Quel remix énergétique pour demain ?

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Défi des années à venir, la question énergétique devrait être le débat central de la présidentielle, loin devant la sécurité, l’immigration, l’identité. Mais c’est à peine si l’on a commencé à en poser les termes.

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Cet article est extrait du n°56 de la revue Regards, publié au premier semestre 2022 et toujours disponible dans notre boutique !
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Q uelle énergie pour les années, les décennies, les siècles à venir ? Le nucléaire, le renouvelable ? Comment la produire, la stocker, la consommer ? Et si le problème n’était pas qu’une histoire de temps ? L’enjeu de l’énergie est au cœur de la question climatique et de ses funestes conséquences en cas de dérèglement excessif. «Pour décarboner notre économie, il va falloir consommer plus d’électricité», notait ainsi l’éditorialiste de France Inter Thomas Legrand, le 12 octobre. Il est vrai qu’à ce stade, on arrive lentement à décarboner, mais on n’arrive pas à s’engager sur la voie de la sobriété.

En effet, si nous souhaitons réduire nos émissions de carbone – ce à quoi nous parvenons petit à petit –, nous ne pouvons faire comme si demain allait être moins énergivore qu’hier. Transports, chauffage… nos sociétés font face à un paradoxe : fatalement, nous allons être amenés à consommer plus d’énergie, et il s’agirait que cette énergie soit la plus verte possible. Mais, dans le même temps, c’est précisément contre cette augmentation de notre consommation d’énergie qu’il faut lutter. La trajectoire envisagée, si ce n’est choisie par nos sociétés (du moins par nos représentants élus), se situe plutôt du côté du verdissement de l’énergie que de la frugalité. Selon le Haut-commissariat au Plan, la part de l’électricité dans l’énergie finale consommée doublerait entre 2020 et 2050. Mais encore faut-il qu’elle soit durable. Bien évidemment, il est des pans de notre consommation d’énergie que nous devons réduire : les éclairages commerciaux, les passoires thermiques, etc. Tout ceci induit de changer notre modèle de consommation énergétique, et donc de sortir du consumérisme.

La lutte contre le réchauffement climatique semble difficilement compatible avec la trop lente évolution de nos modes de consommation et de production.

Le prix des fossiles

Cet objectif est inatteignable sans mettre fin au capitalisme et à ses inégalités intrinsèques. Mais a-t-on le temps de mettre fin au capitalisme ? La lutte contre le réchauffement climatique est une urgence qui, aujourd’hui, semble difficilement compatible avec la trop lente évolution de nos modes de consommation et de production. Un seul espoir, et non des moindres : la pandémie du Covid-19 a été gérée, dans des démocraties comme la France, de façon autoritaire. Du jour au lendemain, des millions de gens ont été confinés chez eux et obligés de porter un masque. C’est donc que des mesures fortes et radicales peuvent être prises si urgence il y a. Mais ces mesures peuvent-elles être pérennes ? Rien n’est moins sûr – on le voit depuis maintenant un an et demi.

Par ailleurs, comme l’expose Alternatives économiques : «Les Terriens émettent chaque année 50 milliards de tonnes de CO2, soit en moyenne 6,6 tonnes par personne dans le monde. Mais, quand on y regarde de plus près, 50 % de la population mondiale émettent 1,6 tonne par an et par personne, quand le 1 % des individus les plus polluants en émet… 110 ! Et, sans surprise, les plus riches sont bien représentés parmi les plus gros pollueurs. » Des chiffres qui ne perturbent pas le moins du monde un Jean-Marc Jancovici pour lequel « même les Français modestes consomment trop d’énergie ».

Tout d’abord, il faut rappeler une réalité dont les ménages ont bien conscience: les combustibles fossiles n’ont jamais coûté aussi cher. Et ce n’est pas négligeable dans la facture énergétique. Aujourd’hui, la production d’électricité à partir de combustibles fossiles représente deux tiers de l’électricité mondiale. Or les réserves se raréfient dans un contexte d’augmentation des prix (dont la raréfaction est l’un des facteurs, mais pas le seul). En France, on entend souvent que le nucléaire représente près de 70% de l’énergie électrique consommée. C’est vrai, mais il ne représente que 40% de l’énergie primaire totale consommée en France. Le pétrole (28,1%) et le gaz naturel (15,8%) viennent compléter le podium. Or, avec le charbon (2,5% de la consommation primaire finale de la France), ces trois matières premières sont des énergies fossiles qui émettent une part considérable des gaz à effet de serre – en 2018, plus de 70% des gaz à effet de serre des émissions totales de la France étaient dus à de l’utilisation d’énergie, notamment dans les secteurs des transports et de l’industrie.

Face à l’urgence climatique, nombreux sont ceux qui reviennent au nucléaire après avoir affirmé qu’il fallait en sortir le plus vite possible.

Si l’on comprend facilement pourquoi il peut y avoir des fluctuations dans le prix de l’essence à la pompe – le marché du pétrole étant dépendant de multiples facteurs politico-économiques –, il est moins aisé de saisir pourquoi celui de notre électricité fluctue aussi (comme en témoigne la hausse de près de 25% à l’automne 2021). Une raison principale à cela: le prix du mégawattheure d’électricité est indexé sur celui des sources d’énergie d’appoint, c’est-à-dire celui de la dernière centrale à gaz ou à charbon mise en route pour répondre à la demande. Cette règle européenne vise à éviter toute rupture d’approvisionnement… Un paradoxe parfaitement résumé par Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, dans Le Monde le 5 octobre 2021 : «Aujourd’hui, le mégawattheure d’électricité sort à 40 euros des centrales nucléaires françaises et vaut plus de 110 euros sur le marché.»

Le coût du nucléaire

Même si l’on extrait théoriquement le nucléaire du reste des énergies et qu’on l’analyse indépendamment, il comporte aussi un problème : la construction, l’entretien et le démantèlement des centrales sont un gouffre financier. La Cour des comptes avait ainsi estimé en 2016 que les coûts de maintenance de nos centrales nucléaires seraient de 100 milliards d’euros d’ici à 2030. Car les investissements sont colossaux à partir de trente à quarante ans d’exploitation d’un réacteur. Pour répondre à la croissance de la demande de la consommation énergétique, et notamment d’électricité française, Emmanuel Macron a annoncé récemment la construction de nouveaux réacteurs nucléaires. On le sait, le coût de construction de l’EPR de Flamanville atteindra la somme colossale de 19,1 milliards en 2023 (contre 3,3 milliards envisagés en 2007). Mais, pour les trois paires envisagées par le président de la République, le ministère de la Transition énergétique table sur une facture qui se situerait entre 52 à 64 milliards d’euros. Concernant le démantèlement, les coûts, selon EDF, se situeraient entre 350 et 400 millions d’euros pour des réacteurs de deuxième génération.

Force est de constater que dans le paysage politique, mais aussi dans le débat public, les positions sur le nucléaire sont en train de changer. Face à l’urgence climatique, nombreux sont ceux qui y reviennent après avoir affirmé qu’il fallait en sortir le plus vite possible. Car, paraît-il, nous n’aurions pas le temps de nous en passer, c’est-à-dire de nous engager durablement sur la voie d’une sobriété stricte. Hélas, le débat sur le nucléaire à gauche se termine souvent par un concours entre ceux qui voudront en « sortir » le plus tôt. Dix ans pour Jean-Luc Mélenchon, vingt pour Yannick Jadot, «très très vite» pour Anne Hidalgo (comprendre : dans plus de vingt ans…). Seul Fabien Roussel fait exception, vantant la réindustrialisation de la France grâce au nucléaire. Et puis, il y a cet argument non négligeable : un réacteur, «ça peut nous péter à la figure», pour citer Yannick Jadot.

Seulement, outre son coût, il y a bien sûr le problème de l’uranium, que nous n’extrayons plus sur le territoire français depuis le début des années 2000 (on comptait 248 mines d’uranium réparties sur 26 départements, dont la plupart n’ont toujours pas été, aujourd’hui, requalifiées) : les conditions de travail y étaient trop difficiles et l’opposition locale souvent féroce. On a donc préféré délocaliser cette extraction dans des pays tiers, souvent plus pauvres donc dépendants de cette manne pour pouvoir subsister et moins regardants, de facto, sur les conséquences pour celles et ceux qui y travaillent ou vivent aux alentours.

Les limites du renouvelable

Présentées comme étant l’alternative idéale aux énergies fossiles comme au nucléaire, les énergies renouvelables (solaire, éolienne et hydraulique) sont souvent mises en avant avec force convictions. Mais plusieurs limites sont à prendre en considération : le facteur de charge du solaire et de l’éolien, c’est-à-dire la portion de temps durant laquelle de l’électricité est produite, est de 25 à 30 % – un panneau solaire ne produit pas d’électricité la nuit ou lorsque la couche nuageuse est trop dense, une éolienne ne produit pas grand-chose lorsqu’il n’y a pas de vent… En Mer du Nord, le vent a faibli, poussant l’Europe à augmenter sa demande de gaz pour pallier l’éolien offshore. Itou pour l’hydraulique : dans le sud-est de la Chine, la sécheresse a abaissé le niveau des eaux de 80 %, avec pour résultat des centrales hydroélectriques à l’arrêt et des usines à charbon qui prennent le relais, et pour corollaire le problème d’un manque de charbon.

Comme pour les autres types de production d’énergie, il y a la question du coût. Dans un rapport de 2018, la Cour des comptes évaluait à 121 milliards les dépenses publiques de l’État en soutien au secteur des énergies renouvelables, seulement pour répondre aux contrats engagés avant 2017 – depuis, on peut imaginer qu’il s’est engagé encore davantage. Surtout, on ne peut envisager, au vu de la croissance de notre consommation d’énergie, que les énergies renouvelables puissent assurer la totalité de notre demande. Elles doivent nécessairement être comprises dans un mix énergétique au sein duquel leur part pourrait augmenter significativement.

Seulement, pour le nucléaire comme pour les énergies renouvelables, il est déjà presque trop tard. En supposant que l’on remplace les centrales à gaz ou à charbon par des centrales nucléaires, à l’échelle mondiale, avec pour but de réduire de 10 % les émissions de gaz à effet de serre, il faudrait construire un réacteur par semaine d’ici à 2030. Sachant qu’il faut entre 15 et 20 ans pour en construire un… Sachant, surtout, qu’en 2070 les réserves d’uranium mondial seront épuisées. À quoi bon ?

Le temps joue en notre défaveur. Il n’y a rien à y faire. Nous n’avons pas le temps de remplacer les énergies fossiles par autre chose. Pas le temps de développer un nucléaire « sain », pas le temps de changer notre consommation d’électricité au niveau de la société tout entière. L’urgence du bouleversement climatique, son imminence, nous obligent à tout repenser. La sobriété apparaît comme l’une des solutions : depuis une vingtaine d’années, en France, notre consommation stagne un peu en dessous de 3 000 TWh. Il faudrait aller plus loin, mais cela nécessiterait des changements importants dans nos modes de vie. La question cruciale à laquelle il faudra répondre est donc la suivante : est-ce que cette sobriété sera imposée par les puissants, sous l’égide des règles du néolibéralisme, ou bien est-ce qu’elle viendra d’en bas, éthique, solidaire et source d’une meilleure égalité entre tous et toutes ? 

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