Pour payer les retraites, faut-il augmenter la natalité ?

Le débat sur les retraites continue et on entend beaucoup de bêtises. Voilà maintenant qu’il faudrait faire plus d’enfants pour sauver le système. De quoi agacer Éric Le Bourg, chercheur retraité du CNRS en biologie du vieillissement.

La réforme des retraites donne lieu à des débats sur la natalité, en particulier à l’Assemblée nationale le 28 février (voir l’encadré), certains estimant qu’une natalité plus forte aiderait à régler le problème du financement des retraites. Le raisonnement est simple – plus d’enfants donnent à terme plus de travailleurs, donc plus de cotisants – et il est exposé avec plus ou moins de finesse, entre par exemple un cadre du Rassemblement national qui « préfère qu’on fabrique des travailleurs français plutôt qu’on les importe » et un autre promouvant une plus forte natalité, mais seulement « pour ceux qui le souhaitent ». À condition de s’attaquer « au déséquilibre démographique », Les Républicains sont visiblement prêts à voter la loi, si le gouvernement ne décide pas in fine de se passer du vote de l’Assemblée nationale.

En somme, tous ont l’air de penser que la clé pour assurer le financement des retraites est d’augmenter le rapport du nombre de cotisants sur celui des retraités, via une augmentation de la natalité. Ce fut effectivement la situation des décennies passées, quand les générations nombreuses du baby-boom entrèrent sur le marché du travail à partir du milieu des années 1960. Cependant, arrivés à l’âge de la retraite depuis environ 2005, les baby-boomers font baisser le rapport du nombre de cotisants sur celui des retraités. Pour de nouveau augmenter ce rapport, il faudrait donc augmenter la natalité pour à terme augmenter le nombre de cotisants. Hélas, ceux-ci, plus tard, deviendraient de nouveaux retraités, rendant nécessaire d’augmenter encore la natalité pour de nouveau augmenter le nombre de cotisants, et ainsi de suite jusqu’à la fin des temps. En somme, il faudrait augmenter en permanence la natalité et, par conséquent, la taille de la population, pour maintenir constant le rapport des cotisants sur les retraités : augmenter la natalité n’a donc guère de sens.

Le baby-boom a eu lieu une fois, il ne se répétera pas à chaque génération, et croire qu’augmenter la natalité pourrait régler un problème de financement des retraites (s’il existe…), est donc une illusion.

Ces responsables du RN ou de LR peinent à réfléchir sur le long terme et ne réalisent pas que nous sommes dans une situation démographique nouvelle que des mesures natalistes ne vont pas changer. Vers 1900, 15% des enfants mouraient avant l’âge d’un an (aujourd’hui, moins de 0,4%). Les maladies infectieuses, jadis première cause de mortalité chez les jeunes adultes (24000 morts de la tuberculose en 1950), ont pratiquement disparu aujourd’hui de la vie habituelle. L’espérance de vie a aussi augmenté aux âges avancés grâce, en particulier, au recul des maladies cardiovasculaires. De nos jours, les couples ont peu d’enfants – 2 en moyenne – mais presque tous atteignent l’âge adulte et peuvent eux-mêmes avoir des enfants. L’espérance de vie est élevée, même si elle stagne en particulier pour les femmes, car se rapprochant peu à peu des limites de longévité. Nous nous dirigeons rapidement vers une société où la pyramide des âges, aux variations annuelles de fécondité près, ressemblera à la courbe de survie des pays développés : peu de morts jusqu’à un âge avancé, puis une forte mortalité aboutissant à un faible nombre de survivants au-delà de 100 ans. En somme, dans l’idéal (hors crise sanitaire, guerre, catastrophe, etc.), autant de personnes de moins de 20 ans, que de 20 à 40 ans, et de 40 à 60 ans, avant une diminution du fait de la mortalité aux âges plus avancés.

Le baby-boom a eu lieu une fois, il ne se répétera pas à chaque génération, et croire qu’augmenter la natalité pourrait régler un problème de financement des retraites (s’il existe…), est donc une illusion. En somme, si des députés votaient l’augmentation de l’âge légal de départ parce que le gouvernement aurait accepté des mesures favorisant la natalité, parce qu’ils croient que cela devrait résoudre le problème du financement des retraites (encore une fois, s’il existe…), le plus charitable serait de dire qu’ils sont des nigauds.


Un débat sur la démographie a eu lieu le 28 février à l’Assemblée nationale. Plusieurs orateurs ont fait référence à une étude de l’Union nationale des associations familiales tendant à montrer que le nombre d’enfants souhaité par les couples (2,39) est supérieur au nombre d’enfants réellement observé, que ce soit par l’indice conjoncturel de fécondité (1,80 enfant en 2022) ou la descendance finale au cours de la vie (au moins 1,99 enfants pour les femmes de la génération 1982 qui n’ont pas encore fini leur vie reproductive). Ces orateurs, qui réclament des mesures natalistes afin de satisfaire ce qu’ils présentent comme les souhaits des couples, font toutefois une lecture erronée de l’étude en question.

Cette étude est basée sur un « échantillon national de 1072 personnes représentatif de l’ensemble de la population âgée de 15 ans et plus, interrogées en face-à-face à leur domicile », donc sur des déclarations non anonymes dans des conditions où les personnes interrogées sont soumises à une pression sociale évidente, ce qui suffit à discréditer ses conclusions. Interroger les gens en face à face à leur domicile sur des questions touchant à leur famille est la garantie d’avoir des réponses biaisées : qui va en effet oser dire « J’ai 3 enfants mais je n’en voulais que 2 ! » ? On imagine la réaction du conjoint, voire des enfants présents : « Papa/Maman, tu préfèrerais que je n’existe pas ? ». Il y a donc peu de chances que le nombre d’enfants déclaré comme souhaité soit inférieur au nombre d’enfants réel. De fait, le nombre réel est très proche du nombre déclaré comme souhaité, les familles de deux enfants en souhaitant en moyenne 2,28, celles de trois enfants 3,15. Celles de 4 enfants ou plus en souhaitent 3,51, peut-être parce que les parents de familles très nombreuses sont plus enclines à admettre publiquement qu’il s’agit d’un « accident ». Par contre, la majorité des familles d’un enfant en souhaitent deux, peut-être tout simplement parce qu’elles n’ont pas encore eu le temps de les avoir, et le nombre souhaité est en moyenne de 1,85. Gageons que ces parents sont jeunes et ne sont pas encore tous à réfléchir à un deuxième enfant.

En somme, cette étude voulant montrer que les familles veulent plus d’enfants qu’elles n’en ont réellement est biaisée et inutilisable. Si on voulait réellement savoir le nombre d’enfants souhaité par les couples on aurait privilégié une procédure reposant sur un anonymat strict.

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