La nomination de Bayrou : l’impasse d’un retour à la Macronie
Avec la désignation chaotique de François Bayou, Emmanuel Macron se replie sur le noyau fondateur de la Macronie. Tout cela n’ira pas loin. Le danger n’en reste pas moins immense.
Après de fortes pressions, Emmanuel Macron vient de nommer l’insubmersible François Bayrou au poste de premier ministre. Sept ans après son entrée à l’Élysée, Jupiter a choisi celui qui lui a mis le pied à l’étrier en 2017. Après une très éphémère tentative de « socle commun » et un discret clin d’œil en direction des Républicains, c’est le retour au noyau historique de la Macronie. Cette fois, on touche vraiment à l’os. Le roi est nu et la crise s’épaissit.
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Emmanuel Macron aurait pu désigner une personnalité du Nouveau Front populaire. Celle-ci aurait cherché une voie raisonnable, sans recours au 49.3, sans provoquer la censure en retour. Elle se serait attachée à trouver au Parlement les majorités pour mettre en œuvre le plus grand nombre possible de mesures issues de son programme et éviter les régressions que la droite ne manquera pas de vouloir imposer. La gauche au gouvernement n’aurait pas cherché à contourner la règle démocratique, tout en évitant de décourager l’intervention autonome du mouvement populaire lui-même. Une occasion de de dénouer pour un temps l’imbroglio démocratique a été manquée.
Mieux encore, Emmanuel Macron aurait pu offrir à une nation inquiète la perspective d’une consultation directe, présidentielle et législative, ni trop rapprochée – la hâte n’est jamais bonne conseillère –, ni trop lointaine – la dégradation prolongée de la démocratie peut nourrir le ressentiment davantage que la colère. En situation de crise, quoi de plus légitime que de se tourner sans tarder vers le peuple souverain ? Le président dit qu’il veut reporter à 2027 les choix décisifs. Le pourra-t-il seulement ? ne serait-ce pas trop tard alors ?
Car tout cela intervient alors que les vertus du monde politique se font de plus en plus imperceptibles dans la population et que le Rassemblement national confirme son emprise sur la droite. C’est aussi un moment où l’unité à gauche vacille, parce qu’elle n’a pas su trouver les modalités d’un fonctionnement mieux ouvert sur la réalité citoyenne, parce qu’elle ne sait toujours pas conjuguer la cohérence et le respect d’une diversité qui est à la fois sa richesse et l’aliment de ses discordes.
La gauche reste à l’écart des responsabilités gouvernementales qu’elle était légitime à les assumer. Sa responsabilité politique n’en reste pas moins décisive. Comme aux temps lointains de la Quatrième République finissante, la durée des gouvernements est improbable et chaque jour qui passe révèle un peu plus le vide d’un pouvoir qui ne maîtrise plus rien, pas même les horloges. Nul ne peut se réjouir de cette débâcle, fût-ce au nom d’un présumé « dégagisme » qui risque de mener, moins à la révolution qu’à son contraire.
Car l’extrême droite rôde, seule force qui n’a jamais touché au pouvoir, depuis huit longues décennies. Quelle que soit la personne qui est à sa tête, le Rassemblement national en embuscade est moins répulsif qu’hier, plus expansif dans ses idées, plus crédible dans ses propositions et dans son projet. Dans ce moment redoutable, la gauche doit se détourner des automatismes dépassés et des analyses rassurantes. La société française n’est pas passée à droite en bloc et le RN, comme on l’a vu à l’été, n’a pas partie gagnée. Mais ce qui reste de répulsion n’est pas soutenu par un projet démocratique partagé. Dans ce moment incertain, mieux vaut donc que la gauche n’oublie pas que la somme de ses propres insuffisances, sans que la France ait sombré pour autant dans le côté sombre de la force, laisse du champ politique à une droite penchant vers son extrême.
Cette gauche devra donc tout faire pour conforter ses liens avec la totalité du peuple de gauche, celui des « tours » comme celui des « bourgs », celui qui continue de voter comme celui qui reste encore sur la réserve. Il lui faudra corriger ce qui ne fonctionne pas bien en son sein, peaufiner son projet, donner plus de corps à sa stratégie d’émancipation. Cela suppose toutefois de consacrer plus de temps à élaborer ensemble qu’à se chercher querelle. Ensemble : en préservant sa diversité, en redoutant les déséquilibres internes, sans masquer les différences et les contradictions, sans se résoudre aux oukases, aux tentations d’hégémonie ou aux accusations de trahison.
Le problème de la gauche n’est pas d’abord dans le manque d’un guide, d’une force qui exerce son magistère ou d’une écurie présidentielle efficace. La démocratie malade a besoin de bien plus que le heurt fébrile des discours de la « rupture » et du réalisme ». L’opinion inquiète attend ce qui peut la rassurer, une cohérence en perspective et le réalisme d’un rassemblement assez large pour garantir la paix civile.
Savoir qui est le plus influent au sein de la gauche n’a rien de secondaire. Mais ce que le pays a besoin de savoir, c’est si la gauche dans toutes ses composantes peut lui faire retrouver la stabilité perdue et contredire ce qui est perçu comme un déclin. La désunion est rarement payante de façon générale. Dans la crise démocratique qui est la nôtre, elle risque d’être désastreuse.