Minutes de silence à l’Assemblée : le théorème Braun-Pivet

La présidente de l’Assemblée a voulu modifier la règle des hommages des députés… Et se prend le pied dans son propre tapis. Aboubakar Cissé, victime de l’islamophobie, aura bien sa minute.
Thomas, tué à Crépol ; Philippine, assassinée à Paris… Les députés rendent régulièrement leurs hommages. Mais ce mardi 29 avril, en conférence des présidents de l’Assemblée, La France insoumise a demandé que les députés observent une minute de silence en hommage à Aboubakar Cissé, assassiné dans une mosquée du Gard en fin de semaine dernière. La présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, l’a refusé.
Motif du refus ? Fin janvier, cette conférence a adopté une nouvelle règle : plus de minute de silence « pour des cas individuels ». Les prochaines victimes du terrorisme n’ont qu’à bien se tenir ! Bien évidemment, la gauche, du PS à LFI, a dit son indignation face à ce « deux poids deux mesures » qui règne à l’Assemblée en la matière. Car depuis janvier, il y en a eu des « cas individuels » : Jean-Louis Debré le 28 janvier et Ohad Yahalomi (un otage du Hamas), le 5 mars.
Face au tollé, Yaël Braun-Pivet a changé d’avis. Elle tweete : « J’ai décidé que soit observée une minute de silence en hommage à Aboubakar Cissé, dont le lâche assassinat dans une mosquée du Gard a bouleversé le pays. Aucun consensus n’était apparu ce matin en conférence des présidents. J’ai échangé depuis avec certains présidents de groupe. Face à l’émotion légitime et compte tenu de l’ignoble instrumentalisation faite par certains de sa mort, j’ai souhaité que nous puissions saluer tout à l’heure sa mémoire. Sobrement et dignement. »
Mais quelle est donc la règle alors ? Le bon vouloir de Madame la Présidente ?
Les précédentes incohérences en la matière à l’Assemblée sont nombreuses. En 2023, les députés ont observé des minutes de silence pour les victimes des séismes en Turquie et Syrie, en 2024 pour les victimes des inondations en Espagne, mais Yaël Braun-Pivet le refuse pour un naufrage en Méditerranée ayant causé la mort d’au moins 79 personnes. La demande venait de LFI, mais elle était spontanée, en dehors du cadre réglementaire de la conférence des présidents… Certes, mais alors pourquoi avoir accepté la spontanéité de Sandrine Rousseau, en 2022, pour rendre hommage à un agent des impôts tué lors d’un contrôle fiscal ? Pourquoi avoir elle-même lancé une minute de silence pour les victimes de l’attaque d’Annecy, en juin 2023 ? Nul ne sait.
Comme le rappellent nos confrères de Libération, « ce n’est pas la première fois qu’une telle demande provoque la confusion au sein de l’Assemblée. En 2014, Cécile Duflot, alors députée, avait profité des questions au gouvernement pour demander une minute de silence en hommage à Rémi Fraisse […]. Claude Bartolone, alors président de l’Assemblée nationale, avait décliné la requête […]. Pourtant, […] le 6 juin 2013, le socialiste avait lui-même invité les parlementaires à ‘respecter un temps d’indignation et de recueillement’ en hommage au militant antifasciste Clément Méric », en état de mort de cérébrale après avoir été frappé par des skinheads ».
Autre exemple, début avril, Mathilde Panot regrettait que « pas une seule minute de silence n’ait été accordée en dix-huit mois de génocide aux victimes palestiniennes », comme ce fut le cas en octobre 2023 pour les victimes israéliennes du Hamas. La présidente du groupe LFI n’obtenait pas plus gain de cause pour les 102 collaborateurs de l’Onu morts sous les bombes israéliennes, ni pour les Français… C’est d’ailleurs après cette requête que Yaël Braun-Pivet a souhaité modifier les règles des minutes de silence « pour éviter les excès de ce domaine ».
Yaël Braun-Pivet n’a donc pas théorisé l’incohérence, mais elle en a fait une règle. Dont elle seule à le privilège de dire quand elle s’applique. Donald Trump approuve le style1.
Or à vouloir « éviter les excès » de ses adversaires politiques, cette décision de la conférence des présidents n’est-elle pas elle-même excessive ? Est-ce à dire que, dorénavant, ni les Georges Marchais ni les Jacques Chaban-Delmas n’y auront droit ? Que les fonctionnaires assassinés comme Samuel Paty et Xavier Jugelé n’auront pas cet honneur ? Pas plus que les militaires tel Arnaud Beltrame ? Les centaines de victimes du terrorisme ne sont pas autant de « cas individuel » ? Les victimes du nazisme ou de toute autre forme de totalitarisme ?
- Trump n’a-t-il pas dit que « seuls le président ou le procureur général peuvent définir ou interpréter ce qu’est la loi » ? ↩︎