Le pacte de « non-censure », risque pour la réhabilitation du contre-pouvoir parlementaire
Alors que les stratégies s’aiguisent pour faire face à la situation politique, des élus du Parti socialiste disent vouloir chercher un accord de non-censure avec la droite. Une erreur selon l’avocat Vincent Brengarth.
L’Histoire se souvient de l’instabilité ministérielle ayant marqué le fonctionnement de la Quatrième République, généralement attribuée, à tout le moins pour partie, à la prédominance du Parlement. La Cinquième République doit pour beaucoup sa stabilité au fait majoritaire, ayant permis de considérablement renforcer le pouvoir exécutif. La dissolution de l’Assemblée nationale en 2024, dont le président Emmanuel Macron rechigne à assumer la responsabilité, a conduit la coalition présidentielle à perdre sa majorité relative et, par là-même, la garantie d’une stabilité. Le chef de l’État a paradoxalement été l’artisan de l’affaiblissement de la verticalité ayant jusqu’à présent guidé et permis son action.
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Les résultats des dernières élections législatives, qui révèlent des forces profondément morcelées ne permettant à aucune formation politique d’imposer sa volonté, ont sans conteste eu pour effet de renforcer le pouvoir du Parlement en tant que contre-pouvoir.
Notre régime est plongé dans une instabilité qui trouve cependant sa source dans les mécanismes de contrôle indispensables des pouvoirs, en l’occurrence la possibilité pour le Parlement de mettre en jeu la responsabilité du gouvernement. Parmi ces moyens, « l’Assemblée nationale met en cause la responsabilité du Gouvernement par le vote d’une motion de censure » (article 49 de la Constitution de 1958). La censure du gouvernement est un outil à préserver, loin des accords qui voudraient empêcher son emploi, pour toute la force démocratique qu’elle inspire.
L’appel à des accords de « non-censure » est, de ce point de vue, une manœuvre politique contrevenant à l’esprit des outils constitutionnels permettant l’engagement de cette responsabilité, alors que le Parlement retrouve enfin une vitalité bienvenue. L’habitude à avoir le Parlement rabaissé nous conduit étrangement à assimiler la censure du gouvernement comme un instrument du chaos, précisément parce que nous avons perdu le goût de la démocratie. À l’inverse, un tel accord aurait pour conséquence de remettre le président de la République au centre du jeu parlementaire : il devient le seul acteur en capacité de démettre un gouvernement, soit en demandant au premier ministre de lui remettre sa démission, soit, quand cela lui sera à nouveau possible, en procédant à une nouvelle dissolution de l’Assemblée.
La dissolution a précité un renversement qui était nécessaire pour dévoiler toute la fictivité de la stabilité du pouvoir incarné par le chef de l’État qui était jusqu’à présent à l’œuvre.
Si personne ne peut se satisfaire des effets entrainés par l’instabilité, notamment du point de vue économique, ces derniers ne peuvent cependant avoir pour effet d’entrainer des procédés qui contreviendraient à la réhabilitation démocratique forcée par la dissolution. La motion de censure est un procédé profondément démocratique de sanction de l’action gouvernementale et de responsabilisation du premier ministre. Dès lors, il serait profondément douteux de conspuer l’emploi d’un mécanisme constitutionnel permettant l’engagement de la responsabilité du pouvoir exécutif.
L’instabilité freine l’action politique, mais elle est aussi le symptôme d’une crise politique qu’il est indispensable d’affronter. Elle est un mal nécessaire d’une démocratie malade de l’usage des pouvoirs exorbitants donnés à l’exécutif dans le cadre de la Cinquième République. Les résultats des élections législatives ont débloqué les failles rationalisant le Parlement, c’est désormais l’irresponsabilité politique du chef de l’État qui doit être questionnée. Il est impensable qu’un président, dépourvu de majorité, puisse impunément renvoyer aux citoyens les effets de sa propre dissolution. Le chef de l’Etat ne saurait plus généralement renvoyer les citoyens à leur supposée responsabilité, tout en refusant de démissionner et, par exemple, de nommer un premier ministre de gauche, qui serait précisément un moyen d’atteindre une meilleure stabilité.
Surtout, si cet accord, proposé par une partie de la gauche, peut faire figure de promesse de stabilité et permettre la mise en œuvre d’une partie de son programme, repris par la droite et l’extrême droite, elle conduirait à rendre impossible la censure d’un gouvernement sous tutelle de Marine Le Pen.
Ainsi, non seulement un « pacte de non-censure » serait une autocensure du Parlement dans sa capacité à contrôler l’action gouvernementale mais, dans ces circonstances, il aurait pour effet de jeter un voile sur toutes les défaillances de notre régime que nous sommes enfin en mesure de pouvoir discuter.
« Les résultats des élections législatives ont débloqué les failles rationnalisant le Parlement » : que veut dire cette phrase ?