Peter Sodann, un Nouveau Théâtre pour un monde meilleur

Photo André Böhm, 2012, dans la cour de la bibliothèque à Staucha.

Allemand de l’Est, homme de théâtre et de culture, Peter Sodann est l’un des acteurs les plus populaires outre-Rhin. Il est décédé le 5 avril dernier.

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Stéphane Chrétien, agrégée d’allemand, est la traductrice du livre Avant Good Bye Lenin! (Les Impliqués, Février 2024). L’autrice et actrice Katrin Sass y évoque son travail avec Peter Sodann au Nouveau Théâtre de Halle.
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Peter Sodann, homme de culture allemand de l’Est, vient de mourir. L’acteur est avant tout connu outre-Rhin pour son interprétation du sympathique commissaire Bruno Ehrlicher. Le « Columbo de Dresde » a démêlé de 1991 à 2007 plus de 45 crimes dans 45 épisodes de la série policière Tatort (Sur les lieux du crime), pour le plus grand bonheur des téléspectateurs du dimanche soir. Premier commissaire allemand de l’Est dans Tatort, Peter Sodann a mis beaucoup de lui-même dans son personnage auquel il a donné le prénom de son maître d’école, Bruno, et dont il a choisi le nom de famille, Ehrlicher, qui ne signifie pas moins que « plus honnête » – une comparaison avec les commissaires de l’Ouest. La plus vieille série policière allemande, créée en 1970, réunit souvent plus de huit millions d’inconditionnels.

Extrêmement populaire sur les petits et les grands écrans, l’acteur était aussi un homme de théâtre exceptionnel. Fils d’une ouvrière agricole et d’un ajusteur, né en Saxe en 1936, il a envisagé de devenir clown ou menuisier, et a suivi une formation d’outilleur – avant d’apprendre le théâtre au conservatoire d’art dramatique de Leipzig. 

Il a fait ses débuts en 1964 aux côtés de Helene Weigel au Berliner Ensemble, le théâtre de Brecht, puis joué sur différentes scènes de RDA avant de s’établir dans la ville de Halle. Au fil du temps, patiemment et inlassablement, il y a transformé le vieux cinéma de l’amitié germano-soviétique en une scène d’avant-garde, le Nouveau Théâtre. Sans hésiter, entre répétitions et représentations, à enfiler le bleu de travail ou à parcourir le pays au volant de sa Trabant, puis de sa Wartburg, à la recherche des matériaux de construction nécessaires. L’actrice Katrin Sass (la mère dans le film « Good Bye Lenin! ») raconte avec émotion dans ses mémoires l’énergie, la créativité et l’enthousiasme de la troupe du Nouveau Théâtre sous la houlette de Peter Sodann, qui en est resté le directeur pendant 25 ans. Il a sans cesse continué à faire évoluer cette scène pour donner le jour en 2002 à L’Île de la Culture qui regroupe maintenant 5 théâtres, une bibliothèque, un café littéraire et un foyer. Il est citoyen d’honneur de la ville de Halle qui lui doit ce lieu absolument unique.

« Le savoir de l’Est sommeille dans les cartons de bananes de l’Ouest. »

Fils de communiste et fier de l’être, pacifiste jusqu’au bout des ongles, Sodann a hésité à se présenter aux élections législatives de 2005. Finalement, le parti de gauche Die Linke l’a investi pour l’élection à la présidence en 2009. C’est sans surprise qu’il n’a pas été élu et qu’il a pu continuer à se consacrer à la culture, pour s’efforcer de rendre le monde meilleur, son objectif de toujours.

De même qu’il avait conduit à Halle des travaux ingénieux pour faire d’un cinéma vétuste un théâtre novateur, Peter Sodann a su mettre son inventivité et son savoir-faire au service d’une autre reconversion, celle d’un vieux corps de ferme en une immense bibliothèque, près de sa ville natale de Meißen. C’est que l’homme de théâtre épousait aussi la cause des livres. Il était très reconnaissant à son père de lui avoir appris à lire avant même qu’il entre à l’école et considérait comme un privilège d’avoir pu disposer de livres dans le minuscule appartement familial de la cité ouvrière où il a grandi. Un alignement de livres qui faisait plus d’un mètre de long, une richesse dont il ne s’est jamais séparé ! Effaré de voir comment librairies et bibliothèques de RDA ont été vidées de leurs fonds lors de l’unification allemande, Peter Sodann a entrepris de sauver ces ouvrages voués à la destruction. Médecine, jardinage, sport, cuisine, jeunesse, littérature, peinture, économie, marxisme-léninisme, sciences, manuels scolaires, revues, brochures… tout ce qui a été imprimé en Allemagne de l’Est entre 1945 et 1989. Tous les ouvrages que Sodann a pu intercepter avant qu’ils soient mis au pilon, il les a entreposés dans un premier temps, ironie du sort, dans des cartons de bananes (une denrée rare en RDA) estampillés de la mention « Le savoir de l’Est sommeille dans les cartons de bananes de l’Ouest ». Ils ont été rangés ensuite par maison d’édition (la RDA en comptait plus de 250) dans la Bibliothèque Peter Sodann, ouverte à toutes et à tous depuis 2012. Elle est éclairée par une multitude de lustres, car ce qu’il faut, selon cet humaniste, c’est avant tout de la lumière dans nos esprits !

« Ce n’est pas que je tienne à  tout prix à retrouver la RDA, disait-il, mais je ne veux pas non plus qu’on me la vole. » Les 4 ou 5 millions d’ouvrages sauvés, puis archivés ou revendus (pour ceux qui étaient en plusieurs exemplaires) témoignent d’un passé qu’il ne faut pas effacer. Sodann expliquait son infatigable travail de mémoire en citant Erich Kästner : « Quand on oublie ce qui était bien, on devient méchant. Quand on oublie ce qui était mauvais, on devient bête ».

Souhaitons longue vie à la fabuleuse Bibliothèque Peter Sodann de Staucha !


Crédit photo : André Böhm, 2012, dans la cour de la bibliothèque à Staucha
La photo de Peter Sodann dans le rôle du commissaire Bruno Ehrlicher est une photo du film : Tatort, Tiefer Fall, 2005, MDR

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1 commentaire

  1. Venner Yann le 2 août 2024 à 15:05

    Très bel article ! Merci

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