LA LETTRE DU 29 JANVIER
Une gauche au bord de la rupture
La gauche cherche toutes les occasions de s’écarteler. Est-ce vraiment de saison ?
par Roger Martelli
C’est quoi cette mauvaise blague ? Trump est en train de tout casser chez lui, Milei propose de revenir avant la période des Lumières (voir notre article) et l’extrême-droite se déploie partout. Et pendant ce temps-là, on rejoue la guerre des gauches. Toutes les occasions semblent bonnes pour aviver les clivages les plus insurmontables. L’arrogance impériale de Trump menace l’Europe ? La gauche ressort ses vieux affrontements. Dans une tribune publiée ce mardi par Le Monde une partie de la gauche (les plus à droite de la gauche) se prononce en faveur d’une Europe fédérale, au risque de ranimer les préventions d’une autre partie (les plus à gauche de la gauche) qui redoute cette logique fédérale, surtout au moment où l’influence de l’extrême droite est en dynamique dans toute l’Europe.
S’il n’y avait que cela… Selon les jours, l’essentiel serait de choisir entre la gauche sociale et la gauche sociétale, entre la gauche des tours et celle des bourgs, entre la gauche du communautarisme et celle de la laïcité. Tout ça pour quoi ? Pour légitimer le fait que, à la prochaine présidentielle, on doit se préparer à deux candidatures au moins : une insoumise et une sociale-démocrate bon teint. Et pour faire bonne mesure, on inscrit cet affrontement dans les localités. À Villeneuve-Saint-Georges, les insoumis arrivés en tête n’ont pas su faire de place à l’autre liste rassemblant communistes, écologistes et socialistes. Il n’y aura donc pas de fusion des deux listes de gauche. Pathétique.
Ce n’est pas à Regards que l’on récusera l’idée que la gauche est historiquement divisée. Cette polarité peut être une source de dynamisme et le débat doit être assumé. La gauche y est parvenue dans le passé. Mais dans le passé, s’il y avait concurrence à l’intérieur de la gauche, la gauche et la droite formaient deux ensembles de forces globalement équivalentes et la droite, plus ou moins libérale, restait républicaine.
Aujourd’hui, la gauche est cruellement affaiblie et c’est l’extrême-droite qui domine.
À la différence d’autres périodes où la concurrence à gauche au premier tour préparait le rassemblement du second tour, la question de l’union tend donc à devenir première, notamment dans la perspective d’une élection présidentielle. Si la gauche ne veut pas être cornérisée, elle doit se rassembler. Et si elle veut regagner une majorité, elle doit écarter les logiques politiques qui l’ont privée du soutien populaire. Ainsi, elle doit s’écarter de la logique qui s’est amorcée en France autour de 1982-1983, qui s’est déployée dans le cadre européen du « social-libéralisme » et qui a connu son apogée entre 2012 et 2017, avec le quinquennat de François Hollande. Y revenir, au nom du « réformisme » et du « réalisme », serait une aberration.
En 2017 et 2022, les scores de Jean-Luc Mélenchon et le camouflet enregistré par les autres candidatures concurrentes ont déplacé le curseur vers la gauche. Cela a débouché à deux reprises sur un rassemblement appuyé sur un programme, marqué par le poids électoral de Jean-Luc Mélenchon et de la France insoumise. Ce programme est un corps cohérent de propositions qui se nourrit de ce que la gauche de gauche a accumulé depuis 2002. Dira-t-on que c’est un programme de « rupture » ?
Ce n’est pas un programme seul qui décide de la rupture avec un système, mais la logique générale de mobilisation qui suit ou ne suit pas la victoire électorale du programme. En 1936, c’est la grève qui impose la réalisation des grandes mesures du Front populaire ; après 1981, c’est l’atonie du mouvement social qui rend possible le retournement vers la « rigueur »… La base du rassemblement existe donc. Peut-être lui manque-t-il l’esprit et l’ambition d’un projet. La force de la gauche n’est ni dans un individu, ni dans un parti, mais dans un esprit d’unité et dans un projet dont le maître mot devrait être l’émancipation humaine. Si, au moment électoral décisif, ce n’est pas ce projet que nous mettons au cœur de la controverse publique, si l’enjeu énoncé est de savoir qui domine à gauche, nous n’aurons plus que les larmes pour pleurer.
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Roger Martelli
CRIME DU JOUR
Attention, l’impôt sur le revenu peut déchaîner des passions
En annonçant vouloir remplacer l’impôt sur le revenu par les droits de douane, Donald Trump a explicitement fait référence à la période 1870 -1913, où les Etats-Unis étaient « plus riches et puissants que jamais. » En France aussi, l’impôt sur le revenu a été mis en place en 1914, dans une version minimale, mais universelle, avec un taux progressif plafonné à 2%. Une mesure portée par le chef du parti Radical, Joseph Caillaux, qui lui vaudra l’ire de l’organe de presse de la bourgeoisie, Le Figaro. Son directeur, Gaston Calmette, décidera même de divulguer la correspondance privée de Caillaux avec sa femme Henriette, quand celle-ci n’était encore que sa maîtresse. Henriette Caillaux prendra alors les choses en main en abattant Calmette dans son bureau de six balles de revolver. L’impôt sur le revenu, un sujet qui déchaîne les passions depuis plus d’un siècle.
L. M-S.
ON VOUS RECOMMANDE
Penser radicalement différemment la justice pénale, en mettant au centre une éthique abolitionniste, telle est la thèse de Geoffroy de Lagasnerie dans son dernier ouvrage Au-delà le principe de répression. Dix leçons sur l’abolitionnisme pénal paru chez Flammarion. À l’heure où la répression fait office de moteur de la politique gouvernementale, l’entretien de l’auteur dans la Matinale de France Culture donne du champ.