Le retour de l’identité nationale

par Catherine Tricot

Le premier ministre a ouvert la brèche du débat, les cadors de la droite s’y engouffrent et, une fois de plus, l’extrême droite s’en frotte les mains.

À peine le budget non voté – mais non balayé, donc accepté –, François Bayrou devait s’attaquer à l’Himalaya et ses huit sommets. Et, oh surprise ! le débat qu’il lance est « Qu’est-ce qu’être Français ? » Il y a de la manigance politicienne. Darmanin, Wauquiez, Retailleau et Bayrou se rêvent en héraut des droites et même en futur président. Dans leur compétition interne, ils font comme à chaque fois assaut de propos démagogiques, plus à droite les uns que les autres, dans l’espoir de conquérir le cœur de leur électorat. Sarkozy, Fillon et Pécresse l’ont fait avant eux, avec un succès mitigé. Un électeur de droite répond par la droite aux questions qu’on lui pose… Mais est-il cramponné à cette question de l’identité nationale et à toutes celles que ce sujet emboite pour les prétendants présidents : immigration, sécurité, droit du sol, OQTF ? Ça reste à prouver.

Dans cette course à l’investiture, Bruno Retailleau a un atout majeur : il croit vraiment ce qu’il dit ; il est vraiment habité par une vision conservatrice voire réactionnaire. Les autres prennent des poses variables. Ils perdront donc face à lui. Ces quatre mousquetaires ont en commun de penser que l’enjeu est de battre le RN. En tout cas d’être devant lui et d’occuper l’Élysée. Pour ce faire, leur pari est de reprendre ses thématiques, de les investir totalement. Laurent Fabius affirmant que « le FN pose des bonnes questions mais apporte de mauvaises réponses » passe désormais pour un dangereux wokiste. Non, pour ces messieurs, ce sont les réponses du RN qu’il faut endosser pour lui retirer l’argument. Nicolas Sarkozy l’a pratiqué et il a siphonné (provisoirement) les voix de Jean-Marie Le Pen en 2007. Il s’est fait élire notamment avec sa proposition d’un ministère de l’identité nationale, qui n’a débouché sur strictement rien. Mais pour nos mousquetaires, ce point est secondaire. Donc ils lancent sur des rails épouvantables, dans des chaînes logiques détestables, un débat qui ne peut qu’aggraver les tensions et les divisions dans notre pays. Car tout le monde le sait, François Bayrou ne lance pas un débat neutre de haute volée philosophique. La question vise les musulmans, les arabes, les noirs. Est-ce que, comme d’autres, ce débat va s’étouffer de lui-même ? Non. Il sera repris, amplifié par l’extrême droite, puisqu’il la porte.

« Qu’est-ce qu’être Français ? » Cette question rencontrera probablement de l’écho car elle résonne avec des interrogations intimes et politiques qui nous traversent en ces temps de grand chambardement. La réponse républicaine est de relier étroitement nationalité et citoyenneté. Être Français, c’est être un citoyen à l’égal des autres, de plein droit dans la décision politique. Cela fonde la personne et le pays dans la politique et la démocratie. Depuis la Révolution française, c’est la réponse fondamentale. Mais cela suffit-il ?

La grande historienne du mouvement des femmes, Michelle Perrot, a donné ce week-end un entretien au Monde dans lequel elle rappelle qu’il n’y a pas d’essence féminine ou masculine. Être une femme est aujourd’hui redéfini par ce siècle de luttes et de victoires des femmes. Et désormais, c’est la masculinité qui est en question. Michelle Perrot appelle les hommes, individuellement et collectivement, à se demander ce qu’est « être un homme ». L’identité n’est donc pas fixe.

De son côté, Jean-Luc Mélenchon a mis dans le débat public un concept, celui de « nouvelle France ». Il s’agit pour le leader insoumis d’insister sur les nouvelles réalités qui ont nom urbanisation générale, puissance de la jeunesse éduquée, ampleur des migrations, féminisation à tous les étages, etc. Ces mutations extraordinairement profondes redessinent la France. Il s’agit pour Jean-Luc Mélenchon tout à la fois de penser cette réalité sociale et d’en tirer des conclusions de stratégie politique. Cette réflexion sur la « nouvelle France », tangente assurément la question posée par François Bayrou.

Dans ce débat, l’extrême droite a du vent dans les voiles. Mais la gauche a des idées ⁽¹⁾ et des attraits. Si l’amour et l’ouverture sont moins rassurants, ils sont bien plus charmants et enivrants que le triste repli, la détestation de la différence et le refus de l’autre.

(1) Nous venons de publier sur regards.fr une réflexion de Roger Martelli, auteur de L’identité, c’est la guerre aux Liens qui libèrent.

Catherine Tricot

BACKLASH DU JOUR

Prolétaires de tous les pays, etc.

Amazon commence à fermer ses sept sites au Canada en représailles contre un de ces entrepôts où la majorité des salariés a décidé de créer un syndicat (Outre-Atlantique, la création d’un syndicat est soumis à un accord majoritaire des salariés). Des milliers d’emplois sont supprimés. Jeff Bezos, comme ses amis de la tech américaine (mais pas que), se sent pousser des ailes. La nécessité d’une réponse syndicale face à l’attaque fascistoïde en cours était au cœur de l’intervention de la secrétaire générale de la CGT, Sophie Binet, au congrès de la FSU. Elle souligne le rôle actif du patronat pour installer au pouvoir des forces d’extrême droite, comme c’est en cours en Autriche. Elle appelle à une réponse solide, structurée, internationale, liant les luttes sociales et sociétales. Le maintien de l’intersyndicale depuis deux ans et la vigilance des syndicats français contre l’extrême droite lui donne bon espoir. Alors, à nous aussi.

C.T.

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