Le danger libertarien
Derrière les procrastinations présidentielles et la crise politique qui s’éternise, un danger se pointe : la banalisation des solutions antiétatistes « libertariennes ».
Emmanuel Macron, une fois encore, ne tient pas le délai qu’il a lui-même fixé. Après l’épisode ridicule (et scandaleux) de l’été, il a promis, bravache, la nomination du nouveau premier ministre en 24 heures, puis annoncé à tous les chefs de parti une nomination avant jeudi soir… reportée à vendredi matin. Un matin, ça peut durer longtemps.
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Pour une part, ces délais annoncés et allongés relèvent chez Emmanuel Macron d’un désir de puissance et du fantasme d’être le maître des horloges. Cela tient aussi bien sûr à la grande complexité de la situation. Mais il ne peut être surpris. Compter sur une autre issue avec un même périmètre politique – voire réduit à la macronie – relève de l’entêtement.
Mais nous voyons se pointer un effet politique pervers dont la gauche devrait prendre la mesure. Banaliser l’idée que l’on peut vivre sans gouvernement, sans budget de l’État ni de la Sécurité sociale entre en résonance avec la montée de l’idéologie libertarienne. Celle-ci, fort diverse, a aujourd’hui pour fer de lance Elon Musk, le vice-président de fait des États-Unis, qui appelle à laisser les entrepreneurs entreprendre et à démanteler le peu qu’il y a aux États-Unis de règles protectrices des plus faibles et de l’environnement… En Argentine, Javier Milei, le président élu il y tout juste un an, s’attache à réduire à rien le périmètre de l’État, plongeant nombre d’Argentins dans la misère.
Les grands patrons français font déjà entendre cette musique. Le coupable désigné c’est l’État obèse et prédateur. « Tout ce qui est rajouté en termes de lourdeur fiscale aux entreprises, c’est assassin », affirme Xavier Niel, le très influent fondateur de Free (L’Opinion 2 décembre). Le Monde rapporte les propos de nombreux dirigeants économiques qui tous vont dans ce sens. « C’est l’enfer d’investir en France pour des raisons réglementaires. Le premier frein à la décarbonation aujourd’hui, ce sont les procédures », affirme Luc Rémont, le PDG d’EDF. Pierre Gattaz, l’ancien patron des patrons écrit sur X « Faudra-t-il un Donald Trump, un Elon Musk ou un Javier Milei en France pour arrêter ce délire ? ».
Les patrons ne sont pas isolés. Ils ont des relais dans l’espace politique. Valérie Pécresse avait déjà fait de cet axe anti-État le moteur de sa brillante campagne présidentielle. Le très macroniste ministre démissionnaire en charge de la fonction publique, Guillaume Kasbarian, a félicité Elon Musk et se réjouissait de partager avec lui les « meilleures pratiques pour lutter contre les excès de bureaucratie ».
La charge contre l’État issu des compromis d’après-guerre est lancée partout sur la planète. Elle commence même à être écoutée dans le monde populaire qui ne voit plus toujours dans l’État et les services publics dégradés la protection qu’ils attendent. Il faut prendre la mesure de l’attaque sur la base de vraies fragilités de l’État. On ne peut combattre cette idéologie destructrice sans proposer des réformes d’ampleur pour que l’impôt et les protections qu’il procure gagnent en justice, modernité et efficacité.