Colombie: Gustavo Petro, candidat du « Pacto historico » aux portes du pouvoir?

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L’élection présidentielle colombienne dont le premier tour a lieu ce dimanche 29 mai pourrait marquer un changement sans précédent dans l’histoire politique du pays.

La candidat Gustavo Petro, déjà finaliste en 2018, est favori dans toutes les enquêtes d’opinion. Il est à la tête d’une coalition de gauche très large, « Pacto historico », ouverte même à des figures libérales et conservatrices.
Lors de la primaire ouverte de la gauche, en mars dernier, Petro est arrivé largement en tête avec 4,5 millions de voix, dépassant ainsi la somme des suffrages exprimés lors des primaires du centre et de la droite.
L’ancien maire de Bogota, issu du mouvement de guérilla M-19, venu à la politique institutionnelle lors des négociations de paix et de l’adoption de la constituante de 1991 est à sa troisième candidature présidentielle.
Sénateur, il occupe une place incontournable dans la vie politique nationale, et incarne depuis fort longtemps une opposition ferme et intransigeante à l’extrême-droite que représente ce que l’on nomme en Colombie l’Uribisme, du nom de l’ancien président Alvaro Uribe Velez (2002-2010), aujourd’hui sénateur et principal opposant aux accords de paix. L’actuel président Iván Duque en est un héritier.

Crises et mobilisations sociales

La crise sanitaire a lourdement affecté le pays, qui reste l’un des plus inégalitaires du continent.
La pandémie a mis en lumière de manière crue l’indifférence gouvernementale à l’égard des plus démunis et des pauvres, les défaillances de l’état. Environ 40% des Colombiens vivent sous le seuil de pauvreté.
Avant même l’arrivée du COVID-19, dès novembre 2019, des mouvements sociaux massifs avaient occupé les rues du pays contre la politique gouvernementale.
Les restrictions qui ont accompagné la crise sanitaire, les conséquences économiques et le projet de réforme fiscale gouvernementale ont réanimé la flamme des mobilisations.
La Colombie a connu en mai 2021 ce que l’on appelle « un estallido social », une explosion sociale, marquée par des affrontements violents avec la police et une répression causant des dizaines de morts.
Aux demandes sociales exprimées alors, seul Gustavo Petro offre une réponse politique basée sur la justice.
Sa course en tête ne s’explique pas seulement par l’élargissement de son socle et la solidité de son programme. Son équipe de campagne est d’une pluralité politique qui surprendrait sous d’autres latitudes.
Elle épouse aussi des aspirations profondes et anciennes du pays, jusqu’ici passées sous silence.
Lors de la primaire de la gauche, le triomphe de Gustavo Petro ne faisait aucun doute. La surprise de cette consultation fut la seconde place conquise par Francia Márquez, avec 800000 voix.

Francia Márquez, la révélation politique

Candidate à la vice-présidence, elle est devenue la star de la campagne du Pacto historico.
Née dans le Cauca, en 1982, Francia Márquez est une afro-descendante, militante engagée dans la défense des droits humains et les luttes écologistes contre l’extractivisme. Elle participe au conseil communautaire des communautés afro-descendantes de La Toma.
Sa candidature permet au vétéran de la politique colombienne qu’est aujourd’hui Petro d’élargir les spectre de sa campagne en direction des oubliés de la vie politique traditionnelle, Noirs, Indiens, minorités.
Francia Márquez est une figure puissante qui bouleverse l’imaginaire politique du pays, à l’intersection des luttes – les mouvements féministe et écologiste, et celui pour la reconnaissance des droits des communautés indigènes et afro-descendantes, qui secouent en profondeur le continent, transforment et bousculent les gauches latino-américaines.
Femme, noire, pauvre, représentant les secteurs les plus marginalisés, elle est une leader sociale menacée, déplacée, cible de nombreuses menaces, et l’objet d’un racisme décomplexé. Elle incarne celles et ceux qui paient encore aujourd’hui un lourd tribut à la violence.

Un duel prévu, ou déjoué?!

La dynamique de la campagne de Petro et Francia, le rejet de la corruption et de l’affairisme de la classe politique, et la volonté d’une politique plus juste permettront-ils qu’une candidature de gauche accède pour la première fois dans l’histoire nationale à la présidence de la République?
Le candidat conservateur, soutenu en fait par l’Uribisme, qui ne concourt pas cette fois sous ses propres couleurs, « Fico » Gutiérrez, ancien maire de Medellin, est à la peine.
Entré en campagne comme le candidat d’une nouvelle droite, il apparaît désormais comme le garant d’une forme de continuité, loin derrière Petro, avec 25% des voix selon les dernières enquêtes.
Le duel annoncé entre Petro et « Fico » ne semble pas si certain qu’auparavant.
La candidature indépendante de Rodolfo Hernández pourrait déjouer les pronostics sur le fil.
Sans le soutien de partis traditionnels, à l’aide d’une fortune issue du secteur immobilier, l’ancien maire de Bucaramanga avec un programme de lutte contre la corruption d’inspiration plus morale que politique se pose comme le candidat opposé à « la « polarisation et aux extrêmes ». Il pourrait devenir la candidat de celles et ceux qui s’accommodent toujours que rien ne change.

Une campagne sous l’emprise de la violence

La campagne électorale a été émaillée de violences, d’assassinats ciblés contre des leaders communautaires, des syndicalistes, des militants politiques, des anciens guérilleros démobilisés.
Ces élections s’annoncent donc comme les plus violentes de ces dernières années. Les perspectives de changement provoquent crainte et réactions dans l’oligarchie et les élites régionales, parfois liées au paramilitarisme.
Le 5 mai dernier eut lieu dans le pays, suite à l’extradition vers les Etats-Unis d’un parrain de la drogue, dit « Otoniel », une « grève armée » – « paro armado », de quatre jours dans plusieurs départements, instaurant un climat de terreur, avec des violences et des morts. Le cartel du Golfe mobilisa les autodéfenses « gaitanistes » de Colombie (AGC), organisation paramilitaire sous leur contrôle. Cet événement dit la gravité de la situation en termes de sécurité publique et la puissance d’organisations paramilitaires d’extreme-droite, capables de se soulever en cas de victoire de la gauche.
Depuis le début de l’année, près de 80 leaders sociaux ont été assassinés, tandis que le nombre d’anciens guérilleros tués a augmenté. Plus de 300 ex-combattants ont péri, faute de protection de la part du gouvernement d’ Iván Duque.
Dans un pays où les assassinats de responsables politiques et candidats à l’élections présidentielle ont ont été nombreux – Jorge Eliecer Gaitán, Rodrigo Lara Bonilla, Luis Carlos Galán, Álvaro Gómez Hurtado, Bernardo Jaramillo Ossa, Jaime Pardo Leal o Carlos Pizarro Leongómez notamment -, il est à craindre que processus électoral ne connaisse fraudes et violences.

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