Lettre aux socialistes

La lettre du 15 octobre 📨
par Pablo Pillaud-Vivien
Lettre aux socialistes
On ne va pas se mentir, je suis de gauche mais pas socialiste. Je pense que ce n’est pas un problème pour vous. En tout cas, moi, je vous respecte et c’est pour cela que je vous écris pour comprendre et débattre sur votre choix étonnant de ne pas censurer le gouvernement Lecornu. Il y a tant à débattre. Je me limiterai à deux questions.
- Cette promesse de suspension des retraites mérite-t-elle que ce gouvernement perdure ?
- La crainte de voir le RN arriver au pouvoir à la faveur d’une dissolution sera-t-elle évitée par votre geste politique ?
Je ne fais pas la fine bouche sur l’annonce de la suspension de la réforme des retraites. Encore faut-il qu’elle se concrétise dans les faits… Ce qui n’est vraiment pas acquis. Je n’oublie pas non plus que François Bayrou vous avait fait la promesse que, en échange de votre absence de censure, le débat sur les retraites reviendrait au Parlement, ce qui n’a jamais été le cas. Nous nous sommes tant battus contre cette réforme ; cela fait trop longtemps que nous ne gagnons pas pour ne pas y voir un encouragement aux luttes. Enfin, je sais que des millions de salariés (on parle de plus de 3 millions) gagneraient 3 ou 6 mois de retraite. Ce n’est pas tout ce que nous voulons mais ça nous donne de la force pour continuer. Au passage, il faut aussi mettre un terme à la réforme Touraine. On souhaite bien du plaisir aux candidats qui viendront proposer un allongement de la durée des cotisations et donc une reprise du conflit. Cela aussi nous l’avons gagné pour demain.
Mais comment avez-vous fait pour ne pas entendre que Sébastien Lecornu a promis que son coût serait “compensé”, c‘est-à-dire payé par des économies ? De fait, il prévoit dans son budget une liste incroyable de malfaisances. Un véritable « musée des horreurs » déjà préparé par son prédécesseur. Nous n’avons pas dit que nous voulions partir plus tôt au prix d’une baisse des pensions par le biais de l’année blanche, qui s’appliquera aussi aux prestations sociales. Nous n’avons pas dit que nous acceptions en contrepartie que l’on sacrifie l’écologie avec ses milliards d’investissements qui sont supprimés en particulier pour accompagner les collectivités locales. Nous ne voulons pas que se prépare l’allocation unique regroupant toutes les prestations sociales en un versement qui ne pourra excéder 75% du SMIC comme le premier ministre l’a annoncé hier dans ses réponses à Laurent Wauquiez. Nous n’avons pas dit que nous acceptions que se perpétuent les injustices fiscales, que nous acceptions les déremboursements et les économies à hauteur de 7 milliards dans la santé. Nous n’avons pas dit que nous étions OK pour la Dati-holding qui fragilisera le service public de l’audiovisuel public ? Nous n’avons pas dit que nous validions les projets contre le logement social. J’arrête là la liste. Tout ceci, vous le savez, se prépare. C’est inscrit dans le projet de budget. Vous ne pouvez pas, par votre geste qui prolonge le gouvernement Lecornu, le passer sous silence. Vous me direz sûrement que vous êtes d’accord avec moi pour refuser ces reculs parfois structurels contre la cohésion de notre pays.
Vous annoncez tenir compte de la réalité politique de l’Assemblée. Là, vous m’inquiétez. Voulez-vous nous faire adhérer à une conception de la politique où chacun négocie et, au final, avalise les choix majoritaires ? Cette évolution signifierait la défaite de la politique. Si vous alliez dans cette direction, vous embrasseriez une conception technique de la politique qui fait tant de mal chez nos voisins et qui n’est pas notre histoire. Il est normal que des projets s’expriment et s’opposent. Vous le savez, le macronisme se meurt aussi de cette tentative de tout concilier en niant cette essence de la politique. Cela a créé un trouble immense.
Cela m’amène à mon second point. Vous dites faire un pari risqué pour éviter la dissolution et éviter que le Rassemblement national n’arrive au pouvoir. Ce raisonnement n’est pas absurde : le risque est réel, et personne à gauche ne veut voir l’extrême droite diriger la France. Mais convenez que vos choix dilatoires ne font pas une stratégie : la peur du pire ne fonde pas une espérance. Votre président de groupe, Boris Vallaud, annonce vouloir faire la clarté par le vote. Avec cette composition de l’Assemblée nationale et celle du Sénat, vous le savez, nous le savons, nous perdrons. Installer dans les votes, texte après texte, l’alliance de la droite et de l’extrême droite n’est pas une idée fameuse. La clarté faite, il restera nos défaites et leurs victoires. La clarté, c’est dire encore que nous ne voulons pas d’un futur de malheur, que nous nous opposons au macronisme et que nous proposons un chemin. Pas que nous semons la confusion.
Notre pays tient debout par la politique et par la démocratie : les citoyens arbitrent des choix globaux et ne peuvent être les spectateurs de négociations derrière des portes closes. Soyez un parti et parlez au pays. Battez-vous. Ne paraissez pas craindre le retour aux urnes. C’est délétère.
Il faut construire une alternative à ce cuisant échec qu’est le macronisme. Sinon, le RN a gagné la partie. Cela suppose a minima de ne pas apparaître comme allié ou lié au pouvoir. Et cela suppose que la gauche soit porteuse d’un discours clair. Évidemment, tout le monde ne dit pas la même chose : vous le savez comme moi, la gauche est diverse. Mais ce n’est qu’ensemble que nous pouvons constituer une alternative et une perspective solide face à la force de l’extrême droite française, portée par le trumpisme mondial. Le risque serait de laisser la colère du pays sans horizon. Car cette colère ne s’évapore jamais : elle se transforme. Et si la gauche renonce, elle tombe dans le ressentiment, donc dans les bras de l’extrême droite.
Vous devriez considérer que ce qui nous fracture n’est pas bon. Vous devriez vous souvenir de ce que les électeurs de gauche pensent d’un PS qui ne s’assume pas de gauche. Le cercle de la raison est déjà refermé. La place est prise et n’est pas enviable. Ne courez pas derrière. Pour exister à nouveau, vous n’êtes pas obligés d’enfoncer toute la gauche.
Rappelez-vous de ceux qui vous ont précédés. Souvenez-vous que le courage n’est pas seulement dans la nuance, mais dans le choix. Ceux qui vivent sont ceux qui luttent. Alors luttez.
Pablo Pillaud-Vivien
🔴 PROCES DU JOUR
L’histoire n’a pas besoin d’un procès, le révisionnisme si

Ce jeudi 16 octobre, deux historiennes, Michèle Riot-Sarcey et Natacha Coquery, comparaissent à 14 heures devant le tribunal de Bobigny. Avec le Comité de vigilance face aux usages publics de l’histoire, elles ont qualifié de « révisionnistes » trois auteurs (Jean-Marc Berlière, René Fiévet, Emmanuel de Chambost) d’un livre atténuant la responsabilité de Vichy dans le processus français de la Shoah. Or, si un consensus se dessine depuis les travaux pionniers de l’historien américain Robert Paxton (1973), c’est pour confirmer l’écrasante responsabilité de l’État vichyste, qui ne subit pas la pression de l’occupant allemand, mais qui la sollicite, l’accompagne et parfois l’amplifie. Qui hésite encore à l’admettre peut se plonger dans l’argumentation la plus récente, celle de la magistrale synthèse collective coordonnée par Laurent Joly : Vichy. Histoire d’une dictature 1940-1944 (Tallandier, 2025). Nul besoin d’un procès : un verdict sans appel a déjà été rendu.
R.M.
ON VOUS RECOMMANDE…

Flee, un film d’animation disponible sur la plateforme de France Télévisions. Il suit le parcours d’Amin, un Afghan qui fuit son pays dans les années 1980 pour rejoindre la Suède. Un périple complexe, traversé par des interrogations profondes. Le monde comme il est, terrible et puissant.
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