Les Européens face au monde qui bascule
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Trump pousse brutalement l’Europe à se positionner. Les analyses et les projets se discutent. Faut-il reconstituer le « petit Occident » ?
Le piège tendu, en mondovision, par Donald Trump à Volodymyr Zelensky est une pierre de plus sur le chemin qu’emprunte la nouvelle administration américaine. Après l’agressive intervention à Munich du vice-président des États-Unis J. D. Vance, après les soutiens appuyés au parti néo-nazi AfD pendant la campagne électorale allemande, la brutalité et l’humiliation infligée au président ukrainien par son homologue américain, secondé par son vice-président, provoque une onde de choc.
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Derrière la somme des événements inquiétants de ces dernières semaine, il faut comprendre ce qui relève de l’instrumentalisation des enjeux internationaux pour affirmer une rupture, une révolution fasciste (l’humiliation de Zelensky en est une manifestation) et les évolutions stratégiques. Ce que nous vivons de façon accélérée depuis l’investiture de Donald Trump est-il le signe d’un basculement et de la relégation de l’Europe au second plan du 21ème siècle ? Après s’être organisé autour de l’Atlantique, le monde va-t-il se tourner vers le Pacifique ? La politique américaine, démocrates et républicains confondus, l’annonce depuis plus de quinze ans. Comment agir si la prophétie du grand historien Fernand Braudel se réalise ? Certains veulent encore croire qu’il ne s’agit que d’un moment de rustres marchands et que les liens anciens se renoueront.
La plupart des dirigeants européens sont décidés à s’engager pour rétablir ce lien, à l’image de Giorgia Meloni, la première ministre néo-fasciste italienne, idéologiquement proche de Trump mais aussi très atlantiste comme l’est historiquement son pays. Elle va tenter de réunir tout le monde autour de la table. La dépendance à l’égard des États-Unis, de leur marché et de leur protection militaire, conduit le premier ministre polonais à cette même recherche de conciliation. Le premier ministre anglais joue les équilibristes pour préserver la « relation spéciale » avec les Américains sur lesquels comptent les Britanniques après le Brexit. Il veut toujours croire que les États-Unis sont des « alliés très fiables ». Tous tentent de convaincre Trump de son intérêt de maintenir l’alliance avec les Européens et de se montrer ferme avec Poutine.
Les Européens ne tranchent pas car ils n’ont pas forcément les mêmes analyses ni les mêmes intérêts. Tous veulent gagner du temps et garder les deux fers au feu : faire miaou-miaou avec Donald et tenter de se renforcer pour s’autonomiser.
Après avoir tenté l’argument lundi dernier à Washington, Emmanuel Macron se veut désormais le fer de lance d’une position qui prépare le largage des amarres. Il est en phase avec la cheffe de la diplomatie européenne, Kaja Kallas, qui affirme que « le monde libre a besoin d’un nouveau leader » – notez que « monde libre » devient le substitut systématique à « l’Occident ». Reprenant ses analyses anciennes, Emmanuel Macron pousse à la constitution d’une Europe puissance autonome. Sur le plan industriel en appuyant le rapport Draghi et en convoquant un sommet sur l’IA. Et sur le plan militaire, surtout. François Hollande se veut plus radical encore. Dans Le Monde il affirme : « [Donald Trump] a ouvert une rupture profonde avec l’Europe […] À ses yeux, seules trois puissances comptent – les États-Unis, la Russie et la Chine –, l’Europe, elle, n’existe plus. » Il plaide pour une autonomie de défense : « Certainement pas à vingt-sept car l’UE est désunie sur cet enjeu essentiel. D’abord, parce qu’il y a en son sein plusieurs États dirigés par des gouvernements d’extrême droite, qui sont à la fois liés à Poutine et alignés sur Trump. Ensuite, parce que certains pays sont tellement inquiets d’une rupture d’alliance avec les États-Unis qu’ils feront tout pour donner des gages à l’administration américaine et rester sous sa protection. »
Mauvais moment à passer ou changement d’ère ? Les Européens ne tranchent pas car ils n’ont pas forcément les mêmes analyses ni les mêmes intérêts. Tous veulent gagner du temps et garder les deux fers au feu : faire miaou-miaou avec Donald et tenter de se renforcer pour s’autonomiser.
Ceci suppose que l’on accepte, comme cadre d’analyse et comme projet à construire, la partition du monde en grands blocs rivaux. Le concept de « Sud global » empêche de voir la réalité nouvelle dans sa diversité. Il n’y a pas plus de « Sud global » que de « Nord global » ou d’« Occident ». Il existe des enjeux mondiaux comme le réchauffement climatique, les migrations, le ciel et les pôles, les pandémies, la prolifération nucléaire… mais pas de solutions partagées par les grands blocs. Le seul futur, réel et désirable, est celui qui en prend acte. La question militaire ne peut elle-même s’extraire de cette réalité et ne peut se penser hors du projet politique. François Hollande l’entrevoit bien à propos de la question que poserait une défense commune avec des pays fascistes. Mais bien sûr c’est une carte changeante. La seule perspective crédible est dans des alliances autour d’objets définis, de principes partagés. La défense du droit international par exemple… et non le maintien de la domination occidentale.