Virginie Martin : « Les femmes sont les prolétaires d’un monde patriarcal »
Le blacklash subi par le féminisme en ce moment, après une période de libération de la parole et des intelligences, notamment depuis la vague #MeToo, interroge. Dans #LaMidinale avec Virginie Martin, politiste et autrice de Le charme discret des séries (éditions Humansciences), on revient sur deux exemples de ce retour de bâton : le dernier livre d’Emmanuel Todd Où en sont-elles ?, publié au Seuil, et la série télé de l’humoriste Blanche Gardin, « La meilleure version de moi-même », disponible sur Canal +.
UNE MIDINALE À VOIR…
ET À LIRE…
Sur la définition du féminisme par Emmanuel Todd
« Emmanuel Todd s’est beaucoup intéressé à la famille nucléaire, de souche, communautaire, aux liens égalitaires ou autoritaires au sein de la famille. Mais, page 13 de son livre, il affirme aussi qu’il ne s’est jamais intéressé à la question féministe. Et cela dit tout de l’angle mort qu’est la question des femmes dans l’histoire et dans la recherche tant que les chercheuses ne s’en saisissent pas. Pendant des années, un chercheur peut réfléchir à la famille sans se poser la question des femmes et de leur émancipation ! »
« Dans cette mouvance, il se dit que la première vague du féminisme, c’était sympa. Que la deuxième aussi. Mais que maintenant les néoféministes sont insupportables. »
« Il faut se rappeler comment le discours de Simone Veil sur l’IVG avait été accueilli au Parlement à l’époque… C’est parce que le temps a passé et qu’il a édulcoré certaines tensions féministes qu’aujourd’hui, cela paraît sympathique. »
« Emmanuel Todd condamne ce qu’il appelle le néoféminisme ou féminisme de la troisième vague mais sans le comprendre et sans s’y être jamais être intéressé. »
« Aucune des chercheuses sur la question féministe n’est cité : vaguement Judith Butler qu’il égratigne de manière très violente mais le corpus de la recherche n’est pas mobilisé. Ça se veut un livre de recherche mais il n’y a ni bibliographie ni index ! »
« Emmanuel Todd considère que l’on a eu, en France, une version moins chic que Me ton qui s’appelle Balance ton porc. »
« Emmanuel Todd dénigre l’existence, la gravité et le drame des violences conjugales et les féminicides. »
« Les femmes ont porté leur propre combat. »
« Est-ce qu’Emmanuel Todd, qui a tellement travaillé sur les classes sociales, pourrait dire un jour que la condition ouvrière n’existe pas, que le prolétariat n’existe pas et qu’il arrive à s’émanciper grâce aux grands patrons ? »
Sur le blacklash anti-féministe
« Il y a un backlash en ce moment sur les questions féministes, notamment du fait du zemmourisme et de l’antiwokisme. »
« Il y a toute une génération qui a connu les années 70 et qui est très mal-à-l’aise vis-à-vis de combats tels qu’ils sont aujourd’hui vécus. »
« Ça fait des années et des années qu’il est difficile en tant que femme de se projeter dans les grands noms de milliardaires, de la recherche, dans les noms de rue, de métro, dans les peintres, dans les écrivains… »
« La dialectique du « contre » ou de l’« avec » est folle car elles enferment les féministes autant que leurs contradicteurs. On n’est pas chez Clausewitz ! »
« On veut surtout lire Colette plus souvent et savoir qu’Olympe de Gouge a existé. »
« Je rappelle que la question intersectionnelle inclut la question de la classe sociale. »
« Emmanuel Todd affirme que les femmes qui s’intéresse à la question intersectionnelle dans le milieu de la recherche et, dans cette matridominance qu’il dénonce dans l’université, sont des femmes superéduquées. Evidemment puisqu’elles sont chercheuses ! Depuis quand la recherche, quelle qu’elle soit – sur les minorités comme sur les fusions acquisitions – se fait dans les salles de pause des infirmières, depuis quand le nucléaire se discute de 2 à 4 dans un atelier de garagiste ou dans un atelier d’architecture ? Que les chercheuses s’emparent de sujets qui les touchent n’en fait pas des petites bourgeoises ! D’ailleurs Emmanuel Todd est un grand bourgeois, surdiplômé et CSP+. »
« C’est ce que Marx dit : bien sûr que les intellectuels sont toujours un peu des petits bourgeois – comme Emmanuel Todd – parce que nous avons le temps et que nous sommes payés pour cela. »
Sur la série de Blanche Gardin
« La série de Blanche Gardin est d’une rare violence à l’égard du féminisme. »
« A un moment donné, Blanche Gardin parcourt les couloirs d’un immeuble en criant “il y a une femme qui crie” dans un délire paranoïaque car elle entend des féminicides partout. C’est ultra violent. »
« La seule chose que je garderais de la série de Blanche Gardin, c’est qu’elle dit qu’on s’émancipe du patriarcat pour aller se recréer d’autres prisons : les méditations qu’il ne faut pas louper, se nourrir de lumière… A force d’émancipations, on recrée des prisons. »
« Plus les hommes sont puissantes, plus ils ont des structures familiales très fortes avec des enfants. Les femmes, plus elles sont puissantes, plus elles sont célibataires. »
Sur le féminisme au XXIe siècle
« Qu’une femme qui aurait pleinement sa vie en main, qui ne subirait plus de discours sexistes, qui aurait un salaire correct, qui ne serait plus empêchée dans sa carrière au regard du fait qu’elle est une femme, qui pourrait être autant privilégiée dans une famille que son frère, pourquoi cela serait de la castration ? »
« Les femmes sont le prolétariat international, les parentes pauvres de l’histoire du monde. »