LA LETTRE DU 8 MAI

8 mai 2025 : la mise en scène d’un monde qui s’affronte
par Roger Martelli
La célébration des 80 ans de l’armistice de 1945 s’annonce comme emblématique de la nouvelle partition du monde : Sud global contre Nord global. Autour des enjeux de commémoration, se joue l’affirmation d’ambitions impériales.
Entre le 7 et le 8 mai 1945, à Reims puis à Berlin, l’Allemagne nazie capitule sans conditions, suivie quatre mois plus tard par son allié japonais. Le monde n’a plus qu’à compter ses morts et à relever ses manches pour effacer les ruines.
La commémoration cette année aura une tonalité particulière, avec comme un goût d’amertume. Pendant des décennies, elle fut un moment où l’on se souvenait que le combat n’avait pas opposé des empires, mais un principe contre sa négation. D’un côté, l’héritage des Lumières et de l’ère des révolutions et, de l’autre côté, les tenants de son éradication. Démocraties contre fascismes…
Les vainqueurs de 1945 étaient loin d’avoir la même conception de la démocratie, mais ils convenaient le 8 mai que c’était en se regroupant qu’ils avaient évité le triomphe de la barbarie. Demain, leurs successeurs seront ouvertement séparés.
Les États-Unis « Great Again » célébreront seuls la victoire qu’ils prétendent n’être que la leur : « Beaucoup de nos alliés et de nos amis célèbrent le 8 mai comme le Jour de la Victoire, mais nous avons fait plus que n’importe quel autre pays, et de loin, pour obtenir un résultat victorieux lors de la Seconde Guerre mondiale », a affirmé Donald Trump. Dans le même temps, il n’hésite plus à dire sa sympathie à l’égard des héritiers européens des fascismes défaits.
La Russie de Poutine argue de ses dizaines de millions de victimes pour légitimer ses prétentions impériales, en Ukraine ou ailleurs. Elle aura demain, à Moscou, le soutien ostensible de la Chine, qui ne veut plus que le monde soit sous la tutelle des États-Unis, mais dont on ne sait pas très bien si elle aspire à la fraternité des peuples ou à la stabilité d’un monde régulé par l’universalisation de ses normes. Le président brésilien Lula sera aussi de la partie, ainsi que les dirigeants slovaque et serbe qui ont bravé les recommandations de l’Union européenne. Une dynamique des Suds est à l’oeuvre.
La guerre froide a trouvé son substitut : le conflit de l’Est et de l’Ouest laisserait la place à celui du « Nord global » et du « Sud global ». Et voilà que, sur ce fond de discorde, on entend à nouveau le bruit des armes. Ukraine, Gaza, frontière indo-pakistanaise… La conflictualité repart à la hausse partout dans le monde, la course aux armements est relancée dans une centaine de pays. Les institutions internationales heureusement promues après 1945 sont en berne. La realpolitik et le face-à-face des puissances a pris la place des récits nébuleux du « nouvel ordre international » et de la « mondialisation heureuse ».
Le monde du 8 mai 2025 sera à l’image, non de ce qu’il fut au temps d’une unité éphémère, mais de ce qu’il est devenu : divisé, incertain, inquiétant. Ce n’est ni dans la volonté de passer sur deux siècles d’histoire démocratique, comme le veulent les forcenés du trumpisme, ni dans le despotisme poutinien, que se trouvent les clés d’un monde plus interdépendant que jamais.
Ce n’est pas en se lançant dans la course à la puissance et dans l’accumulation infinie des armements que l’on empêchera un nouveau cataclysme guerrier. On ne gagnera pas la paix en permettant à Poutine et à Trump de décider seuls du destin de l’Ukraine, ou à Trump et à Netanyahou de nettoyer de concert l’enclave gênante de Gaza avant de passer à la Cisjordanie. On ne régulera pas pacifiquement le monde en tournant le dos au droit international, à la démocratie citoyenne, à des institutions planétaires démocratiquement refondées.
Il a fallu des dizaines de millions de morts pour que s’installent les bases morales et juridiques d’un monde moins brutal. Le cynisme des uns et les carences des autres ont fait certes reculer les espérances pacificatrices. Le 8 mai 2025 devrait être l’occasion de redire que c’est du côté de ces rêves que se situe l’avenir de l’humanité. Pas dans leur anéantissement…
L’AUTRE COMMÉMORATION DU JOUR
Le 8 mai 1945, c’est aussi la commémoration des massacres à Sétif, Guelma et Kherrata

Des dizaines de milliers d’Algériens tués par l’armée et des milices françaises. Des tueries qui répondent aux manifestations de victoire sur le nazisme mêlées à des demandes d’indépendance. La France s’est tue jusqu’à ce que Jacques Chirac, en 2005, décide d’envoyer un ambassadeur prononcer un discours à Sétif pour acter officiellement l’existence d’une « tragédie inexcusable ». Des députés français de gauche veulent aller plus loin avec un projet de résolution reconnaissant la responsabilité de l’Etat français dans ces massacres. Le contexte politique actuel, entretenu par un ministre de l’intérieur qui croit encore que l’Algérie fait partie de ses compétences, empêche de trouver une majorité à l’Assemblée. Le processus lent et fragile de construction d’une mémoire partagée entre la France et l’Algérie est aujourd’hui à l’arrêt. Soufflent fort les vents mauvais qui « veulent absolument que l’on ne reconnaisse rien du tout » comme dit l’historien Benjamin Stora, au nom d’une histoire monolithique et fantasmée.
P.P.-V.
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Pentagon Papers disponible en replay sur Arte jusqu’au 11 mai : en rendant hommage à la détermination de quelques-uns pour préserver la liberté de tous, le film de Steven Spielberg résonne toujours aussi puissamment avec les enjeux actuels de la presse indépendante et d’opinion. Catherine Tricot lui avait consacré un article à sa sortie en 2018 : « Le courage nécessaire ».
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