L’industrialisation n’est pas un téléthon

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Emmanuel Macron prétend attirer l’investissement étranger pour relancer l’industrie, ignorant ce qui pénalise le dynamisme économique national : de la montée de l’ultralibéralisme à l’épuisement de l’État-providence.

Au moment où l’État se targue de relancer l’investissement étranger en organisant son téléthon versaillais pour happy few étrangers (Choose France !), l’Ifop et Le Figaro rendent publique une copieuse étude intitulée « Le modèle étato-consumériste. La France dans l’impasse »1. Un leitmotiv sous-tend l’analyse : trop d’État, pas assez de production.

Ce n’est pas que le constat initial de l’analyse soit infondé : il y a bien recul de la production industrielle nationale, cession multipliée de très grandes entreprises françaises et montée continue de la dette publique. Le surprenant n’est pas dans la description de l’état des lieux, mais dans son interprétation. Les causes présumées se trouveraient dans le « modèle étato-consumériste » (la propension de l’État à favoriser la consommation aux dépens de la production), la « thrombose bureaucratique » (l’inflation de la norme et des codes qui contraignent l’initiative entrepreneuriale) et le « juridisme » des entreprises publiques (le modèle retenu étant notamment celui du CNRS).

Tout se passe donc comme si l’État était toujours économiquement stratège, comme si l’inflation des normes n’était pas tout autant européenne que française et comme si le recul de l’investissement industriel relevait avant tout du désintérêt de la puissance publique.

L’industrie, c’était mieux avant

L’histoire est aux abonnés absents. On oublie ici que la France a eu longtemps la réputation d’être plus rentière qu’industrialiste, qu’elle a tardé pour cela à s’engager dans la seconde révolution industrielle (à la différence de l’Allemagne et des États-Unis). On oublie que ce sont les lendemains de la Seconde Guerre mondiale qui viennent heureusement contredire la relative léthargie. Or, dans ce grand moment d’essor industriel et économique, le secteur public dans son ensemble a été à la manœuvre, stimulé par le dynamisme démographique et la modernisation de l’espace urbain, appuyé sur la planification indicative à la française et soutenu par la hausse générale du niveau de vie populaire et des formations. Ce fut alors le temps du « keynésianisme » et du « fordisme », un authentique capitalisme certes, exploiteur et gaspilleur, mais coloré par la force contestataire et régulatrice du mouvement populaire et ouvrier.

Il est dérisoire de prétendre attirer l’investissement étranger à la marge et de laisser en l’état ce qui pénalise le dynamisme économique national : la montée de l’ultralibéralisme, le recul de l’État, l’insuffisance de la recherche-développement publique, les carences en matière de formation scientifique et technique, le démantèlement des politiques sociales, le recul de la loi devant la norme technocratique et chicanière et le vertige de la spéculation financière. En bref, la concomitance d’un l’épuisement de l’État-providence et du grand retour de la rente…

Il ne suffit pas de crier à la nécessité de la réindustrialisation : encore faut-il bâtir le système global – économique, social, culturel et politique – qui la rend possible, soutenable et durable.

  1. Ifop Focus, n° 242, mai 2024 ↩︎

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