Peut-on destituer Emmanuel Macron ?
Spoiler : oui, mais ne rêvez pas, ça n’aboutira pas plus qu’une pétition ou une demande de référendum.
Pour cette réforme des retraites, l’exécutif nous a offert une belle visite guidée de la Constitution : 47.1, 44.2, 44.3, article 38 du règlement du Sénat… et pour finir 49.31.
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Comme l’écrivait ici-même Éric Le Bourg, « tous les articles de la Constitution permettant d’accélérer les débats parlementaires ont été utilisés les uns à la suite des autres : il n’est pas sûr que les rédacteurs de la Constitution, comme Michel Debré, avaient prévu un tel usage transformant ces articles en un moyen de se passer du vote des élus de la Nation. » Et celui-ci de s’inquiéter : « On en vient à se demander non pas si, mais quand, le régime va utiliser l’article 16 de la Constitution » – ce dernier article accordant les pleins pouvoirs au chef de l’État.
Normalement, une démocratie saine met en œuvre, par ses institutions, des espaces de résolution des conflits. Cela peut être le Parlement ou la Justice. Le but étant d’éviter le chaos, la loi du Talion ou encore la guerre civile. Mais Emmanuel Macron a fait la démonstration qu’il peut gouverner seul, par son interprétation autoritariste de la Constitution – permettant de fait un dangereux précédent démocratique. L’Assemblée nationale fait figure, depuis 2017, de chambre d’enregistrement. La Justice se fait expéditive quand elle a affaire à des opposants politiques – on ne compte plus les gilets jaunes condamnés, pour ne citer qu’eux.
Puisqu’il peut gouverner sans avoir besoin ni des parlementaires, ni des syndicats, et sans tenir compte de la rue, comment s’opposer à sa politique ?
C’est là qu’intervient un autre chapitre de la Constitution : l’article 68.
« Le Président de la République ne peut être destitué qu’en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat. »
Une idée qui fait son bout de chemin : à gauche, François Ruffin voit chez Emmanuel Macron « une certaine forme de folie » – même si le député picard plaide plus pour la démission ; à droite, Nicolas Dupont-Aignan assure, lui, qu’il « engagerai[t] la destitution de cet homme dangereux » – on se demande ce qu’il attend pour le faire ?
La destitution, labyrinthe ou voie sans issue ?
Sur le site de l’Assemblée nationale, plusieurs pétitions demandent « la destitution de l’occupant de l’Élysée ». Elle n’ont, à l’heure d’écrire ces lignes, recueilli que 5500 et… 222 signatures. Et on sait ce qui peut arriver à une pétition : celle demandant la dissolution des Brav-M a été classée sans suite par la commission des Lois, alors même qu’elle avait obtenu le nombre record de 263 887 signatures.
Auprès de nos confrères de 20 Minutes, la professeure de droit public à l’université Paris-Nanterre Véronique Champeil-Desplats explique qu’autour de cette question de la destitution, « c’est le grand flou ». Elle poursuit : « Il n’y a pas de définition. C’est la Haute Cour, c’est-à-dire l’Assemblée nationale et le Sénat, qui, quand elle se réunira, décidera au cas par cas quels pourraient être ces motifs. L’esprit, c’est de ne pas laisser en place un président qui serait coupable de manquements à la Constitution. » Tout en sachant que la Constitution est ainsi faite que son article 67 protège le président de la République de toute procédure judiciaire, stipulant qu’il « n’est pas responsable des actes accomplis en cette qualité ».
Reste que le déclenchement d’une destitution est à l’initiative d’au moins un dixième des parlementaires – 58 députés ou 35 sénateurs –, puis le bureau de l’Assemblée examine la proposition et, s’il la valide, ce sont à l’Assemblée et au Sénat d’en débattre et de voter à la majorité des deux tiers. Enfin, la Haute Cour (les membres du Parlement, que l’on appelle ainsi spécialement pour l’occasion) se réunit et donne sa décision finale dans un délai d’un mois – là encore à l’issue d’un vote, à bulletin secret, à la majorité des deux tiers, soit 617 élus. Sachant que les députés n’osent pas faire tomber le gouvernement Borne en votant une motion de censure à la majorité absolue…
Il existe un précédent : en 2016, des députés LR ont déposé à l’Assemblée nationale une proposition de destitution à l’encontre de François Hollande – ils l’accusaient de « divulgations de secrets concernant la défense nationale » dans le livre de Davet et Lhomme Un Président ne devrait pas dire ça. Pas besoin de vous dire qu’il ne s’est rien passé, la démarche n’a pas dépassé l’étape du bureau du Palais Bourbon.
Mais avant toute chose, il est une question à laquelle il faut répondre : qu’est-ce qui définit le « manquement à ses devoirs manifestement incompatible » ? Car entre affirmer qu’Emmanuel Macron est fou et dangereux, et le destituer, il y a un monde.
- L’article 47.1 de la Constitution permet de réduire les débat à l’Assemblée nationale ; le 44.2 bloque les amendements ; le 44.3 organise un vote bloqué ; l’article 38 du règlement du Sénat permet de réduire les débats au Sénat. ↩︎