Rapport Draghi : le besoin d’une contre-offensive

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Le rapport sur l’avenir de la compétitivité en Europe que Mario Draghi a remis le 9 septembre à la Commission européenne est important. Par sa taille, par son contenu et parce qu’il va fortement influencer le plan d’action sur cinq ans de la nouvelle Commission.

Mario Draghi sonne l’alarme. Si rien ne change, l’Union européenne (et les pays qui la composent) est menacée par un déclin économique et par « un véritable défi existentiel » : « Nous ne pourrons pas devenir à la fois un leader des nouvelles technologies, un modèle de responsabilité climatique et un acteur indépendant sur la scène mondiale. Nous ne pourrons pas financer notre modèle social. Nous devrons revoir à la baisse certaines, voire toutes nos ambitions. »


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Avec des résultats si contraires aux valeurs et aux attentes qui prétende la justifier, c’est l’existence même de l’Union européenne qui sera menacée. Ce constat est lucide. L’alarme sonne juste.

Bien entendu, le rapport ne s’arrête pas là. Il fait un diagnostic : il faut 800 milliards d’euros d’investissements par an jusqu’en 2030. 5% du PIB européen. Trois fois le plan Marshall de l’après-guerre. Il parle de politique industrielle, de sa coordination avec le marché unique, la politique de concurrence, la politique commerciale. Il propose aussi d’avoir recours à l’emprunt européen, comme cela a été fait lors du covid. Et il formule tout un ensemble de préconisations sur dix secteurs clés. Mais, en même temps, le bât blesse sur des points essentiels.

Rapport Draghi : là où le bât blesse

Il y a d’abord l’idée d’Ursula Van Leyen de nommer un Vice-Président de la Commission d’extrême droite pour chapeauter l’économie et donc la mise en œuvre du rapport.

Il y a ensuite le nee de la coalition hollandaise et surtout le nein immédiat du ministre des finances allemand, opposé à tout nouvel emprunt européen. Un refus d’autant plus significatif que l’Allemagne est plongée dans une véritable crise existentielle de son industrie. Et d’autant plus sidérant que si l’Union européenne ne fait pas rouler la dette covid par un nouvel emprunt, son remboursement grèvera lourdement ses budgets futurs.

Il y a l’alerte lancée par la Confédération Européenne des Syndicats : le rapport est trop silencieux sur les mesures nécessaires pour garantir la protection et la création d’emplois de qualité dans tous les secteurs et dans toutes les régions.

Il y a l’alerte lancée par l’économiste Benjamin Bürbaumer : le rapport reste calé sur une analyse dépassée de l’économie mondiale et de la rivalité USA-Chine. Les préconisations de Mario Draghi visent essentiellement à accroître les parts des firmes européennes sur le marché mondial. C’est inadapté et ce sera inefficace.

Il y a l’alerte évidente : les ambitions affichées du rapport sont impossibles à réaliser sous la coupe du pacte de stabilité et de croissance.

Il y a l’alerte de l’économiste Daniela Gabor : les financements publics ne sont là que pour sécuriser et rentabiliser des financements des marchés financiers encore plus prédominants (marché unique des capitaux). Et, dans le même sens, l’alerte de l’économiste Denis Durand : c’est toute la politique monétaire de la Banque Centrale Européenne, le système bancaire et la sélectivité des crédits qu’il faut réformer.

Il y a l’alerte de Thomas Piketty sur « l’approche technophile, marchande et consumériste assez traditionnelle » du rapport. Il mise largement sur les subventions publiques aux investissements privés dans le numérique, l’intelligence artificielle et l’environnement : « L’Europe doit au contraire saisir l’occasion pour développer d’autres modes de gouvernance et éviter de donner, une fois de plus, les pleins pouvoirs aux grands groupes capitalistes privés pour gérer nos données, nos sources d’énergie ou nos réseaux de transport ».

Et au total, « le changement radical » du rapport de Mario Draghi a beaucoup à voir avec la vieille et inefficace politique de l’offre pro-business : tabler sur la destruction créatrice des industries et des technologies dépassées ; taper sur les coûts salariaux et miser sur les aides fiscales pour rentabiliser les investissements escomptés.

Les réactions politiques au rapport Draghi ont été, en France, inexistantes. Côté gouvernement, cela ne fait pas partie des affaires courantes. Au niveau de l’Union européenne, la macroniste Valérie Hayer, pour le groupe Renew, l’a accueilli avec satisfaction. L’insoumise Manon Aubry a critiqué « son élan vers plus de libéralisation, de déréglementation et d’incitations du secteur privé ». Sauf erreur, rien encore du côté des socialistes et des écologistes.

Surtout, les enjeux mis sur la table par Mario Draghi sont trop importants pour être laissés aux seuls débats des Parlementaires européens et à l’action du futur gouvernement français. Il y aurait besoin que le Nouveau Front populaire prenne les devants et contre gouverne. Il y aurait besoin qu’il le fasse en travaillant avec les économistes et les autres acteurs de ce qu’on appelle la société civile qui se sont mobilisés en juin et juillet. Et il y aurait besoin que cela se fasse aussi à l’échelle internationale en Europe. Pas seulement dans les silos des groupes du Parlement français et du Parlement de l’Union européenne. Hélas, c’est sans doute rêver.

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