Fractures et combats d’une campagne-éclair

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Au terme de cette campagne aussi courte qu’inattendue, et avant même le vote, quelques lignes de force se dégagent.

La colère sourde dans le pays va prendre massivement l’expression d’un bulletin de vote RN. Ce processus engagé depuis des années a été accéléré par la politique et le style d’Emmanuel Macron. Le RN, tout acquis à sa stratégie de la cravate, symbole d’ordre, de respect des conventions et des institutions, parait offrir un débouché politique à ceux qui ont vu les gilets jaunes occuper les ronds-points et les manifestants tenter de s’opposer à la loi retraite. Le RN a su se présenter comme en phase avec les amertumes devant la fermeture d’une classe, d’une gare, d’une poste, d’un distributeur automatique de billets ou d’une maternité.

Les dirigeants d’extrême droite dans leurs discours, leurs déplacements à travers le pays, par leurs innombrables selfies aussi, ont redonné une visibilité à ceux qui se sentent hors du cadre de la photo France. Face au mépris ressenti, à l’oubli et l’abandon, ce fut peu, mais cela a suffi à faire tomber les dernières protections. Longtemps les valeurs et les pratiques d’ouverture ont progressé. Depuis deux ans, le rapport du CNCDH l’enregistre : cela n’est plus. À force de se cogner la tête contre les murs, les homosexuels, les trans, les personnes d’origine étrangère, les chômeurs… sont devenus l’explication du malheur. Le RN les désigne comme coupables de la perte du pays commun et ils sont donc les premiers visés par lui.

La droite républicaine qui, sous l’impulsion de Nicolas Sarkozy, avait en 2015 décidé de ne pas choisir entre le FN et la gauche (ni, ni) a totalement sombré. Les Républicains qui ont voté la loi retraite et la loi immigration mais pas les censures contre le gouvernement n’ont plus de colonne vertébrale. Leurs électeurs se répartissent désormais à part égale entre le RN, la macronie et la continuité LR. La farce ciottiste en restera une des expressions.

La macronie est tout aussi sonnée que le reste du pays. Sans ancrage local, sans parti, sans idéologie constituée, elle ne croit même plus dans ce magicien qui finissait toujours par gagner. Pour ne pas disparaitre dans le système majoritaire à deux tours, elle tente d’être le recours contre les « extrêmes ». Las, le combat contre le RN lui paraissant inatteignable, elle a donc fourbi ses armes contre le Nouveau Front Populaire, accusé d’antiparlementarisme, « d’immigrationisme », d’antisémitisme et de communautarisme, de soumission à Mélenchon… Ni, ni, clame -t-elle à son tour. La honte pour ceux qui avaient demandé à la gauche, il y a tout juste deux ans, de barrer la route au RN ! Les mêmes choses produisant les mêmes effets, la macronie ne sera plus. 

Le Nouveau Front Populaire (NFP) est né il y a 2 semaines, dans les conditions les plus difficiles : à l’issue d’une âpre campagne européenne. Autour d’un programme classiquement keynésien et peu d’extrême-gauche, dans un rapport de force interne modifié, toutes les forces de gauche ont su se mettre d’accord pour présenter des candidatures uniques. Cette courte campagne ne fut pas un chemin pavé de roses. Il fallait une solide culture ancrée historiquement, celle du rassemblement face à l’extrême droite, pour rester unis. LFI a tenté de jouer les trouble-fêtes (Mélenchon Premier ministre, purge contre les opposants, vidéos désagréables et tweets infamants). Il faudra donc bien travailler encore à faire reculer la propension au rapport des forces permanent, à la volonté d’hégémonie et à la violence symbolique. 

Mais LFI ne fait plus la pluie et le beau temps. Ses électeurs en recherche d’une gauche solide, ne sont pas réductibles à cette détestable (et surannée) culture politique. Des syndicats, d’innombrables associations et ONG, médias indépendants, engagés en tout genre se sont mobilisés pour faire barrage et ouvrir un chemin d’espoir. Il faut que les candidats du NFP soient le plus haut dès le premier tour et rassembleurs au second. Qui va gagner entre le RN et le NFP ? Rien n’est encore joué. 

Haut les cœurs !

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7 commentaires

  1. Carlos_H le 28 juin 2024 à 12:08

    « LFI a tenté de jouer les trouble-fêtes (Mélenchon Premier ministre, purge contre les opposants, vidéos désagréables et tweets infamants). Il faudra donc bien travailler encore à faire reculer la propension au rapport des forces permanent, à la volonté d’hégémonie et à la violence symbolique.  »

    => lol… ça fait quoi de demander le « rassemblement » et de stigmatiser en même temps? intellectuellement pas de soucis? Moralement tenable?
    Il me semble que les seuls qui ont été à la hauteur du moment avec des concessions aussi fortes qu’inattendues (qui aurait miser ici un kopek sur la naissance du NFP?) ont été ceux sur qui vous crachez votre fiel Madame Tricot…

    • Michel Rieu le 28 juin 2024 à 12:16

      La preuve par le commentaire !

      • Carlos_H le 28 juin 2024 à 13:26

        La preuve de quoi…
        La preuve que : « le rassemblement… d’accord… mais sans la France Insoumise »?!! lol

        Ca va bien marcher ce rassemblement… A coup sûr, un paquet d’électeurs de gauche qui, comme l’a rappelé Catherine Tricot, ne sont pas « réductibles à cette détestable (et surannée) culture », n’en ont pas moins choisi le programme de la France Insoumise au premier tour de la dernière présidentielle. Pas forcément parce qu’ils étaient sous l’influence su gourou JLM ou que les mesures contenues répondaient formidablement à tous les problèmes mais surtout parce que ce programme était (et reste encore) le plus abouti face à l’inconsistance des autres partis se réclamant de la Gauche!!!
        De fait, à partir du moment où cette formation politique, qui n’est certainement pas exsangue de défaut (mais à gauche… SURTOUT A GAUCHE….qui ne l’est pas franchement?) reste LA SEULE A INCARNER LA GAUCHE DE « RUPTURE » tant souhaitée d’avec le paradigme « TINA » (There Is No Alternative) mis en pratique il n’y a pas si longtemps par le président Hollande issu du Parti Socialiste, il ne faut pas s’attendre à ce que les tentatives pour la fragiliser (à travers le dénigrement ou la diabolisation), et dont on ne peut que constater qu’elle REVIENT AUSSI A SABOTER LES TENTATIVES D’UNION dont les renoncements de la FI pour éviter l’explosion au décollage du Nouveau Front Populaire restent la meilleure preuve, se traduisent par un silence de l’auditoire!!!!!!

        Tout le monde veut la réussite du Nouveau Front Populaire, tout le monde veut que l’Union des Gauches puisse enfin concrètement améliorer la vie des gens…
        Mais ce genre d’article vient fort à propos rappeler qu’il n’y a pas et qu’il n’y aura possiblement jamais d’unité possible entre une gauche « bourgeoise », prompte à attaquer ses alliés même lorsque l’extrême-droit est aux portes du pouvoir, et une gauche qu’on pourrait qualifier de « populaire ».
        Dès lors, il est bon que tous ceux qui tentent d’user de leur influence, que ce soit dans le microcosme journalistique ou celui politique, soient interpellés afin qu’ils s’interrogent sur le fait de savoir s’ils sont à la hauteur du moment que nous traversons…

    • Carlos_H le 28 juin 2024 à 12:18

      Tout le monde a pu de facto le constater… Vouloir faire croire le contraire vous décrédibilise madame.
      Mais libre à vous de continuer article après article votre entreprise de dénigrement (si personne n’est parfait, vous oubliez les imperfections des autres en tous cas)… Après tout, ça ne fait qu’illustrer l’écart entre une gauche bourgeoise libérale et élitiste, indifférente au sort de certaines catégories populaires, et une gauche populaire, sociale aux côtés de ceux qui luttent pour leur émancipation.
      Merci pour cette piqure de rappel.

  2. Michel Rieu le 28 juin 2024 à 12:32

    Chère Catherine Tricot (si vous permettez car je partage le plus souvent vos analyses),
    Il y aurait beaucoup à dire, et quoi qu’il arrive, il y aura beaucoup de travail.
    Juste deux remarques:
    – ce qui est dit des intentions de vote pour le NFP montre le fort attachement d’un partie de nos concitoyens à l’unité de la gauche et aussi, il me semble, leurs solides convictions humanistes face à des campagnes provocatrices et mensongères,
    – à côté des responsabilités des « autres » que vous soulignez à juste titre, « la gauche » a sa part. Je ne parle pas des invectives et autres faux pas, encore que ça doit être lié.
    Je pense que « nous » n’avons pas imaginé, théorisé, et donc forcément pas proposé, le projet de société qui montrerait à nos concitoyens qui en ont vraiment besoin qui rendrait optimiste pour l’avenir.
    Le défi est immense, plus de justice sociale, plus de démocratie, du développement humain sur une planète qu’il faut respecter dans ces limites…
    Si un programme électoral, un catalogue de mesures, est sans doute nécessaire, cela présente un risque, car toute mesure, malgré de bonnes intentions, risque d’avoir des effets négatifs et ouvre à des discussions qui enferment.
    Un catalogue, à lui tout seul, ne dessine pas un projet.

    • Magnus le 28 juin 2024 à 21:32

      Cela dit vous oubliez les éléphants : C’est l’UE et son grand-frère les Etats-Unis, pas du tout mentionnés, qui font la pluie et le beau temps depuis pas mal de temps – surtout la pluie que le parti qu’est le FN et le RN a ramassé pour pousser des fleurs endiablées.

      Il suffit de lire le dernier numéro du Monde diplomatique. Pour citer cet analyse du dernier numéro du Monde diplomatique (la fin de l’article « Nous y sommes ») :

      « à mesure qu’il contamine la droite et le centre avec ses obsessions sécuritaires et migratoires, le parti de Mme Le Pen parachève sa normalisation économique, notamment sur la question européenne. Son accession au pouvoir apporterait donc à son électorat « de petits, de sans-grade, d’exclus, de mineurs, de métallos, d’ouvrières, d’ouvriers, d’agriculteurs acculés à des retraites de misère » invoqué le 21 avril 2002 par M. Le Pen les mesure xénophobes auxquelles certains aspirent peut-être. En revanche, cette victoire de l’extrême droite ne ferait rien pour inverser la dynamique qui les a broyés. Une gauche qui enfin s’y emploierait n’aurait donc plus aucun rival, juste un chemin semé d’embûches à éviter et une page blanche à écrire. Pari gagnant ?

      C’est à présent le seul qui reste. »

  3. Frédéric Normand le 29 juin 2024 à 09:14

    Un article poignant.

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