La force des révoltés

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La lettre du 27 octobre 📨

par Catherine Tricot

Vingt ans après la mort de Zyed et Bouna, les révoltes des quartiers populaires s’inscrivent dans une histoire longue de colères, de dignité et de conquêtes qui ont forgé le visage de notre pays.

Il y a 20 ans, la mort de Zyed et Bouna, poursuivis par la police, provoquait une révolte des jeunes des quartiers populaires. Le mouvement était remarquable par son ampleur. Il n’était pas le premier. On se souvient de la révolte aux Minguettes à l’été 1981 qui venait prendre date, tandis que l’arrivée d’un nouveau pouvoir socialiste rendait la France heureuse. S’en suit une chaîne ininterrompue de révoltes, plus sporadiques ou plus locales, quasi systématiquement en lien avec la mort d’un jeune homme tué par la police. Inscritent dans cette histoire, les émeutes de 2023 ont une ampleur tout à fait exceptionnelle comme le montre le travail documenté de l’anthropologue Alain Bertho publié par Regards.

Tous ces événements ont révélé la violence et le racisme qui régissent les relations de la police envers les habitants des quartiers populaires, en particulier les jeunes hommes. Basta et le Bondy Blog recensent de façon systématique les morts après intervention de la police. Ils prouvent leur caractère croissant passant de 6 décès en 2005 à 65 morts en 2024, année record. En 2017, une enquête du Défenseur des droits Jacques Toubon montre, elle aussi, que les jeunes hommes « perçus comme noirs ou arabes » ont « une probabilité 20 fois plus élevée que les autres d’être contrôlés » et vivent « des relations plus dégradées avec les forces de l’ordre ».

Ces mouvements, ces enquêtes, ces reportages ont aussi permis de lever le voile sur l’ensemble des discriminations dont les racisés sont victimes : sur l’emploi, le logement, l’orientation scolaire, la représentation dans l’espace public, leur place en politique, etc. 

Nous voudrions insister sur leur force et sur leur victoire. 

Politique d’abord : la montée du Rassemblement national et la puissance des médias d’extrême droite banalisent les discours et les attaques racistes. Mais un propos comme celui de l’universitaire Gilles Kepel parlant alors des révoltes comme de « mouvements salafistes » ne resteraient plus sans réponse. Une manifestation installant l’état d’urgence comme en 2005 ne rassemblerait pas uniquement quelques centaines de militants dont les seules personnalités politiques, Marie-Georges Buffet, Arlette Laguiller et Clémentine Autain – tiens, 3 femmes… La mort d’un jeune homme anonyme, en 2016, Adama Traoré, ne serait pas l’objet d’une exigence de vérité et de justice dix ans après. Les listes aux élections municipales ne seraient pas incongrues à gauche sans la participation d’habitants racisés. Les vives controverses lors des élection législatives ont montré une extrême sensibilité sur leur invisibilisation. La transformation en son cœur du peuple français, urbain, féminin, post-colonial ne serait pas devenue une question politique.

Et c’est là l’autre victoire structurelle de ces mouvements. Ces révoltés ont gagné, pour eux-mêmes, pour leurs frères, leurs sœurs, leurs mères et leurs pères, une nouvelle place dans le pays. En 20 ans, notre pays a connu une augmentation du nombre d’étudiants. Ils sont près de trois millions à poursuivre des études supérieures, plus 200 000 inscrits à l’université en 15 ans. La part des bacheliers atteint désormais 87% d’une classe d’âge. Ces jeunes et leur famille accèdent à des métiers qui, hier, leur étaient interdits. Ils sont les indispensables du quotidien. Et ils sont ingénieurs, conducteurs de travaux, avocats, journalistes, profs de maths et d’histoire. Ils sont artistes, sportifs et intellectuels : ils inventent les mots, les images, les rythmes et les concepts qui disent notre temps. Ils ne sont plus cantonnés aux métiers les moins reconnus et les moins payés. Ils, et surtout elles, prennent place, avec ou sans fichu sur la tête. « La petite dernière » au cinéma, salué au Festival de Cannes, le raconte si bien.

Leur victoire, c’est aussi l’argent injecté massivement dans les transformations urbaines. Le programme français ANRU et NPNRU est le plus important investissement urbain mondial. Rappelons qu’en Île-de-France, plus d’un logement sur 4 est social. Ces mouvements ont aussi provoqué des nouveaux transports en commun pour relier les quartiers aux centres villes. Hier enclavés, ces quartiers d’habitat social vont être desservis par des métros et des tramways. En Île-de-France, sur 30 ans, on va doubler le nombre de kilomètres de transports en commun. Formations, désenclavement, urbanisme et logements sont les bases matérielles qui permettent l’insertion de tous dans la vie du pays. Ils rendent encore plus insupportables le prolongement du racisme et des discriminations ; intolérables une police quand elle n’est pas républicaine. La révolte n’en est que plus explosive.

Les transformations de la France sont l’objet de mouvements contradictoires, de luttes difficiles. Mais les jeunes des quartiers ont largement contribué à fabriquer notre modernité et à concrétiser l’exigence de respect, de dignité. D’égalité.

Catherine Tricot

🔴 VICTOIRE DU JOUR

En Argentine, Milei triomphe à nouveau à mi-mandat


Victoire surprise de Javier Milei aux législatives argentines. Beaucoup, à gauche, se rassurent : « Qu’il gouverne, on verra bien sa nullité ! » Erreur. L’idée qu’il suffirait de laisser l’extrême droite au pouvoir pour qu’elle s’effondre est… nulle. Pas plus qu’il ne suffit d’attendre que son caractère antisocial se révèle de lui-même. Le chaos d’une inflation à 200% a suscité une demande d’ordre. Là où la gauche manque de projet désirable, là où la colère populaire ne trouve plus d’organisation, l’extrême droite prospère. L’Argentine, après les réélections de Donald Trump ou de Viktor Orban aux États-Unis et en Hongrie, en donne une démonstration éclatante.

P.P.-V.

ON VOUS RECOMMANDE…

« L’Argentine dans la tourmente : Milei, le grand sauveur ? », sur Arte. Après des années de crise, l’arrivée au pouvoir de l’ultralibéral Javier Milei a plongé l’Argentine dans une ère d’austérité radicale. Entre colère et espoir, cet état des lieux part à la rencontre d’une population divisée pour dresser un premier bilan de l’action du nouveau chef d’État.

C’EST CADEAU 🎁🎁🎁

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