« La gauche est un petit milieu de sociétés militantes obsédées par leurs intérêts d’appareil »

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Le politiste Rémi Lefebvre, auteur de l’essai à paraître Faut-il désespérer de la gauche ? aux éditions Textuel, est l’invité de #LaMidinale.

UNE MIDINALE À VOIR…

 

ET À LIRE…

 Sur l’état de la gauche 
« La gauche s’est coupée des milieux populaires qu’elle est censée représenter, des forces vives de la société, des mondes associatif, culturel et intellectuel. »
« La gauche est un petit milieu de sociétés militantes qui ont un poids sur l’offre politique de gauche et qui font jouer leurs intérêts d’appareil au détriment de la gauche électorale et sociétale dans une logique d’enfermement. »
« Karl Marx parlait de crétinisme des parlementaires, c’est-à-dire qu’ils avaient tendance à s’enfermer dans un monde institutionnel : la gauche aujourd’hui est enfermée dans ses luttes et ses intérêts corporatistes. »
« La gauche fonctionne de manière très autonome de la société en général. »

 Sur les programmes et les idées à gauche 
« 700 propositions : est-ce que c’est cela qui fait une offre politique combative à gauche ? »
« Il y a une inflation programmatique sans que cela soit le cœur de la légitimité. C’est important de montrer que l’on est prêt à prendre le pouvoir et de budgéter le programme mais la gauche manque surtout de vision. Ces visions existent : la France insoumise incarne idéologiquement quelque chose, les écolos cherchent à imposer un nouveau paradigme, Fabien Roussel est détenteur d’une tradition politique qui a encore un sens… mais le problème, c’est que la gauche manque moins d’idées que de médiation pour les défendre. »
« Les idées de gauche existent et circulent dans la société – j’observe que la conscience des inégalités sociales n’a jamais été aussi forte qu’aujourd’hui -, et pourtant, la gauche n’arrive pas à embrayer… »
« La crédibilité des idées de gauche pose problème et c’est sûrement cela qui permet de résoudre la différence avec les attentes de gauche qui existent dans la société. »
« La responsabilité de François Hollande est énorme : par les politiques libérales qu’il a menées, il a tué l’idée de gauche et sa crédibilité. »
« Le problème à gauche tient plus de la bataille culturelle que des idées elles-mêmes : la gauche n’arrive pas à imposer sa vision du monde – qui parfois est un peu fragile – et à convaincre qu’une alternative est possible. »

 Sur les désaccords et la désunion 
« Je ne néglige pas les désaccords à gauche : entre Anne Hidalgo et Jean-Luc Mélenchon, ça me parait difficile d’opérer un rassemblement. Mais avec les écolos de gauche, la France insoumise, le Parti communiste et les socialistes de gauche, les convergences l’emportent très clairement sur les divergences. »
« Depuis 2017, il y a eu des évolutions idéologiques intéressantes : la France insoumise, sur l’Europe, a des positions qui sont moins tranchées, les écolos ont intégré des logiques de justice sociale (il n’y a pas beaucoup de différence entre Eric Piolle, Sandrine Rousseau et Jean-Luc Mélenchon). Sur toute une série de problématiques, des convergences ont été dégagées : le pouvoir d’achat, la relocalisation de l’économie… »
« Les divergences d’aujourd’hui à gauche ne sont pas beaucoup plus fortes que dans les années 1970 entre le PCF et le PS. La différence, c’est l’hyperprésidentialisation du débat : la gauche est trop faible idéologiquement pour se permettre d’être divisée. »
« La gauche doit se rassembler. Mais l’idée, ce n’est pas la salade de logos mais de trouver des convergences – et ce travail n’a pas été fait. Et la désunion est mortifère. »
« Il y a plein d’arrière-pensées stratégiques : tout le monde pense à la suite, c’est-à-dire aux élections législatives, au leadership à gauche, au financement des partis pendant cinq ans… »
« Quand la perspective de victoire est impossible, les partis se replient sur des logiques corporatistes et d’appareil. »
« Les petites sociétés militantes qui s’hystérisent sur les réseaux sociaux sont dans une tyrannie des petites différences : on s’écharpe ainsi sur les questions de laïcité… Je ne dis pas que ce n’est pas important mais ce n’est pas essentiel du tout. »
« Dans le moment, la gauche a intérêt à mettre l’accent sur ses convergences sur la question sociale et sur l’égalité. »

 Sur l’émancipation des formes traditionnelles pour faire de la politique 
« Dans les années 70 – moment très important de reconstruction de la gauche -, il y avait des partis politiques qui se sont reconstruits sur des bases idéologiques fortes et une ébullition de mouvements sociaux (féministes, écolos, antinucléaires, luttes urbaines…). »
« Aujourd’hui, il y a une étanchéité entre, d’une part, des partis de plus en plus repliés sur eux-mêmes, peu militants, partis d’élus, machines professionalisées, et d’autre part, des mouvements, de Nuit debout aux Gilets jaunes. Aucune fertilisation entre ces monces-là. »
« Il faut une gauche qui soit à la fois partisane et mouvementiste. »
« Le problème, c’est que la gauche partisane donne à voir un spectacle tellement navrant qu’une partie des gens de gauche considèrent qu’il n’y a rien à gagner du côté des élections et se replient dans l’activisme. Et du côté de la gauche partisane, on se méfie des mouvements sociaux. Il faut réarticuler tout ça. »

 Sur la stratégie de Jean-Luc Mélenchon 
« Il est très compliqué de décrypter la stratégie de Jean-Luc Mélenchon parce qu’elle est très fluctuante : il oscille entre une posture populiste tribunicienne qui place au cœur de son discours l’opposition peuple – élite et un discours union de la gauche… Il louvoie entre les deux depuis 2017 : aux élections européennes, il était plutôt union de la gauche, ensuite il a appelé à une union populaire mais il a aussi dans le même temps, beaucoup méprisé et pris de haut les autres partis de gauche, il violente les électeurs de gauche en leur disant qu’il est le meilleur et la seule option sans leur donner des gages… »
« La situation est embarrassante pour la France insoumise : c’est peut-être la force de gauche la plus avancée mais c’est une force politique parmi les autres. »
« Un Mélenchon à 10% dans les sondages alors qu’il était à 19,6% 5 ans plus tôt, ce n’est pas très satisfaisant. »
« La gauche molle social-démocrate ne décolle pas mais la gauche radicale non plus. »
« Certes, Jean-Luc Mélenchon explique que l’idée de gauche a été abîmée par François Hollande mais qu’est-ce qui explique que l’appétence pour une gauche plus radicale type Mélenchon ne soit pas plus forte dans la société ? »
« Le programme de Jean-Luc Mélenchon est, à bien des égards, un programme social-démocrate costaud mais il n’est pas révolutionnaire. »

 Sur Jean-Luc Mélenchon, la gauche radicale et la social-démocratie 
« La question de la radicalité, c’est très relatif et relationnel. »
« Le programme de Jean-Luc Mélenchon est, à bien des égards, un programme social-démocrate, costaud, mais ça n’est pas non plus un programme révolutionnaire. »
« Le centre de gravité de la vie politique s’est tellement déplacé vers la droite qu’on présente comme une offre de gauche radicale un discours qui était le positionnement de Mitterrand en 1981. »

 Sur la disparition de la social-démocratie française 
« Je ne suis pas sûr que la social-démocratie aille mieux en Europe. En Allemagne, le SPD fait alliance avec les libéraux et les écolos. Au Portugal, on a un bon contre-exemple, avec un discours très à gauche. L’Espagne, c’est compliqué. Les pays scandinaves ont toujours une politique particulière, avec de fortes dépenses publiques, et en plus les socio-démocrates scandinaves sont allés sur le terrain de l’immigration. Mais comparaison n’est pas raison, c’est pas les mêmes cultures politiques. »
« L’enquête de la Fondation Jean Jaurès m’a frappée : 40% des électeurs de Hollande 2012 votent pour Macron. L’électorat Macron s’est droitisé mais une partie des anciens électeurs de Hollande sont toujours sur Macron. Ou bien ils votent utiles parce qu’ils ont peur du fascisme, ou bien il s’agit d’électeurs de gauche qui n’étaient plus beaucoup au PS. »
« Pendant de nombreuses années, le PS avait un électorat très hétérogène, notamment une partie d’électeurs très modérés qui attendaient le prétexte ou l’offre politique pour quitter le PS. De fait, ils n’étaient plus des électeurs de gauche. »
« C’est aussi ça qui explique la faiblesse électorale de la social-démocratie, mais aussi de la gauche dans son ensemble. »
« Une partie des électeurs de gauche – qui de fait était centriste – a fait sécession. Ce n’est pas simplement conjoncturel, c’est structurel. »
« Est-ce qu’il existe encore un électorat centre-gauche-modéré en France ? »
« La gauche ne peut exercer le pouvoir que si elle fédère. »
« Le noyau de l’électorat de la France insoumise, c’est 10%. On ne peut pas gouverner avec 10%. »
« Le problème, c’est qu’il n’y a plus la force d’entraînement qu’était le PS, pour des bonnes ou mauvaises raisons, qui propulsait la gauche au pouvoir. »
« La gauche se retrouve dans un étiage à 25%, avec un électorat plus homogène qu’avant, paradoxalement. »
« C’est une illusion de croire que les électeurs de Macron vont revenir. »

 Sur la candidature de Fabien Roussel 
« Au départ, c’est vraiment une candidature d’appareil, avec assez peu d’ambitions. »
« Le PC n’a pas eu de candidat pour les deux dernières présidentielles, il faut retravailler la marque. »
« L’élection présidentielle, c’est ce qui fait exister les partis politiques. »
« Finalement, ça prend. Il y a un phénomène Roussel, au moins médiatique, mais pas que. Il fait le buzz, il a un style qui déconcerte, il a une stratégie de triangulation pour se différencier de LFI et des autres partis de gauche. On met l’accent sur un côté un peu franchouillard, on parle de sécurité, d’immigration. Ça fait vachement plaisir aux journalistes qui voient leurs thèses confortées : quand la gauche parle d’immigration et de sécurité, elle retrouve un petit peu d’oxygène. »
« Il y a quelque chose de plus structurel : le PC, ça représente encore quelque chose en France, il y a une culture communiste séculaire. Et il y a une forme de nostalgie sur laquelle s’appuie Roussel, celle d’une gauche lisible, populaire, patriote. »

 Est-ce que ça ne serait pas Roussel le candidat de la « reconquête de l’électorat populaire » ? 
« Le problème des milieux populaires, c’est qu’ils sont très hétérogènes. C’est la France périphérique, les jeunes des quartiers, ce qu’il reste de France industrielle… Concrètement, Roussel ne parle qu’à une partie des milieux populaires. »
« Roussel est-il fort dans les milieux populaires ? Ça mérite d’être nuancé. Aujourd’hui, les milieux populaires sont démobilisés ou à l’extrême droite. »
« Roussel veut imposer le récit qu’il est en phase avec cette France populaire, mais il est en phase avec une image rétinienne qu’on a de la France populaire. »

 Sur la gauche qui n’assume pas la rupture avec la société de marché 
« Si la société de marché, c’est le consumérisme, une forme d’individualisme hédoniste, etc., c’est très difficile de dire qu’on va complètement rompre avec ça. »
« En quoi l’évolution de la société est-elle défavorable ou favorable à la gauche ? Il est évident qu’il y a plein d’évolutions qui sont défavorables à la gauche – le recul de la conscience de classe, l’individualisme négatif, l’atomisation et le vieillissement de la société. La gauche a du mal parce que cette société libérale suscite de l’adhésion, du désir. Le libéralisme s’est mis du côté du progrès. La gauche apparaît conservatrice puisqu’elle demande des sacrifices, de la sobriété, du partage. Elle est un peu contre cet air du temps. »
« Il y a plein d’autres évolutions de la société qui sont plutôt favorables à la gauche : la jeunesse diplômée, la conscience environnementale, l’aspiration à plus de démocratie, etc. Ce sont des choses que la gauche peut exploiter. Les partis de gauche ne le font que modérément. »

 Sur le clivage gauche-droite 
« Il y a eu une petite ambiguïté – qui n’a pas trompé grand monde en 2017 – sur le Macron disruptif qui allait transgresser ce vieux clivage. Cinq ans plus tard, même ses électeurs le perçoivent comme un Président de droite. Lui-même s’assume comme de droite, il l’a été sur les questions économiques et sociales mais même sur les questions de société. Le Macron libéral-culturel plutôt ouvert aux positions de Merkel sur l’immigration, il a très vite disparu. »
« Macron, c’est un libéralisme autoritaire. »
On aurait pu croire que cette clarification du macronisme aurait pu réactiver le clivage gauche-droite, mais on ne peut pas dire que ça soit le cas. Aujourd’hui, le clivage dominant est celui entre l’extrême droite et le centre-droit. La gauche est asphyxiée. »

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