LA LETTRE DU 29 AOÛT
La France se droitise-t-elle ?
On entend un peu partout que la France serait « de droite » et donc que son gouvernement devrait l’être aussi. Mais la réalité est bien plus complexe et subtile.
Le politiste Vincent Tiberj publie un des meilleurs livres de sociologie politique qu’il m’ait été donné de lire depuis bien longtemps1. Il ne veut pas s’en tenir à la commode notion de « droitisation » de la France. Ou plutôt, il récuse l’idée qu’elle agirait tout aussi bien « par en bas » que « par en haut ».
Par en bas, les données disponibles suggèrent plutôt une montée tendancielle des valeurs d’ouverture et de tolérance, dont la récente cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques a montré tout autant la force que l’impact populaire. L’acceptation de « l’autre », dans toutes ses dimensions, est plus avancée qu’elle ne l’était il y a encore une vingtaine d’années.
Le problème est que ce processus, inégal, en dents de scie mais attesté, ne s’exprime pas dans l’espace politique et médiatique. C’est au contraire l’extrême droite qui a su imposer ses mots et son calendrier. Une partie de la droite s’est avilie à se placer dans son sillage. Quant au macronisme au pouvoir, enfermé dans sa tour d’ivoire, il a décidé de jouer avec le feu, au nom d’une realpolitik bien mal venue.
Vincent Tiberj, maître avisé des outils d’analyse des opinions, a l’immense mérite de nous montrer qu’il n’y a nulle fatalité dans ce décalage du « bas » et du « haut ». Mais encore faut-il pousser jusqu’au bout le décryptage du mystère ultime. Pourquoi, alors que les valeurs humanistes progressent, est-ce que ce sont les valeurs contraires qui prévalent dans le champ politique ? Pourquoi les mobilisations électorales se font-elles au bénéfice d’une droite droitisée et pas de la gauche, même rassemblée ?
Il ne suffira pas alors d’incriminer les méchants de l’autre camp, les cyniques de l’entre-deux ou les tièdes du côté gauche. Le problème est du côté de la gauche dans sa globalité, de ce qu’elle est, de ce qu’elle a fait, de la manière dont elle fonctionne et de sa capacité à se renouveler sans se renier. L’extrême droite a hélas su le faire ; pourquoi pas la gauche ?
Au fond, les récentes législatives nous donnent bien l’image d’une réalité à double face : le premier tour a illustré une fois de plus la prégnance accrue des valeurs de fermeture dans l’espace politique, mais le second a montré qu’une majorité n’entendait pas qu’elles deviennent officiellement l’ossature des pouvoirs institués.
Il reste donc à faire, d’un projet fondé sur l’ouverture et la tolérance, la base légitime des majorités à venir. La gauche n’y est pas parvenue à ce jour. Qu’elle surmonte ses propres limites pour atteindre cet objectif est donc désormais un enjeu crucial. La crise politique est trop profonde pour qu’elle se permette de contourner la tâche du renouveau.
Roger Martelli
HONTE DU JOUR
2000 enfants dorment à la rue
Nouveau rapport, nouvelle honte absolue pour la France. Ce 29 août, Unicef France et la Fédération des acteurs de la solidarité déplore qu’en France, 2000 enfants (dont 467 âgés de moins de 3 ans) dorment à la rue. Une situation qui « empire d’année en année ». « La première bataille, c’est de loger tout le monde dignement. Je ne veux plus, d’ici la fin de l’année, avoir des femmes et des hommes dans les rues, dans les bois ou perdus. » L’année en question, c’est 2017, et ces mots sont alors prononcé par le tout juste élu Président Macron. Sept ans plus tard, ce même Président a fait évacuer Paris de ses SDF à l’occasion des Jeux olympiques. Une opération nettoyage sans la moindre dignité. Au moins est-il cohérent dans ses abjections.
L.L.C.
ON VOUS RECOMMANDE
L’édito politique de France Inter. Patrick Cohen pose les bons mots et les bonnes questions sur la mort du gendarme Éric Comyn à Mougins et le discours qu’a tenu sa compagne par la suite. « Considérer » et « respecter » la sincérité et la souffrance d’une veuve. Et ne pas laisser un silence de plomb face aux récupérations crasses de la droite et de l’extrême droite. C’est bien ce silence-là que dénonce Patrick Cohen. Puis l’éditorialiste avance le problème de la non-application des peines, bien plus dissuasives selon lui que leur dureté (encore moins leur aggravation). « La vengeance et la violence n’ont pas de valeur dissuasive », conclut-il.
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- Vincent Tiberj, La droitisation française : mythe et réalités, PUF, à paraître le 4 septembre ↩︎