7 articles à lire pour tout comprendre à la (contre-)réforme des retraites
La réforme des retraites a beau être contestée de toutes parts, rejetée par toutes les enquêtes d’opinion et même potentiellement minoritaire à l’Assemblée, le gouvernement s’entête. Aussi faut-il continuer à déconstruire ses arguments orwelliens. Bernard Marx vous livre ses conseils de lecture.
La bataille des retraites va connaitre une nouvelle phase avec l’examen au Parlement du projet de loi macronien et avec, dès cette semaine, deux nouvelles journées nationales de mobilisation et de manifestations. La force des deux premières journées de mobilisation et tous les sondages disent l’ampleur de l’opposition des Françaises et des Français à ce projet. « Cela montre bien à quel point la bataille de l’opinion est quasiment perdue pour le gouvernement », diagnostique Frédéric Dabi, directeur général de l’Ifop qui a réalisé le sondage publié ce dimanche dans le JDD. Il n’empêche. La bataille d’idées n’est pas définitivement gagnée. Il faut continuer à rechercher les bons arguments et les bonnes analyses. Cela donne des forces. Voici donc sept conseils de lectures pas trop longues et toutes vivifiantes.
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Sur le déficit qui menacerait l’existence du système de retraite
Christophe Ramaux présente au moins 10 arguments qui permettent de dégonfler la baudruche des déficits du système de retraite et de la nécessité du projet du gouvernement pour le sauver. Cela va de la présentation biaisée de ces déficits qui les gonfle artificiellement, au fait que le gouvernement creuse lui-même le trou par l’austérité salariale imposée dans la fonction publique. Sur ce point précis on pourra également se reporter à l’analyse du collectif Nos services publics. In fine, l’économiste présente des pistes alternatives pour mieux financer les retraites et pour améliorer le sort des retraités actuels et surtout futurs.
« La « réforme » est inique aussi pour cela : elle s’interdit de mobiliser les leviers à même d’offrir une perspective de progrès, celle-là même qui manque tant aujourd’hui ».
Sur la question majeure mais maltraitée de la démographie
La question des retraites est aussi une question de démographie. Le gouvernement et des économistes comme Élie Cohen prétendent justifier la réforme par la démographie, ce phénomène le plus simple du monde et le plus facile à prévoir. Et la démographie nous dirait qu’avec l’allongement de la vie et le vieillissement relatif de la population on va passer de 1,7 cotisant pour 1 retraité à 1,3. Et donc forcément si on ne veut pas augmenter le poids qui pèse sur les actifs cotisants, il faudrait diminuer le nombre de retraités en retardant l’âge de leur départ en retraite. Michaël Zemmour répond que l’évolution de la démographie est déjà prise en compte avec les réformes passées.
Le démographe et historien Hervé Le Bras apporte un argument supplémentaire et de poids concernant justement la démographie. Celle-ci ne suit pas une évolution linéaire, mais cycliques comme du reste l’ensemble des rapports sociaux. La tendance n’est pas à l’amélioration sans fin de l’espérance de vie et à l’augmentation démultipliée du nombre total des années de retraites qu’il va falloir verser. On constate au contraire, dès maintenant et dans de nombreux pays développés, y compris en France, une tendance au ralentissement de l’augmentation de l’espérance de vie. Les prévisions du COR et du gouvernement sont donc faussées. À court comme à long terme. A fortiori, si l’on pose la question du solde migratoire.
« Quand on combine les deux volets, mortalité et immigration, en tenant compte de la situation réelle et non d’hypothèses ad hoc irréalistes, le problème du déficit des retraites disparaît quasiment, du moins à l’horizon 2030. Quant à faire des scénarios jusqu’en 2070 comme le fait le COR, cela n’est pas sérieux : qui peut prévoir le taux de chômage, la croissance économique, celle de la productivité, l’espérance de vie, la fécondité, les migrations en cette année lointaine ? Cela procure l’illusion d’un travail scientifique ».
Sur les données que le gouvernement ne fournit pas pour cacher les véritables effets de sa réforme
L’économiste Michaël Zemmour a lu avec attention l’ensemble du dossier transmis aux parlementaires. Sur une réforme d’une telle importance, il ne leur a pas fourni les éléments d’informations indispensables sur les principaux enjeux et les principaux effets sociaux économiques de la réforme. L’économiste en décortique deux : les effets de la réforme sur la croissance qui selon les modèles économiques servant de support au Trésor et aux instituts de prévisions économiques seront en fait beaucoup moins favorables que ne le prétend le gouvernement.
« Nulle part on ne peut lire qu’environ une femme sur quatre sera concernée par un décalage de deux ans pour une pension quasi inchangée, ni savoir combien subiront une perte de surcote de 10% du fait de la réforme… Côté conséquences sociales, l’étude d’impact est encore plus lapidaire : elle ne mentionne aucun des effets à attendre sur la précarité des seniors en emploi. Or, avec une douzaine d’années de recul, on sait désormais qu’un décalage de l’âge se traduit principalement par un allongement de la période de précarité entre emploi et retraite. Ainsi, la hausse de l’emploi d’environ 300.000 seniors devrait se payer d’une hausse du nombre de seniors « sans emploi ni retraite » de l’ordre de 200.000 ».
Sur les véritables raisons de la contre-réforme (1/2)
Celles et ceux qui manifestent avec une pancarte figurant Macron en Madame Thatcher ciblent bien l’enjeu de sa contre-réforme des retraites. Le journaliste économique de Médiapart, Romaric Godin, décortique, lui aussi, ce qu’il nomme « la violence structurelle de l’exécutif à l’égard du monde du travail ». Il en analyse les contours. La réforme des retraites va avec celle de l’assurance chômage. Et l’ensemble, dit-il, a une fonction précise dans la cadre du capitalisme actuel. Celle de « discipliner le monde du travail au profit d’un système productif en crise structurelle ». Comment, en effet, continuer à rentabiliser la production et à faire marcher la machine à dividendes alors que « le capitalisme contemporain est un capitalisme de bas régime, avec des gains de productivité faibles, voire négatifs » ? Sinon en résistant à la hausse des salaires réels et imposant que les travailleurs acceptent les emplois proposés, qui sont souvent pénibles et mal payés. C’est à cela que vise les réformes marconienne des retraites et du chômage. « Derrière les boniments se cachent bien la guerre sociale et la violence de classe ».
« La réforme répond à deux des principales préoccupations du moment du capital. La première est celle de résister à toute demande de hausse salariale, alors que le taux de chômage recule. La seconde est de faire en sorte que les travailleurs acceptent les emplois proposés, qui sont souvent pénibles et mal payés. »
Sur les véritables raisons de la contre-réforme (2/2)
L’économiste et militant d’Attac Maxime Combes et le journaliste Olivier Petitjean, coordinateur de l’Observatoire des multinationales, travaillent de longue date sur les aides publiques, ce pognon de dingue dont la mécanique et l’ampleur caractérise d’une certaine manière le capitalisme à la Française. C’est à travers cette emprise toujours plus prégnante qu’ils analysent et font comprendre la réforme marconienne des retraites comme un jeu de vases communicants, mais fonctionnant toujours dans le même sens. La conclusion s’impose : on peut et il faut inverser les flux. « Selon les premiers calculs réalisés par le Centre lillois d’études et de recherches sociologiques et économiques, le « quoi qu’il en coûte » mis en œuvre pendant la pandémie de Covid-19 a fait bondir les aides publiques aux entreprises de 50%, pour atteindre le montant stratosphérique de 207 milliards d’euros en 2021. Ramener le montant de ces aides à leur étiage de 2018 dégagerait donc une cagnotte budgétaire de plus de 60 milliards d’euros ».
« L’affaiblissement progressif et continu du Welfare State, cet État-providence chargé de protéger la population face aux « risques sociaux » (chômage, maladie, vieillesse, accident, handicap, etc.), est le corollaire de l’accroissement continu des aides publiques aux entreprises sous diverses formes (subventions, crédits d’impôts, baisses de cotisations, cadeaux fiscaux), sans que ces aides soient le plus souvent assorties de conditions économiques, sociales, fiscales ou écologiques. Recourant, faute de mieux, à un anglicisme, nous avons proposé de parler de « Corporate Welfare » pour caractériser cet État-providence mis au service du secteur privé ».
Sur l’ampleur des manifestations contre le projet du gouvernement dans les grandes et les petites villes
Le sociologue Michel Wieviorka apporte un éclairage optimiste sur la portée des mobilisations dans les grandes et dans les petites villes contre la réforme macronienne des retraites. D’une part, elles montrent l’importance et la portée d’un front syndical uni et peuvent être le signal d’un renouveau du rôle des syndicats. D’autre part, l’importance des mobilisations sur tout le territoire – dans les grandes mais aussi dans les villes moyennes et petites – met à mal l’opposition entre « la France populaire » des « périphéries » et celle des métropoles. Même si on ne se mobilise pas pour les mêmes raisons à Paris ou à Ales, écrit Michel Wieviorka, « tous ces manifestants sont très attachés à notre modèle de service public, ont le sentiment qu’il est en danger et veulent le protéger ». Même si le sociologue ne s’y risque pas, autant dire la possibilité d’une nouvelle alliance sur de tels objectifs entre couches populaires et couches moyennes.
« Ces mobilisations nous disent qu’il existe un corps social qui partage un sentiment d’appartenance à un même univers ».
Sur le travail dont la crise est bien plus grave et urgente à traiter que celle qui menacerait prétendument le système de retraites
Au lieu de prétendre soigner d’urgence la crise du système des retraites qui n’existe pas en repoussant de deux ans l’âge de départ à la retraite, le gouvernement ferait mieux de s’attaquer à la crise du travail qui ronge la France et les Français, de façon très spécifique en Europe. Du moins s’il avait le bien commun pour moteur. La sociologue Dominique Méda décortique cette crise à partir de différentes enquêtes et notamment celles de la Fondation européenne pour l’amélioration des conditions de vie et de travail. L’ampleur de cette crise ne vient pas d’une perte de la valeur travail des Français. Au contraire, explique-t-elle, « les Français – et les jeunes plus encore que les autres – placent d’immenses attentes dans le travail. Outre la possibilité d’avoir un bon salaire, ils plébiscitent l’intérêt du travail, les relations sociales que le travail permet, l’utilité de celui-ci ». Mais « ces très fortes attentes viennent se fracasser sur la réalité des conditions d’exercice du travail qui se caractérisent trop souvent par du mépris social et un management fondé sur le diplôme, incapable de connaître les contraintes de l’activité ».
« La puissance des réactions suscitées par la réforme des retraites ne s’explique pas seulement par la brutalité des mesures annoncées. Cette séquence jette soudainement une lumière crue sur une situation restée jusqu’alors relativement taboue : l’ampleur de la crise du travail en France. En effet, alors que de nombreux responsables politiques appellent à vénérer la « valeur travail », les Français sont à la peine. Le travail est devenu pour un grand nombre d’entre eux insupportable et même, au sens propre du terme, insoutenable ».