PCF : Roussel a plié le match
Dimanche 29 janvier, lors de la première étape du congrès du PCF, les communistes n’ont pas hésité : ils sont plus de 80% à avoir choisi le texte d’orientation de la direction. Roger Martelli analyse ce résultat.
Les résultats du vote des militants communistes sont un succès éclatant pour Fabien Roussel. En recueillant plus de 80% des suffrages exprimés, la motion défendue par le secrétaire national a obtenu le plus fort pourcentage depuis l’adoption des nouveaux statuts du PCF en 2001.
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Il est vrai que Fabien Roussel aura la lourde tâche de relancer une organisation électoralement affaiblie et aux effectifs en baisse continue. Jusqu’à la veille de la consultation, l’état des effectifs restait dans l’ombre et des bruits couraient selon lesquels le PCF pourrait être descendu très au-dessous du seuil des 40.000 cotisants, quand il en annonçait officiellement près de 100.000 en 2006. La publication des résultats du vote interne permet d’y voir un peu plus clair, les militants habilités à voter étant les cotisants réguliers. À l’exception de l’année 2017, la perte militante a été continue depuis 2006. Si elle a été faible depuis le dernier vote de mai 2021 (un peu moins de 2000), elle est toutefois d’un peu plus de 7000 militants depuis le congrès de 2018. Au total, le nombre de cotisants a été pratiquement divisé par deux depuis que le PCF s’est engagé dans le Front de gauche en 2008. Près de la moitié des cotisants sont concentrés dans 17 départements d’implantation ancienne, dont 6 en Île-de-France. En revanche, 31 départements comptent moins de 200 cotisants.
La distribution des votes
En 2018, à la surprise générale, le texte de la majorité sortante, défendu par Pierre Laurent, avait été distancé par le document alternatif porté par le député du Puy-de-Dôme, André Chassaigne : 38% contre 42%. Un troisième texte, proposé par les militants les plus engagés dans l’expérience du Front de gauche (Printemps du communisme) s’était alors contenté d’un modeste 12%. En 2023, les lignes se sont déplacées. Une part conséquente de l’ancienne majorité – avec notamment deux anciens secrétaires nationaux Pierre Laurent et Marie-George Buffet – s’est rapprochée des tenants du « Printemps » pour opposer au secrétaire national une base alternative intitulée « Urgence de communisme ». Au début décembre 2022, le projet de « base commune » proposé par Fabien Roussel avait été adopté par un peu plus de 58% des membres du Conseil national, 38% ayant alors voté contre. À ce moment-là, la situation semblait incertaine, aux dires mêmes des protagonistes. En fait, les militants se sont déplacés à plus de 70% (62% en 2018) pour accentuer largement le score du texte de la majorité sortante. L’évolution du dispositif interne depuis 2018 rend difficile la comparaison des résultats pour cette première phase de la préparation du congrès communiste. On peut seulement constater que le texte Roussel de 2023 a progressé de près de 40% sur celui qui l’avait propulsé à la tête du parti en 2018. En revanche, le texte Urgence de communisme peut être mesuré à l’aune des 12% du « Printemps » ou encore du total obtenu par ce texte et par celui de la majorité sortante conduite par Pierre Laurent (50% des exprimés en tout).[cliquez sur le graphique pour l’agrandir]
La distribution des votes reflète pour une large part celle des signataires des textes en lice. Le texte majoritaire est au-dessus de sa moyenne nationale dans 60 départements et n’est au-dessous du tiers des exprimés que dans 12 départements. Il dépasse au contraire les 90% dans 28 d’entre eux : ses zones de force se situent avant tout dans le Nord et l’Est, ainsi que dans le Massif central et le quart sud-ouest. Les résultats du texte minoritaire sont sensiblement au-dessous des prévisions les plus basses de ses partisans. Ses zones les plus favorables sont en nombre restreint : il ne dépasse la moyenne nationale que dans 36 départements et il n’est majoritaire que dans 4 d’entre eux, dont le plus important est la Seine-Saint-Denis. La moitié des voix obtenues (5300) sont concentrées dans 11 départements (Seine-Saint-Denis, Val-de-Marne, Hauts-de-Seine, Bouches-du-Rhône, Paris, Gard, Seine-Maritime, Hérault, Alpes-Maritimes, Essonne) dont 5 en région parisienne.
Identité et rassemblement
En réalité, les rapports des forces révélés par le vote du week-end ne font que refléter celui qui s’était exprimé en 2021, quand il s’était agi de définir la stratégie communiste pour l’élection présidentielle à venir. En mai de cette année-là, les militants communistes avaient été appelés à choisir entre deux options, l’une qui proposait une candidature communiste, l’autre qui suggérait de pousser le plus loin possible les démarches en vue d’un rassemblement à gauche. Près des trois quarts des militants consultés avaient alors choisi la première option, et un peu plus de 23% avaient retenu la seconde. Dans l’ensemble, les résultats d’Urgence de communisme en 2023 se rapprochent de ceux d’avril 2021, mais avec un tassement de 5% entre les deux dates. La progression en pourcentage de la sensibilité « unitaire » s’observe dans 24 départements, mais le fléchissement l’emporte, parfois de façon spectaculaire, dans 72 autres. Le tableau ci-après présente l’évolution dans les vingt départements où la progression est la plus forte et dans les vingt où le recul est le plus sensible.[cliquez sur le graphique pour l’agrandir]
Fabien Roussel a d’ores et déjà gagné son congrès : le texte qu’il défendait est désormais la base « commune » pour préparer le texte final, qui sera adopté en avril après avoir été amendé par les cellules, les sections, les fédérations puis le congrès national. Dans l’équilibre, classique pour la culture communiste, entre l’affirmation identitaire et le souci du rassemblement majoritaire à gauche, c’est le premier terme qui a été jugé plus fondamental que le second. Le choix d’une candidature présidentielle communiste et le style adopté par le secrétaire national dans cette campagne ont été ainsi massivement validés par les communistes. Formellement, le rassemblement opéré aux législatives de juin n’est pas remis en cause. Mais le numéro un lui-même ne manque pas de faire entendre sa distance avec le cadre actuel de la Nupes. Manifestement, cette attitude converge avec la sensibilité d’un actif communiste qui se reconnaît difficilement dans le magistère de Jean-Luc Mélenchon et de la France insoumise. En cela, le signal donné par ce vote n’est pas si loin de celui qui s’est exprimé du côté d’EE-LV et du Parti socialiste. Chacun devrait en tenir compte de façon responsable, et au premier chef LFI qui s’est affirmée au printemps dernier comme la force centrale à gauche. Face à une droite ultra-majoritaire et radicalisée, le cadre de la Nupes reste à ce jour le plus raisonnable et le plus offensif pour relancer la gauche et donner au mouvement populaire l’élan politique dont il a plus besoin que jamais. Mais ce cadre nécessaire est pour autant un cadre fragile. Aujourd’hui, il ne s’agit donc pas tant de dire si l’on est pour ou contre la Nupes, que de réfléchir aux moyens, intellectuels, stratégiques et organisationnels, qui permettront d’éviter qu’il n’en soit, pour l’alliance actuelle, comme il en fut des expériences passées, union de la gauche, gauche plurielle, collectifs antilibéraux ou Front de gauche. La raideur de l’hégémonie et le règne du chacun pour soi ne devraient en tout cas pas être au rendez-vous…