TRIBUNE. Regarder l’Amérique latine autrement

Face à l’instabilité mondiale, la France n’a plus le choix que de se rapprocher des gouvernements progressistes latino-américains, si elle veut avoir des alliés durables sur les sujets du climat, de l’énergie, de l’alimentaire et de la paix.

Chercheur.e.s, diplomates, organisations de la société civile, tous ont, depuis plus de cinq ans, constaté et critiqué l’effacement de la politique française en Amérique latine et dans les Caraïbes. Depuis quelques mois, le regard et la stratégie de la présidence française semble néanmoins en train de changer. Mais ce rapprochement récent n’est pas révélateur d’une passion cachée du président de la République, il s’agit plus d’une redistribution des cartes : la reconfiguration de l’ordre international oblige Emmanuel Macron à aborder la continent latino-américain avec beaucoup plus d’intérêt en ce début de deuxième mandat. Guerre en Ukraine, sanctions envers la Russie, choc économique avec les États-Unis, inflation, coût de l’énergie, et bien évidement, le nouveau scénario politique latino-américains sont autant de facteurs qui justifient ce rapprochement.

 

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La poignée de main entre Emmanuel Macron et Nicolas Maduro lors de la COP27 ainsi que la relance du dialogue politique vénézuélien lors du sommet de la paix à Paris en novembre dernier ne feront pas oublier l’erreur diplomatique et politique qu’a représenté le fait de reconnaître Juan Guaidó comme président par intérim du Venezuela en 2019. Mais c’est une manière positive de renouer avec le Venezuela. La France a besoin de l’Amérique latine et le Président français semble également comprendre qu’il faut soutenir dans les efforts de dialogue en acceptant et appuyant notamment les initiatives d’intégration qui se dessinent.

En Amérique latine, comme ailleurs, les sociétés sont de plus en plus polarisées et exposées à des réactions ultra-conservatrices, ainsi qu’au retour de l’extrême droite. L’antidote à cela, c’est la justice sociale et la nécessité de redonner un sens à l’action politique pour « changer la vie » des peuples. Il s’agit là des priorités de la nouvelle vague de gouvernements progressistes qui émergent dans une région du monde qui reste – encore aujourd’hui – l’une des plus inégalitaires de la planète. La pauvreté a, elle aussi, augmenté avec la pandémie, atteignant 32,1% en cette fin d’année 2022, selon la Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes des Nations unies. Dans un tel contexte, le succès des leaders récemment élus et souvent issus des mouvements sociaux dépendra des marges de manœuvre dont ils disposeront pour mettre en place des politiques publiques permettant de lutter contre les inégalités et l’insécurité, protéger l’environnement et garantir l’égalité de genres. De ce point de vue, la force féministe latino-américaine représente un véritable atout pour faire de l’égalité entre les genres un élément incontournable du développement de l’Amérique du Sud à l’échelle mondiale. C’est aussi cela que la France doit non seulement comprendre, mais aussi soutenir, si elle veut avoir des alliés durables sur les sujets du climat, de l’énergie, de l’alimentaire et de la paix.

La réussite de ces nouveaux gouvernements, à la tête desquels se trouvent notamment le brésilien Lula, le chilien Boric ou encore le colombien Petro, permettra de souder des alliances à l’échelle mondiale : une coopération internationale digne de ce nom est ainsi plus que nécessaire. Il ne doit plus être possible d’exclure de l’aide au développement des pays à revenus intermédiaires ou élevés sur la simple base de leur produit intérieur brut. Les institutions de l’Union européenne l’ont compris, mais pas les membres du Comité d’aide au développement de l’OCDE. De même, l’idée, portée par le président colombien Gustavo Petro, selon laquelle le Fonds monétaire international devrait lancer un programme de conversion des dettes en investissements orientés vers l’adaptation au changement climatique et l’atténuation de ses effets dans tous les pays en développement du monde, doit être soutenue activement. Il ne doit plus non plus être possible de demander aux pays du Sud de réaliser des efforts dans la lutte contre le changement climatique au détriment de leur développement sans que des contreparties justes et cohérentes soient établies. Et « plus largement, toute dette serait illégitime dès lors qu’elle empêche le gouvernement concerné, du fait de son remboursement, de mener les politiques sociales vitales pour les populations »[[Severino ; Debrat, 2010]]. Les pays latino-américains ne sont pas les principaux responsables des émissions de CO2, loin de là. L’Amérique latine et les Caraïbes possèdent d’ailleurs, à elles seules selon le Programme des Nations unies pour l’environnement, environ 60% de la vie terrestre mondiale, ainsi que diverses espèces marines et d’eau douce. Une véritable puissance de la biodiversité. Il est donc urgent de promouvoir une coopération financière et technique plus conséquente avec cette région du monde.

Faisant partie de ceux qui défendent les idées de progressisme et de justice sociale et qui souhaitent par ailleurs que la France prenne un peu plus exemple sur des projets politiques actuellement mis en place au sein de certains pays latino-américains, j’appréhende de manière positive cette nouvelle page qui s’ouvre dans les relations entre la France et les États latino-américains et caribéens. Ce tournant sera positif si Paris prend conscience des véritables enjeux qui traversent le continent latino-américain et devient ainsi un acteur de soutien au développement plutôt qu’un protagoniste des ingérences. Force est de constater que le discours historique prononcé il y a 50 ans par le président chilien Salvador Allende à la tribune de l’ONU est plus que jamais d’actualité, dans la mesure où, comme il l’affirmait alors : « Le monde en développement devient de plus en plus conscient de ses réalités et de ses droits. Il exige justice et équité dans le traitement et que la place qui lui revient sur la scène mondiale soit reconnue. […] Ce sont les peuples, tous les peuples au sud du Rio Bravo, qui se lèvent pour dire : « Assez ! Assez avec la dépendance ! Assez avec les pressions ! Assez d’ingérences ! » »

 

Pierre Lebret, politologue, spécialiste des affaires latino-américaines, titulaire d’un master en coopération et relations internationales (Paris III), ancien conseiller à la coopération au sein du gouvernement de Michelle Bachelet au Chili (2014-2018) et ancien consultant de la Commission économique pour l’Amérique latine des Nations unies. Il travaille actuellement au sein d’une ONG pour la protection de l’enfance.

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