La voiture dans nos imaginaires
Qu’on le regrette ou qu’on le célèbre : la bagnole est encore au coeur de nos vies, dans toutes ses dimensions.
Comme le cinéma, la voiture est aussi née en France dans des ateliers de la fin du XIXème siècle. À la fin des années 50, Roland Barthes avait consacré une de ses Mythologies à la DS. 40 ans plus tard, Regis Debray lançait ses Cahiers de médiologie par un numéro consacré à l’automobile. Au même moment, la fermeture de l’usine Renault de Billancourt sonnait comme la fin d’une époque, celle de grandes usines où s’exerçait l’influence de la CGT et du PCF. Plus récemment, les gilets jaunes ont fait entendre la place de la voiture pour travailler et vivre. Dépense contrainte, elle pèse plus de 10% dans le budget moyen des Français. Aujourd’hui, les banlieusards parisiens pestent contre Hidalgo qui lui met des bâtons dans les roues. Bref, parler voiture, c’est parler histoire et politique. Enjeux économiques et industriels, sociaux et culturels, la voiture n’est pas réductible à l’écologie et au pouvoir d’achat.
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Le président Pompidou en était un inconditionnel et il dessina des villes et des paysages à son service. Macron adore « la bagnole ». Une récente enquête publiée par Le Monde montre l’attachement maintenu des jeunes à la voiture. Ils l’imaginent devenir électrique et, en attendant, ils la bricolent comme ces vieilles camionnettes transformées en mini-caravanes. Les jeux vidéo de courses automobiles, les grands prix de Formule 1 prospèrent dans la jeunesse. Le philosophe Mickaël Fœssel l’évoquait dans une Midinale où il revenait sur son ouvrage Quartier rouge, la gauche et le plaisir : il l’associe à la liberté, au risque et à l’audace. Elle l’est aussi à la violence.
La mort d’un cycliste tué par un automobiliste enragé nous rappelle qu’il est des pays où la voiture est devenue un danger public qui catalyse les frustrations et les volontés de puissance : aux États-Unis, des formations apprennent à se prémunir de l’agressivité des conducteurs. Parler bagnole, c’est parler aussi de ça.
C’est évoquer également les enjeux industriels et économiques. Entre 2006 et 2021, l’industrie automobile a perdu 40% de ses emplois : 114 000 postes de travail supprimés par des délocalisations. La révolution de la voiture électrique a bon dos : ces suppressions d’emploi ont massivement commencé avant qu’il ne soit question d’électrifier le parc automobile. Et on anticipe la suppression de 80 000 emplois supplémentaires dans les 10 ans qui viennent. Cette saignée à tous les niveaux – de l’ouvrier à l’ingénieur – le prépare : cette révolution non plus ne sera pas européenne et encore moins française.
La voiture a de l’avenir et l’affluence au Salon mondial de l’automobile devrait en attester. La CGT tente de s’y faire entendre. Si vous rencontrez ses militants, ils vous parleront de ce besoin de construire ici des petites voitures électriques, légères, moins consommatrices, moins rapides et moins chères. Dans bien des secteurs industriels, la France avait réussi à accorder production et innovation (médicaments, sidérurgie, nucléaire, téléphonie…). Il faut qu’il en redevienne de même pour l’automobile : allier les besoins concrets et culturels, matériels et symboliques, combinés au savoir-faire et au savoir-imaginer, peut redonner du souffle à l’industrie sur nos territoires. Il s’agit donc d’enjeux de politique industrielle – et de politique tout simplement – qui doivent se débattre… et pas seulement s’imposer et se dealer au plus haut niveau.