Outre-mer : Manuel Valls, un survivant politique à la recherche d’un résultat

Le ministre des Outre-mer se confronte au terrain et semble se saisir de ses dossiers. Mais il se heurte à la difficulté du dossier calédonien.
Son come-back a fait grincer des dents. « Un gouvernement avec Valls, Retailleau, Darmanin et Borne… Personne à gauche ne peut soutenir ce gouvernement, lâchait le député Génération.s et porte-parole du groupe Écologiste et social, Benjamin Lucas, quelques jours après l’annonce du gouvernement de François Bayrou à la fin du mois de décembre dernier. En France, il y a une volonté de tourner la page du macronisme. La récidive en matière pénale est un facteur aggravant, c’est pareil en politique. Avec Bayrou, Borne, Valls… Le gouvernement voudrait être censuré qu’il ne s’y prendrait pas autrement. » Pas de chance : le gouvernement n’est jamais tombé. Et cinq mois plus tard, Manuel Valls, choisi expressément par François Bayrou qui rêvait de «poids lourds » dans son gouvernement, est toujours dans l’exécutif, ministre d’État et numéro trois d’un gouvernement à l’assise parlementaire plus que fragile.
« Personne n’attendait Manuel Valls à ce poste. Sa nomination nous a beaucoup surpris, mais pas dans le bon sens, estimait le président de la délégation des Outre-mer à l’Assemblée, Davy Rimane, à Politis en janvier. La première chose qu’il met en avant lorsqu’il prend la parole, c’est son statut d’ancien Premier ministre et ministre d’État. Il veut faire comprendre que s’il est là, c’est en raison de son passé. Mais cette posture qui consiste à s’appuyer sur son parcours antérieur sans exposer de projet concret pour les Outre-mer interroge. Nous attendons des actes, pas des titres. » La nomination de cet ancien Premier ministre se résume-t-elle à une affaire de symbole ?
Quelques semaines plus tard, le ministre s’installe. Et la gauche s’apaise. Son refus d’appeler au « front républicain » aux législatives de 2024 semble loin. Manuel Valls se montre ouvert au dialogue. « Il est plutôt bon, consensuel. Difficile de trouver des angles d’attaque », concède un sénateur communiste. « Même s’il y a de la méfiance, mon impression est plutôt bonne, il a l’intelligence de traiter les socialistes », admet un cadre du Parti socialiste (PS). Les roses auraient donc vite oublié la trahison en 2017 de l’ancien maire d’Evry. À l’époque, Manuel Valls avait promis qu’il suivrait le vainqueur de la primaire de son parti. Il avait fini par appeler à voter pour Emmanuel Macron, dès le premier tour de la présidentielle.
Éviter d’aggraver les dégâts
Au sein des délégations sur l’outre-mer à l’Assemblée et au Sénat, on félicite le nouveau locataire de la rue Oudinot d’avoir, a minima, refusé la coupe budgétaire de la « mission outre-mer » à hauteur de 500 millions d’euros prévus initialement dans la mouture du projet de loi de finances de Michel Barnier. Après d’importantes manifestations contre la vie chère en Martinique et dans un contexte de crise en Nouvelle-Calédonie, le nouveau ministre tente d’éviter d’aggraver les dégâts. « On s’est plutôt habitué à ne pas attendre grand-chose des ministres qui se succèdent aux Outre-mer, déplore le député de la Réunion Frédéric Maillot, siégeant au sein du groupe de Gauche démocrate et républicaine (GDR). Valls a été Premier ministre, il donne l’impression d’avoir pris certains sujets très importants à bras-le-corps. Mais on attend surtout des actes et des réponses. »
L’ancien socialiste était clivant : il est devenu sobre, quasi absent des plateaux télé, se refusant à tout commentaire de la vie politique. Dans l’hémicycle, il se montre moins sanguin. Une grande mue politique ? Manuel Valls reste simplement dans son périmètre ministériel. À l’exception, peut-être, du 26 mars dernier. Le ministre est invité par l’association Agir ensemble, émanation du lobby Elnet, l’un des porte-voix les plus influents du gouvernement israélien en France.
Sur la scène du Dôme de Paris, il prend la parole après l’ex-ministre de l’Éducation nationale Jean-Michel Blanquer, l’avocat très droitier Thibault de Montbrial, l’islamologue contestée Florence Bergeaud-Blackler et le patron de la place Beauvau, Bruno Retailleau. Se plaçant en combattant de l’islamisme et de l’antisémitisme, il fustige les « complices à l’extrême gauche, ceux qui ont fait de l’antisionisme et de la haine d’Israël leur fonds de commerce politique et électoral ». Sa cible : La France insoumise (LFI). Difficile de rompre totalement avec son identité politique. Le théoricien des « gauches irréconciliables », l’homme qui croyait surtout dans le combat identitaire et culturel, a toujours en tête ses vieilles obsessions.
Retour à son action ministérielle. Après le passage du cyclone Chido, il fait adopter une loi d’urgence pour la reconstruction de Mayotte. Il porte aujourd’hui une nouvelle loi de programmation pour la refondation du département : 3,2 milliards d’euros, échelonnés sur six ans, sont sur la table. Le texte comporte notamment un chapitre consacré à l’immigration : il prévoit d’allonger le délai de résidence de trois à cinq ans pour obtenir la carte « parent d’enfants français », de conditionner la délivrance d’une carte de séjour « liens personnels et familiaux » après une résidence à Mayotte de sept ans, et la possibilité du retrait de titre de séjour à un parent dont l’enfant serait une « menace pour l’ordre public ».
Se frotter au terrain
Depuis fin février, le ministre s’emploie dans la reprise du dialogue entre indépendantistes et loyalistes en Nouvelle-Calédonie. Certains louent son expérience auprès de Michel Rocard, qui a conclu en 1998 les accords de Matignon, et de Lionel Jospin, qui s’est aussi occupé du dossier. Il a même réussi à ramener l’Union calédonienne, la composante majeure du FLNKS, à la table des négociations. Mais l’arrêt des discussions, le 8 mai, a mis un frein à l’action du locataire de la rue Oudinot. Son projet d’accord a provoqué l’ire des loyalistes qui soupçonnent le ministre de vouloir installer une relation d’« indépendance-association ». L’ex-ministre Sonia Backès et le député Ensemble pour la République (EPR), Nicolas Metzdorf, demandent aujourd’hui sa démission. Son capital politique est affaibli.
« Malgré tout, il a restauré un dialogue respectueux du rythme calédonien, tempère le député Liot de Guadeloupe Olivier Serva. Valls a hérité d’une situation très dégradée et il n’a pas ménagé ses efforts. » Le député socialiste de La Réunion Philippe Naillet est plus catégorique : « On sait que le dossier n’est pas simple. Mais on n’a pas avancé, on est en situation de blocage. » Sur cette question épineuse, il doit également faire entendre sa ligne à côté d’Emmanuel Macron, rangé du côté loyaliste et tenant au respect du résultat des trois derniers référendums de 2018, 2020 et 2021.
« La position n’est pas stabilisée, pas unanime, au sein de l’exécutif. Emmanuel Macron a toujours démontré sa volonté de maintenir la Nouvelle-Calédonie en France », observe un député. Mais le ministre y croit. « Je ne lâcherai pas l’idée que l’on peut trouver les voies d’une conciliation », affirme-t-il sur Franceinter ce 16 mai.
Manuel Valls n’a pas non plus perdu ses habitudes : c’est un ministre qui aime se frotter au terrain. Quelques jours après le passage du cyclone Garance, il se rend à La Réunion pour annoncer, le 7 mars, la mobilisation d’un fonds représentant de 200 millions d’euros. « Pour l’instant, nous n’avons rien vu, accuse le socialiste, Philippe Naillet. Chez Valls, il y a de l’énergie, il y a incontestablement de l’expérience et il y a de la communication. Mais aujourd’hui, il n’y a pas de résultat. »
En mars, Valls se rend aussi en Martinique pour promettre un « plan de bataille complet et structurel » contre la vie chère avant l’été. « Il veut avoir sa loi à lui, commente Frédéric Maillot. Le ministère des Outre-mer est-il aussi un tremplin pour la suite ? Il a fait des pieds et des mains pour revenir en politique. Est-ce qu’il a vraiment envie de régler les problèmes des Outre-mer ? En quoi ce ministère va lui servir ? » Manuel Valls n’a peut-être pas dit son dernier mot.