Les Mayas au Quai Branly : sous le « patrimoine », le capitalisme sauvage.
Une exposition sur les Mayas se tient au Musée du quai Branly jusqu’au 2 octobre prochain. Problème, le principal mécène de cet événement est une société pétrolière, Perenco, qui souille et exploite le territoire du Guatemala. Vous avez dit contradiction?
Depuis le 21 juin dernier, date de l’inauguration de l’exposition consacrée à la culture Maya au musée du Quai Branly à Paris, le collectif Guatemala est sur le pied de guerre. Motif ? Le principal mécène de l’exposition n’est autre que la société pétrolière Perenco, qui profite de cet événement culturel pour faire oublier qu’elle viole en toute impunité les lois environnementales et les droits humains sur les territoires qu’elle exploite au Guatemala. Certes, si l’on se réfère au site internet du Musée du Quai Branly, la société pétrolière semble être une sacrée aubaine pour le pays. « Nous opérons dans une quinzaine de pays où notre savoir-faire est synonyme pour les états de revenus importants tirés de leurs ressources naturelles. Nous veillons à ce que les populations vivant à proximité des sites où nous travaillons bénéficient de notre présence. Nos projets sociaux et environnementaux sont mis en œuvre en impliquant directement les communautés locales tout en préservant leur culture et leurs valeurs. » Et de conclure : « L’exposition « Maya, de l’aube au crépuscule » organisée en 2011 au musée du quai Branly est l’occasion pour Perenco de démontrer son attachement de longue date à la mise en valeur du riche patrimoine guatémaltèque et sa fierté de travailler au développement économique de ce pays et de ses habitants » .
Un bilan humain et écologique désastreux
De leur côté les habitants en question ne semblent pas partager la même réalité que la société pétrolière. Dans le documentaire de Grégory Lassalle consacré aux exactions de Perenco dans le parc protégé de la Laguna del tigre, les paysans racontent les conditions déplorables de vie auxquelles les contraint la Perenco Guatemala Limited, filiale de la maison mère, française d’origine. « On nous traite comme des êtres inférieurs qui ne valent rien. » Si l’on en croit les images du film, l’entreprise pétrolière semble en effet peu soucieuse de la population locale et n’hésite pas à installer des puits sur les terres des paysans sans les consulter au préalable. Idem pour le parcours de ses oléoducs. La rentabilité primant sur le confort des habitants, il n’est pas rare que lesdits oléoducs traversent les rues des villages voire carrément les maisons. Sans compter qu’en raison des nombreuses fuites, les terres imbibées de pétrole sont devenues inexploitables pour les paysans. La pollution est partout, dans l’air mais aussi dans l’eau de la rivière, dans laquelle pourtant la population continue de se laver. Et ce bilan écologique ne se limite pas à la région du Peten où se situe la Laguna del tigre : « Beaucoup de puits de la Perenco se trouve dans des zones naturelles protégées qui font aussi la richesse culturelle et naturelle du pays. Nous nous opposons à l’exploitation pétrolière dans ces lieux parce qu’elle menace gravement la biodiversité » déclarait le député guatémaltèque Anibal Garcia lors d’une conférence à Paris le 23 juin dernier.
Un désastre écologique mais aussi un désastre humain. Beaucoup de communautés installées dans la région du Peten depuis les années 1970 sont aujourd’hui menacées d’expulsion. La multinationale participe également à la militarisation de la zone, en finançant des bataillons de l’armée, appelés « bataillons verts », chargés officiellement d’empêcher la déforestation par les paysans et de surveiller les narcotrafiquants. Pour le collectif Guatemala, il s’agit davantage de protéger les intérêts de la Perenco, notamment en instaurant un climat de peur dans la région.
Un état corrompu ?
Faisant fi de ce bilan catastrophique, le gouvernement guatémaltèque a renouvelé en 2010 le contrat de la Perenco pour une période de quinze ans, autorisant par ailleurs l’expansion de la concession dans la zone protégée de la Laguna del tigre. Pour permettre le renouvellement de ce contrat, le gouvernement a fait voté en 2008 la loi Fonpetrol autorisant une prolongation des contrats initiaux passés avec les sociétés pétrolières pour une nouvelle période de quinze ans, et ce sans appel d’offre. « Cette loi n’avait d’autre objectif que de servir les intérêts de l’entreprise. Cela pose le problème de l’état de droit, car la corruption, le non respect de la loi et le trafic d’influence vont à l’encontre de l’institution démocratique du Guatemala » dénonce Anibal Garcia. « Pour la Perenco, ce contrat est une bonne affaire. Le Guatemala est encore considéré comme un paradis fiscal. Les impôts sont faibles et les secrets bancaires bien gardés. Il règne un climat d’impunité totale concernant les crimes contre les personnes et les crimes économiques. » Cette impunité se trouve renforcée par le droit encadrant les entreprises transnationales. Pour faire simple, les entreprises mères relèvent du droit international pour la protection de leurs investissements. En revanche, elles ne peuvent être mises en cause par le comportement de leurs filiales installées à l’étranger en matière de droits humains et de droit du travail. Ces filiales répondant du droit national du pays dans lequel elles sont implantées.
Au final, il semblerait bien que le Guatemala soit davantage une aubaine pour la Perenco que la Perenco une aubaine pour le Guatemala. Et on peut s’étonner que des entreprises culturelles prétendument publiques comme le musée du quai Branly, ne soient pas plus regardantes sur les agissements de leurs mécènes privés. On ne saurait trop leur conseiller de réfléchir à cette contradiction majeure : offrir une caution symbolique, au nom de la valorisation du patrimoine, à ceux là mêmes qui le détruisent.