains 2519
Rassemblement national 1 92

La dynamique de mobilisation est sans conteste du côté de Jordan Bardella : parmi les votes exprimés, il recueille la plus grosse part des électorats antérieurs, européen et présidentiel. En outre, il capte une part substantielle des électeurs et des proches de la droite traditionnelle, voire même une petite part des électorats a priori plus éloignés et peut-être tentés par un « dégagisme » heureusement marginal.

Valérie Hayer résiste relativement en conservant les deux tiers du capital électoral et de conviction macroniste, mais ne récupère qu’une part modeste des autres espaces, sur sa droite comme sur sa gauche. Raphaël Glucksmann, quant à lui, s’appuie sur un noyau solide de proches du socialistes, qu’il a réussi à fédérer, malgré les crises antérieures de cet espace. Et, à la différence de Hayer, il semble parvenir à récupérer une part des électorats les plus proches, du côté des Verts principalement, mais aussi du côté de LFI ou d’une petite frange des macronistes déçus.

Pour l’instant, Manon Aubry campe sur un socle de deux tiers des sympathisants insoumis, mais ne capte qu’une part insuffisante de ses électeurs de 2019 et, a fortiori, une part plus faible encore des électeurs de Jean-Luc Mélenchon en 2022. En revanche, elle ne capte qu’une fraction très réduite des autres électorats de gauche. À trois semaines du scrutin, la stratégie de conquête de nouveaux électeurs ne bouleverse pas la donne pour la famille insoumise, dont le résultat reste ainsi incertain. Les abstentionnistes d’hier ne sont pas prêts à être les votants de demain et, s’ils se décidaient à voter, les quelques sondages existants ne suggèrent pas qu’ils le feraient plutôt en faveur de la liste soutenue par Jean-Luc Mélenchon.

Un profil inchangé depuis 2017

Pour l’instant, toujours, le profil des intentions de vote reste dans la continuité des scrutins antérieurs.

Structure des intentions de vote
Ifop rolling (semaine du 13-17 mai)
 AubryGlucksmannHayerBardella
Ensemble7141732
Âge de l’interviewé(e)
18 à 24 ans136543
25 à 34 ans1612531
35 à 49 ans 816838
50 à 64 ans7152233
65 ans et plus2152626
Profession de l’interviewé(e)
Cadres, prof. intellectuelles sup.13221720
Professions intermédiaires7211132
Employé(e)s8111036
Ouvrier(e)s108751
Retraité(e)s3152726
Chômeurs, chômeuses13101034
Niveau d’éducation
2e et 3e cycles du supérieur10191718
1er cycle du supérieur6171729
Baccalauréat8131338
CAP, BEP5102041
Sans diplôme, CEP, BEPC761644
Revenu mensuel (par personne au foyer)
Catégorie aisée (> 2 500 €)7182521
Classe moyenne + (> 1 900 €)6172030
Classe moyenne – (> 1 300 €)7161437
Catégorie modeste (> 900 €)8111636
Catégorie pauvre (< 900 €)129636
Catégorie d’agglomération
Agglomération parisienne 7182122
Com. urbaines de province 8141731
Communes rurales 5121346

Les principales listes en présence retrouvent à peu près les structures repérées en 2022.

Manon Aubry attire plutôt les jeunes électeurs, les urbains des aires métropolitaines et une combinaison originale de formations intellectuelles élevées et de revenus modestes, ceux des catégories intellectuelles jeunes et encore déclassées. Glucksmann touche des populations plus âgées et plus homogènes par leur statut, leur niveaux de revenus et de formation élevées et leur localisation fortement métropolitaine. Valérie Hayer est marginalisée dans la jeunesse, trouve ses bases chez les catégories les plus âgées et les mieux dotées en revenus et en formation.

Quant à Bardella, il retrouve le profil des électorats lepénistes de 2022 : jeune, populaire, installé en dehors des centres métropolitains, de faibles revenus et de formations courtes. Mais ces dominantes doivent être tempérées par le constat d’un profil qui s’est plutôt homogénéisé avec le temps. Le vote en faveur du RN n’est marginalisé dans aucune catégorie ni territoire. S’il culmine à 51% dans l’espace des ouvriers qui votent, il est toujours au-dessus des 20%, sauf chez les individus qui ont bénéficié des formations les plus longues.

L’enjeu des jeunes

L’Ifop vient de publier une enquête sur les jeunes (18 à 25 ans) et les élections européennes de 2024. Ses résultats à double visage méritent attention. Les intentions de vote recensés dans cette enquête sont les suivants :

LO4,0
NPA2,0
PCF3,0
LFI17,0
PS PP8,0
EELV9,0
ENS6,0
LR6,5
RN32,0
REC2,0
EXT GAU+PC+LFI26,0
PS-EELV-PRG19,0
TOTAL GAUCHE45,0
DROITE16,0
EXT DROITE35,5
TOTAL DROITE51,5

Les moins de 25 ans se portent davantage vers la gauche que leurs aînés. Mais quand ils annoncent un vote à droite, ils le font en faveur du Rassemblement national tout autant que leurs aînés.

Ajoutons que l’enquête entre un peu plus dans le détail des tranches d’âge. Si l’ensemble des tranches d’âge votent à 32% pour la liste du RN, le pourcentage atteint les 39% chez les 18-19 ans et même 49% chez les jeunes hommes de cette tranche !

Tout se passe comme si, dans cette catégorie qui vote sensiblement moins que les autres, s’exprimait une propension classique à une certaine radicalité : un quart pour le total de l’extrême gauche, du PCF et de LFI, un gros tiers pour l’extrême droite. Mais, à la différence des « années 68 », cette radicalité peut s’exprimer autour de valeurs régressives et virilistes.

La radicalité est toujours celle d’un air du temps, et le nôtre n’est pas des plus agréables. Mieux vaut le savoir, non pas pour tirer un trait sur le désir de radicalité, mais pour l’orienter vers un équilibre entre le désir nécessaire de rupture et le souci du rassemblement. Si ce n’est pas fait, nous pourrions bien aller vers l’hégémonie d’une radicalité qui n’aurait plus rien avoir avec le vieux « principe Espérance ».

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3 commentaires

  1. Magnus le 21 mai 2024 à 20:52

    « La radicalité est toujours celle d’un air du temps, et le nôtre n’est pas des plus agréables. Mieux vaut le savoir, non pas pour tirer un trait sur le désir de radicalité, mais pour l’orienter vers un équilibre entre le désir nécessaire de rupture et le souci du rassemblement. »

    En somme, il ne faudrait pas croire aux valeurs de la gauche, leur potentiel de convaincre, du coup il faut essayer de créer un espèce de grand alliance défensive sans grande foi, allant de Valls à ?, en espérant repousser l’arrivée de l’extreme droite au pouvoir ?

    Mais c’est d’un pessimisme consternant…

    On le voit partout : au fur et à mesure que les partis comme le PS ont bougé à droite, abandonné les valeurs qui faisaient voter pour eux, ils ont contribué à la droitisation favorable à l’extrême-droite.

    C’est juste incroyable le fatalisme et défaitisme derrière les propos de Martelli.

    Heureusement il y a des jeunes qui ne se laissent pas envahir par cette mentalité. Il est LÀ, l’espoir.

    Choisir entre une extrême-droite qui mène droit dans le mur et une alliance ouverte à la corruption qui fait la même chose, quoique peut-être un peu plus lentement, cela ne peut pas être qualifié d’une véritable choix.

    Cette façon de raisonner de Martelli, style technocrate, plus ou moins dénuée de conviction, à partir de sondages pour les européennes, est tout à fait celle qui n’a fait que contribuer à la montée de l’extrême droite.

    Ça revient un peu à dire « je suis de gauche, certes, mais la société, le système économique en place, est de droite, du coup faut mettre de l’eau dans le vin ». On voit bien que cela ne peut que favoriser l’extrême droite.

  2. Magnus le 21 mai 2024 à 21:11

    « la gauche ne tirant son épingle du jeu que dans quelques territoires où elle est pour l’instant en tête des sondages (Suède, Danemark, Lituanie, Irlande, Wallonie). »

    Etant suédois, je peux affirmer que Martelli se trompe complètement au sujet de la Suède (pour le Danemark aussi, d’ailleurs). Le PS suédois a beau être en tête, c’est bien exactement ce PS suédois droitisé qui fait que le deuxième plus grand parti du pays est d’extrême droite, d’ailleurs le plus grand parti de la coalition derrière le gouvernement suédois actuel.

    Autant dire qu’il n’y a pas d’exemple à suivre parmi les 5 pays énumérés par Martelli.

    Pour récapituler un peu l’histoire de la Suède depuis ce que certains ont qualifié d’un coup d’état en 1985 :

    https://sv-m-wikipedia-org.translate.goog/wiki/Novemberrevolutionen_(Sverige)?_x_tr_sl=auto&_x_tr_tl=fr&_x_tr_hl=fr&_x_tr_pto=wapp

    Cette libéralisation de l’économie suédoise a entraîné une grande crise en Suède, explosion du chômage de plus que 8%, …

    Depuis la face de la Suède a changé : un système de santé avec des privatisations catastrophiques, pareil pour l’école, …

    Les inégalités ont augmentées encore plus qu’en France.

    Alors si le PS suédois était toujours comme dans les années 70, ce que Martelli dit est correct.

    Hélas, on est en 2024… Beaucoup d’eau a coulée sous le pont…

  3. Mini le 22 mai 2024 à 08:15

    Comme le dit Magnus il semble maintenant évident que ce n’est pas en mettant de l’eau dans son vin que la révolution systémique se produira. Alors oui, nous pouvons avoir peur, car hélas nous ne pouvons, tels des observateurs, nous mettre en retrait des combats fratricides qui s’annoncent.
    Car je penses que nous arrivons à un point de bascule : le mur, c’est pour bientôt ! Et après ? Malgré les sondages actuels, peut-on espérer cette mutation ? Est-ce que l’humain aura été lui-même suffisamment bouleversé pour autoriser les changements que nous espérons ?
    C’est dans la douleur qu’ils seront réalisés… Mais sommes-nous prêt ? Ne voulons-nous pas mettre de l’eau dans le vin une dernière fois ?

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