ILLIMITISME

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n.m. Idéologie consistant à nier le réel par la toute-puissance d’un dogme.

En 2016, lorsque Emmanuel Macron y allait de son « sky is the limit », il laissait entrevoir bien plus qu’une simple ambition présidentielle. Une pratique du pouvoir était en germe, faite d’hubris, de hors-sol et d’empiétement sans fin sur le réel. Du même geste, il avertissait : son seul frein serait qu’il soit « un obstacle pour les idées qu’il porte ». Que dire d’un pouvoir qui n’a d’autre limite que lui-même ? Que dit cet illimitisme ?

Ce phénomène atteint un niveau caricatural outre-Atlantique où, boosté aux stéroïdes transhumanistes, il est devenu un label trumpiste. C’est l’extrême droite « no border », celle qui ne reconnaît plus aucune frontière à son pouvoir. L’ordre mondial et ses souverainetés ? La justice et ses juridictions ? Le monde fini et ses limites planétaires ? Rien ne compte pour les courtisans de Trump. Ni même les limites cognitives de l’esprit humain, balayées par le « flood the zone with shit » de Bannon. 

Cette tornade emportera peut-être tout avec elle. Mais dans cette mise en abîme, Emmanuel Macron n’est pas que spectateur. Il est aussi un passeur de témoin, lui-même ayant, méthodiquement et depuis dix ans, refusé toute limite à son pouvoir. 

En s’attaquant et en dénigrant les corps intermédiaires (ceci même lorsqu’il les a lui-même constitués, comme avec la Convention Citoyenne pour le Climat). En brutalisant l’opposition sociale qui exigeait une fin à sa politique en faveur des plus fortunés. En outrepassant le Parlement qui partage avec lui la souveraineté populaire. En excommuniant du champ républicain des oppositions légitimes et populaires. En déployant une politique étrangère erratique, sans souci pour la cohérence ni le respect du droit international.

Nous pourrions égrener longtemps les attaques d’Emmanuel Macron contre ce qui lui fait « limite ». Des contre-pouvoirs aux oppositions en passant par la sédimentation d’une histoire longue, son pouvoir se rêve sans bordure. Mais celui qui, en 2015 cette fois, déplorait « cet absent (qui est) la figure du roi » devrait se rappeler que même l’absolutisme n’est pas un absolu. Sous la monarchie déjà, la France était un État de droit où le pouvoir royal était limité deux fois : d’abord par la doctrine chrétienne, ensuite par les « lois fondamentales ». Et qu’il devait composer – et donc parfois renoncer – avec des contre-pouvoirs institutionnels (le Parlement de Paris) et sociaux (les nobles). 

Emmanuel Macron est sans doute perdu pour la cause. Mais face à ce modèle de pouvoir qui nous épuise et épuise le réel, la gauche gagnerait à prendre conscience et soin de ses propres limites. Ce n’est pas une pensée du renoncement, au contraire : nous sommes aussi ce qui nous borde. 

Simone Weil a écrit justement que « la grande erreur des marxistes et de tout le 19ème siècle a été de croire qu’en marchant tout droit devant soi, on monte dans les airs ». Il est temps d’apprendre à marcher, plus lentement peut-être mais sur le sol. Sans chercher à écraser ni le réel ni les forces voisines, qu’elles soient syndicales, partisanes, associatives, citoyennes. Ce serait redonner du souffle à la démocratie, affaissée par les monologues. Ce serait incarner, enfin, un pouvoir qui ne se rêve pas puissance.

Précisions enfin que cet illimitisme vient, pour qui en doutait, du virilisme. Dans la genèse des idées d’abord, puisque le terme a été inventé par Françoise d’Eaubonne. Pionnière de l’écoféminisme, elle l’a inventé pour nourrir sa réflexion sur les ravages écologiques du phallocratisme. Mais à l’heure où les ingénieurs du chaos se mettent au masculin, disons que Montesquieu touchait doublement juste en écrivant que « c’est une expérience éternelle que tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser »

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