IA : on n’a pas de pétrole mais on a des idées
![unnamed-3 unnamed-3](https://regards.fr/wp-content/uploads/2025/02/unnamed-3-1024x576.jpg)
Le jour de son intronisation, Donald Trump a crânement avancé son plan pour l’intelligence artificielle. De quoi décontenancer les concurrents, notamment européens, qui se voient complètement dépassés tant l’ordre de grandeur paraît hors de portée.
Le président américain frappe fort. Il entend écraser toutes velléités de développement de l’IA hors des États Unis, à commencer par la Chine et l’Europe. Pour marquer les esprits, les tétaniser, il annonce mettre sur la table 500 milliards, renforce les intrications du public et du privé et réunit trois opérateurs majeurs nationaux, privés. OpenAI, Oracle et SoftBank formeront désormais une nouvelle entreprise, baptisée Stargate, destinée à investir massivement dans la construction de nouveaux data centers, ces lieux de stockages et de traitements de données informatiques. 10 projets sont d’ores et déjà lancés au Texas.
TOUS LES JOURS, RETROUVEZ L’ESSENTIEL DE L’ACTU POLITIQUE DANS NOTRE NEWSLETTER
Cette annonce intègre les promesses d’investissements du gouvernement saoudien sur le territoire américain : près de 600 milliards sur 4 ans dont une partie pour le développement des technologies liées et l’IA. Le premier ministre Mohammed Ben Salman est, à titre personnel, l’un des plus gros investisseur de SoftBank. OpenAI est largement soutenu par des fonds saoudiens et Oracle est l’opérateur choisi par Riyad pour construire un campus de l’IA dans le royaume. Bref, tout cela ne fleure pas très bon la démocratie.
L’objectif de Trump est simple : décupler les capacités de calculs pour assurer la puissance américaine. Il accélère les autorisations de constructions de data centers qui nécessiteront le bétonnage de milliers d’hectares. Mais il entend aussi permettre à ces usines de données, particulièrement gourmandes en énergie, de bénéficier de leur propre fournisseur d’électricité. Sont donc à l’étude les constructions d’usines nucléaires dédiées.
Pour Trump, il ne s’agit pas de miser prioritairement sur la recherche et le développement – qu’ils soient publics ou privés. L’accent est mis sur le déploiement horizontal, la construction de bâtiments plutôt que sur l’intelligence collective. Cela devrait contribuer logiquement à une accélération de la production en IA : en principe, dotez-vous d’une machine qui traite deux fois plus de données, vous cramerez deux fois plus d’électricité, mais votre IA sera deux fois plus capable. Est-ce vraiment le cas ?
Voici une autre perspective : à la fin du XVIIIe siècle, on demande au petit Gauss de calculer la somme des entiers de 1 à 100 : 1 + 2 + … + 100. Posez la question à Trump et sa clique, ils sortiront leur iPhone et taperont à toute vitesse la somme sur leur calculatrice. A toute vitesse, mais laborieusement, après 5 minutes et une dizaine d’essais ratés, ils diront « 5050 ! » Gauss, de son côté a mis moins d’une minute. Et sans renfort de sa machine. La magie ? Son cerveau a reconnu un schéma fort : couplez le premier et le dernier nombre 1 + 100 = 101, le deuxième et le l’avant dernier 2 + 99 = 101. Répétez cette opération 49 fois et le tour est joué !
Devant l’émergence d’une technologie prometteuse, la solution américaine est de construire des data centers, c’est-à-dire de se doter d’outils pour calculer coûte-que-coûte – un peu comme des bourrins. Pourtant, il existe d’autres solutions, qui prennent en considération le coût écologique, énergétique et humain. L’alternative est donc de comprendre de façon la plus intelligente possible la structure du problème pour le résoudre rapidement et de n’utiliser uniquement quand il le faut, la puissance de calcul, conscient qu’elle a un double coût : aggraver le problème climatique et réduire l’intelligence humaine.
Au fond, c’est un peu la stratégie des Chinois avec leur spectaculaire IA DeepSeek. Suite aux restrictions américaines sur les processeurs de haute technologie, ils ne pouvaient accéder à une puissance de calcul qui leur aurait permis de concurrencer les Etats-Unis. Ils ont donc développé une IA à coût de calcul réduit. Inspirant. S’ils s’étaient appuyés sur les mégaprocesseurs d’aujourd’hui, les mathématiciens du XXe siècle n’auraient sûrement pas déployé toute l’intelligence qui force, aujourd’hui encore, le respect.
Il est encore possible, pour l’Europe et les autres continents, de ne pas se laisser distancer puis vassaliser sur les enjeux numériques par les Etats-Unis. Mieux : il est même possible de les dépasser en prônant des modèles alternatifs de pensée scientifique. Et ce, sous l’impulsion d’impératifs démocratiques et écologiques qui doivent être les nôtres. C’est la perspective portée par le mathématicien Loucas Pillaud-Vivien : « Réfléchir sous contrainte, composer avec la frugalité, c’est se permettre d’améliorer les systèmes en les comprenant. Mais pour ça, il faut se donner les moyens de l’intelligence. »