Impôt sur les profiteurs de guerre : le sparadrap du Président Macron
Vous non plus, vous ne savez plus dire si le gouvernement vous badigeonne de bobards, ou s’il vous prend simplement pour des imbéciles ? Bernard Marx vous aide à faire la distinction.
L’affaire Tournesol, Hergé
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Gabriel Attal: "Une taxe sur les profits ne changerait rien au quotidien des Français"https://t.co/SqEAd0QjB6 pic.twitter.com/dJ6ZMwhtpL
— BFMTV (@BFMTV) September 2, 2022
Le ministre des Comptes publics argumente de la façon suivante :
- Depuis des années nous menons une politique de baisse de la fiscalité sur les entreprises pour permettre le développement économique et attirer les investissements.
- C’est si efficace qu’on collecte plus d’impôts sur les entreprises qu’avant. On collecte plus d’argent avec l’impôt sur les sociétés depuis que le taux est à 25% que quand il était à 33%. « Quand vous taxez moins un gâteau plus gros vous avez plus d’argent que quand vous taxez beaucoup un gâteau qui se rétrécit ».
- La priorité est que les entreprises qui font des profits permettent d’en faire profiter les Français tout de suite soit en distribuant des primes Macron à leurs salariés, soit en baissant le niveau des factures, « plutôt qu’une taxe dont on ne sait pas trop quand elle serait collectée, et ce qu’elle changerait dans la vie quotidienne des Français ».
- « Si on constate à la fin de l’année que les efforts n’ont pas été faits massivement, à ce moment là on ne ferme pas la porte ».
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Un empilement de mauvais arguments
Que la politique fiscale de Macron ait privilégié les baisses des impôts sur les entreprises (baisse progressive de l’IS statutaire de 33 à 25%, baisse des impôts dits de production) ainsi que les profits distribués (transformation de l’ISF en IFI et flat taxe à 30% sur les revenus du capital) est incontestable.
Que cela ait été un succès en termes de développement économique et d’investissement l’est beaucoup plus. Ainsi :
Nouveaux records historiques du déficit de la balance commerciale:
-3.4% du PIB hors énergie;
-6.6% du PIB avec l'énergie…
(Source: Insee, comptes 2ème trimestre 2022) https://t.co/fA8a7esXjN pic.twitter.com/WRGlTzfJYF— François Geerolf (@FrancoisGeerolf) September 1, 2022
Qu’on collecte plus d’impôts sur les sociétés parce qu’on en baisse le taux est un bobard. Il ne faut pas se fier aux apparences.
[cliquez sur le graphique pour l’agrandir]
En 2021, le produit de l’IS s’est élevé à 46 milliards d’euros. Le même niveau qu’en 2006, mais presque 1 point de PIB en moins. La baisse massive à partir de 2014 correspond à l’invention du CICE par Hollande. Depuis 2021 le CICE a été remplacé par une diminution des cotisations sociales. Il n’apparaît donc plus dans la comptabilisation des impôts sur les sociétés qui passe de 36 à 46 milliards. Mais ce n’est pas l’effet de la baisse du taux de l’IS. Les 10 à 15 milliards d’avantages fiscaux subsistent pour les entreprises. Simplement ils n’apparaissent pas au même endroit dans les comptes du budget de l’État.
En 2022 le rendement de l’IS augmenterait effectivement de 10 milliards. Mais une bonne partie vient d’un report de paiement de l’IS de 2021 du fait de bénéfices réalisés supérieurs aux prévisions.
Et d’autre part il faut comme toujours bien distinguer entre les petites et les grandes entreprises :
Retour au 1⃣ qu'on m'incite à préciser. Selon les dernières données du ministère @Economie_Gouv :
– 200 000 PME => profits de 59 Mds et 14,2 Mds impôts (24,4% de taux d'imposition effectif)
– 307 grandes sociétés => profits de 74 Mds € et 13 Mds impôts (17,5%)@dseux— Maxime Combes (@MaximCombes) August 31, 2022
Une affaire de… 65 milliards
Prétendre qu’un tel impôt ne changerait pas la vie quotidienne des Français et préférer des « gestes » des entreprises vis-à-vis de leurs salariés et des consommateurs, c’est vraiment nous prendre pour des imbéciles. L’impôt peut être mis en place en urgence et son rendement peut se compter en milliards et pas en centaines de millions.
À cet égard l’économiste Raul Sampognaro a publié sur son compte Twitter une imparable démonstration sur les Comptes Nationaux du 2ème trimestre 2022. Globalement la baisse du pouvoir d’achat des ménages va de pair avec la hausse du taux de marge des sociétés non financières[[Cela exclut le secteur de la finance, les entreprises à but non lucratif, les entreprises individuelles (comme les auto-entrepreneurs).]] à 32,2% de leur valeur ajoutée. Certes cela reste inférieur au niveau record d’avant Covid. Mais ce résultat global masque des évolutions énormes dans certains secteurs. Les profits des secteurs de l’énergie, des raffineries, des transports maritimes ont explosé. Dans ces secteurs, on est sur du 65 milliards d’explosion des profits.
Les profits du secteur de l'énergie représentent au T2 3% du PIB (1,6% avant COVID) et ceux du secteur des services de transport représentent 3% de la VA totale (1,7% avant COVID).
Si l'on ajoute la raffinerie (non publié par l'Insee) on pourrait ajouter 0,6 % selon mes calculs
— Raul Sampognaro (@rsampognaro1982) September 1, 2022
Un calcul (trop?) rapide me donne que l'EBE exceptionnel cumulé dans ces secteurs depuis le T1 2022 sont de l'ordre de 65 milliards d'euros.
— Raul Sampognaro (@rsampognaro1982) September 1, 2022
Et globalement les profits des très grandes entreprises françaises vont très bien. La boucle salaires/prix est une fiction mais la boucle profits/ prix est une réalité :
« Les stars de la cote parisienne ont une nouvelle fois dépassé les attentes avec des profits cumulés en hausse de 26% au premier semestre, à 72,5 milliards d’euros. Les grandes entreprises françaises ont réussi à défendre leurs marges en répercutant largement les hausses de coûts à leurs clients ». (Les Échos, 4 août 2022)
Elles dépensent un pognon de dingue pour les actionnaires et jettent des miettes aux salariés, aux consommateurs ou pour la lutte contre le réchauffement climatique.
« Les actionnaires sont à l’honneur. Les dividendes versés par les grandes entreprises ont atteint un niveau record de 44 milliards d’euros au deuxième trimestre en France ». (Les Échos, 24 août 2022)
« Les rachats d’actions, l’autre manière avec les dividendes de rendre de l’argent aux actionnaires (en soutenant indirectement les cours), n’ont jamais eu autant la cote en France : ils ont atteint près de 15 milliards d’euros au sein du SBF 120 au premier semestre, contre 5,6 milliards l’an passé. » (Les Échos, 2 septembre 2022)
Une taxation conséquente des profits des profiteurs de guerre pourrait donc servir à changer la vie quotidienne des Français. Elle est même indispensable pour ne pas rester enfermé dans l’injonction contradictoire d’accroître les dépenses publiques et en même temps de baisser la fiscalité sur les entreprises et de réduire le déficit budgétaire. La vie quotidienne des Français changera pour le meilleur ou pour le pire selon qu’il y aura ou non continuation d’un « bouclier tarifaire » pour l’électricité et le gaz, redressement des services publics, rénovation thermique des logements, amélioration ou non des transports collectifs…
Signal rouge
Bien entendu, la taxation des sur profits ne suffira pas à elle seule. Il faut la refonte du système d’imposition et notamment des profits des grandes entreprises au plan national et au plan mondial. Mais comme l’a dit, à raison, l’économiste Esther Duflo, le 2 septembre, sur France Inter, même si c’est juste une partie de la solution, cela a deux effets bénéfiques : d’une part, cela fait partie de la solution. Et cela aide à ouvrir le débat sur l’ensemble du problème de la fiscalité sur les profits.
Esther Duflo : "La taxation des super-profits et des jets privés, c'est la partie émergée de l'iceberg. Il faut se poser la question de la distribution des bénéfices, des ressources qui existent. C'est une bonne idée, mais il ne faut pas s'arrêter là" #le7930Inter pic.twitter.com/6y8sDyrLcy
— France Inter (@franceinter) September 2, 2022
Nicolas Beytout, le directeur du très néo-libéral L’Opinion, le dit lui aussi à sa façon : la taxe sur les superprofits serait le signal rouge que c’en serait fini de la baisse des impôts.
La gauche a raison : la taxe sur les superprofits serait un symbole. Mais pas celui qu’elle croit : le signal rouge que c’en est fini de la baisse des impôts. https://t.co/ZSCuvLROxx
— Nicolas Beytout (@nicolasbeytout) September 6, 2022
La défense par le déni des Borne, Attal, Le Maire et compagnie n’arrive pas à tenir devant la multiplication des exemples de mise en route d’une telle taxation, en Espagne, au Portugal, au Royaume-Uni ou aux Pays-Bas.
Emmanuel Macron en a conscience. Il ne peut expliquer que « nous sommes en guerre », proclamer la fin de l’insouciance et de l’abondance et ne pas taxer les profiteurs de cette guerre. Il essaye de transmettre le sparadrap à l’Union européenne. Qui plus est sous la forme entièrement édulcorée d’une simple contribution exceptionnelle. En même temps que le ministre Attal argumente contre la taxe en France en arguant des délais et de la complexité de la mise en œuvre.
Mais on ne se débarrasse pas comme cela d’un sparadrap aussi collant…
L’affaire Tournesol, Hergé