LA LETTRE DU 7 NOVEMBRE
Trump élu : le danger des conclusions hâtives
La victoire du milliardaire américain ne serait que la défaite des Démocrates, trop mous, trop modérés. D’aucuns affirment qu’avec une gauche « radicale », le résultat aurait été différent. Facile et confortable pensée.
Donald Trump l’a emporté sur Kamala Harris. Sa victoire n’atterre pas que les démocrates américains. On sait en effet qu’il n’est qu’une pièce d’un vaste mouvement planétaire qui, fasciste, quasi-fasciste ou fascistoïde, entend tourner définitivement la page d’une histoire démocratique qu’avaient inaugurée le siècle des Lumières et l’ère des révolutions.
Comment arrêter la machine infernale ? À gauche, deux pistes antagoniques nous sont proposées : atténuer la charge subversive de l’égalité pour gagner les indécis ou, au contraire, affirmer la nécessité de ruptures radicales pour répondre au ressentiment des laissés-pour-compte de nos sociétés. La première réponse est à repousser : dès l’instant où des logiques dominantes d’exploitation, de domination et d’aliénation sont à la racine de nos maux, rien n’est plus réaliste que de les dépasser radicalement. Le problème est que l’invocation de la radicalité ne suffit pas. Au fond, si les capitulations libérales de la social-démocratie ont nourri les désillusions et les ressentiments populaires, les gauches d’alternative n’ont nulle part fait durablement la démonstration de leur utilité.
Pour éloigner les propensions destructrices, il n’y a certes pas d’autre solution que d’adosser la colère à une espérance collective qui l’écarte du ressentiment. Dans des sociétés qui semblent aujourd’hui sans passé et sans futur, les combats humanistes ont donc besoin de s’appuyer sur un autre avenir possible, qui donne à la critique salutaire l’horizon d’une proposition globale. Cette proposition peut utilement prendre la force d’un programme. Toutefois, au moment où plus grand monde ne croit aux promesses et aux programmes, le catalogue des propositions ne mobilisera pas sans le souffle d’une vision d’ensemble, d’un grand récit qui redonne du sens là où il n’y en a plus.
À quoi bon toutefois un récit si, dans une société disloquée socialement, politiquement et symboliquement, on ne sait pas comment passer d’un puzzle inquiet de différences et d’antagonismes à une société apaisée et rassemblée ? Affirmer de la radicalité est donc nécessaire, pour dire comment s’y prendre pour traiter des maux sociaux à leur racine. Ce n’est socialement utile que si cette radicalité dit en même temps comment on peut faire que l’aspiration à la rupture franche devienne le vecteur de larges majorités.
Des propositions, un projet, une stratégie de long terme… En bref, il faut opposer aux extrêmes droites une gauche bien à gauche et pas une gauche en demi-teintes. Elle ne se constituera pas si n’existe pas en son sein une gauche d’alternative. À condition que celle-ci n’oublie jamais qu’elle n’est pas à elle seule le sel de la terre et qu’une alternative ne vaut que si elle parvient in fine à s’adosser à une majorité. Une gauche d’alternative et une gauche rassemblée. Tout est dans le « et ».
Roger Martelli
BAKCHICH DU JOUR
Les entreprises publiques françaises au secours du camp Trump
Saviez-vous qu’Airbus, EDF, Engie ou encore Thalès ont lâché des centaines de milliers de dollars pour financer les élections américaines ? L’info vient de notre confrère Olivier Petitjean pour l’Observatoire des multinationales et Basta. Des dizaines de candidats sont concernés, Démocrates et Républicains. Certains d’entre eux ont tenu des positions plus que problématiques : refus de reconnaître la défaite de Trump en 2020, rejet de l’aide à l’Ukraine, anti-avortement, climato-scepticisme. Cette pratique est parfaitement légale et elle pose la question de la politisation des grandes entreprises. Ou, comme l’écrit Olivier Petitjean, « les financements accordés par les groupes français à des candidats républicains extrémistes valent-ils approbation de toutes leurs positions en matière de climat, de droits sexuels, de migration ou de recours à la violence politique ? Dans la plupart des cas, non. Le choix des bénéficiaires reflète surtout une bonne dose d’opportunisme et d’intérêts bien compris. […] Mais ces contributions montrent précisément aussi que pour les industriels, quand il s’agit de continuer à faire des affaires, la frontière entre ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas n’existe pas. »
L.L.C.
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Madeleine Riffaud est décédée ce mercredi à l’âge de 100 ans. Engagée dans les FTP, arrêtée, torturée, elle échappe à l’exécution par les nazis alors qu’elle avait 18 ans. Elle considéra avoir une dette de témoignage : se souvenir et dire. Dans ma mémoire, elle est associée à ce portrait iconique dessiné par Picasso, une colombe enveloppant l’ovale du visage d’une femme.
Chez Madeleine, la colombe était une longue tresse rabattue vers l’avant. Amie de Éluard, poétesse, Reiner fut son surnom de résistante en hommage à Reiner Maria Rilke… un prénom allemand. Après la Libération, elle devient grand reporter pour L’Humanité sur les terrains des guerres coloniales, Vietnam puis Algérie. L’OAS la cible. Plus tard, elle se glissa dans la vie d’une agent hospitalier et le raconta dans Les linges de la nuit vendu à plus d’un million d’exemplaires. Son intelligence, les innombrables méandres de sa vie se retrouvent dans la série de France Culture « Madeleine Riffaud, la mémoire sauve ». 10 heures d’archives, d’entretien, de montage pour un moment radiophonique exemplaire.
Catherine Tricot
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