Le budget ou la fin de la politique

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On nous dit que tout se joue dans le budget. En réalité, tout s’y perd : la justice sociale, la cohérence, la démocratie. À force de réduire la politique à des colonnes de chiffres, la République se transforme en tableur Excel.

Il paraît que c’est la séquence politique du moment : le vote du budget. Pas un JT, pas une matinale, pas un réseau social qui n’en fasse son feuilleton. Des chiffres, des amendements, des équilibres, des plus et des moins à n’en plus finir. Comme si la politique se résumait désormais à des additions et des soustractions comptables. Comme si gouverner un pays, c’était tenir la caisse d’une supérette.


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Je n’ai rien contre les épiciers, bien au contraire : ils tiennent nos rues, ils rendent service, ils connaissent leurs clients. Mais le budget de la France n’est pas une caisse enregistreuse, et le Parlement n’est pas un marché couvert. Ce n’est pas un troc où l’on échange un abattement fiscal contre une coupe dans l’Aide médicale d’État, un crédit d’impôt contre une réduction de logements sociaux. C’est pourtant ce que devient, sous nos yeux, la fabrique budgétaire. Un marchandage permanent, un troc de tout et n’importe quoi, dans lequel la cohérence politique s’évapore au profit du calcul tactique.

Et le plus beau ? C’est qu’un simple post sur X, fût-il signé d’un constitutionnaliste aussi brillant que Benjamin Morel, suffit désormais à infléchir la stratégie des oppositions comme du gouvernement. Une trouvaille procédurale, un nouveau véhicule législatif, et voilà la suspension de la réforme des retraites sauvée – ou plutôt, suspendue – sans même avoir à affronter un vrai vote sur le fond. Formidable : tout le monde est content. Le gouvernement évite la censure, le PS peut ne pas voter le texte tout en disant qu’il a obtenu une victoire. Et la démocratie, dans tout ça ? Elle, elle reste suspendue aussi.

Nous en sommes là : à disséquer les recoins de la Constitution pour éviter de parler du fond. À chercher des portes dérobées pour ne pas avoir à choisir. À voter le budget à tout prix, au sens le plus littéral. Oui, il faut un budget. Oui, c’est un texte essentiel. Mais c’est précisément parce qu’il est essentiel qu’il mérite un débat digne de ce nom. Ce n’est pas une liste de courses. Ce n’est pas une somme de mesures bonnes ou mauvaises. C’est une orientation politique, un choix de société, une vision du monde.

Le rejet de la taxe Zucman lundi soir en commission des finances en dit long : la justice fiscale, renvoyée aux oubliettes. Et dans le même texte, on menace de sabrer l’aide médicale d’État, de détruire un peu plus le logement social. Quelle cohérence, quel sens donner à un budget qui fait cela ? Quel signal envoie-t-on au pays ? Plus personne ne comprend rien, et c’est bien le problème : la confusion a remplacé la délibération.

Mais le plus inquiétant, c’est ce discours qui monte chez les macronistes : « On ne peut pas se permettre une censure », « Une dissolution coûterait trop cher ». Vous avez bien lu : la démocratie devient un poste de dépense. Tout est chiffré : X milliards pour une censure, Y milliards pour une dissolution. Et si on additionne les deux, tenez-vous bien, cela reviendrait plus cher que de suspendre la réforme des retraites jusqu’en 2027. Voilà donc comment ils pensent : non pas en termes de principes, mais de coûts.

C’est pour cela qu’ils ont usé et abusé du 49.3, qu’ils ont imposé des premiers ministres sans majorité, qu’ils ont passé en force des réformes massivement rejetées. Parce que pour eux, la démocratie, ça coûte trop cher. Merci à la gauche de ne pas raisonner ainsi. Car si l’on continue à peser la politique comme on pèse des tomates, si l’on continue à compter les voix comme des centimes, alors oui, c’est la fin de la politique. Et peut-être, bientôt, la fin de la démocratie tout court.

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