Fin de vie : l’éthique au défi du fric

Cette semaine, les députés se penchent sur deux textes de loi : les soins palliatifs et l’aide à mourir. Un débat sensible qui ne peut souffrir d’une approche naïve.
Parler de la mort, dans notre société, reste difficile. Pourtant, au fil des batailles féministes pour la liberté du corps et de la procréation, après la place nouvelle acquise par les malades lors du combat contre le sida, une revendication fondamentale est née : la maîtrise de son corps, de sa vie… et désormais, de sa mort. Le débat sur la loi s’inscrit dans ce moment politique et culturel où la question du consentement, de la souveraineté individuelle, de la dignité, s’impose face aux logiques tutélaires du passé, notamment religieuse.
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La loi en discussion soulève une question à la fois intime et profondément politique : qui a le droit de décider du terme de notre vie ? Jadis, c’était Dieu. Seul l’État avait ce pouvoir jusqu’à l’abolition de la peine de mort. La société moderne se construit sur un impératif de protection de la vie. Mais que se passe-t-il quand c’est la personne elle-même qui demande à mourir ? Et pas dans une pulsion de détresse passagère, mais dans une lucidité tragique, une conscience aigüe du point de non-retour ?
Depuis la loi Léonetti, en 2005, et sa version « améliorée » en 2016, la société française a déjà reconnu qu’on ne pouvait imposer la souffrance ou l’acharnement thérapeutique. La sédation profonde et continue existe. Mais la demande d’aide active à mourir continue d’exister, portée par des malades, des familles, des soignants. Il s’agit d’écouter cette demande, de lui donner une existence juridique, et de la protéger.
Créer un nouveau droit à mourir ne peut se faire en ignorant les limites de notre époque. Cela implique d’articuler humanité, justice sociale et respect des consciences. D’abord, faire place aux malades, aux personnes en fin de vie. Trop souvent, dans un monde qui se déshumanise, tant de vies sont déjà considérées comme « en trop ». Il faut garantir que ce droit à mourir ne devienne pas une incitation sociale à ne plus être une charge. Il s’agit de redonner du pouvoir, non de pousser vers la sortie.
Une société dans laquelle la vie coûte trop cher est une société malade. L’aide à mourir ne doit jamais être une variable d’ajustement budgétaire, une solution « efficace » pour soulager les carences hospitalières ou les familles en détresse.
Ensuite, il faut se prémunir contre une logique comptable de la mort. Une société dans laquelle la vie coûte trop cher est une société malade. L’aide à mourir ne doit jamais être une variable d’ajustement budgétaire, une solution « efficace » pour soulager les carences hospitalières ou les familles en détresse.
Enfin, la place du corps médical doit être respectée. Les soignants ne peuvent être réduits à des agents d’exécution. Leur rôle est d’accompagner, d’écouter, de soulager — pas de se substituer à la volonté politique. L’objection de conscience des soignants doit être protégée.
Le défi de cette loi est là : faire du droit à mourir un acte de liberté, et non un signe d’abandon. Ce n’est pas un luxe que demandent des malades : c’est un choix de dignité. Face à la souffrance, à la déchéance annoncée, au sentiment d’avoir déjà tout perdu, ils demandent que la République les reconnaisse jusqu’au bout comme sujets de droit, non comme objets de soin.
Il ne s’agit pas de banaliser la mort, ni d’ouvrir une porte vers les dérives eugénistes ou utilitaristes. Les associations de personnes handicapées le rappellent vivement. Il s’agit, au contraire, de prendre la mesure de ce que notre époque nous dit : que la vie n’a de sens que si elle est choisie, et que la mort, parfois, peut l’être aussi. Faire une loi sur la fin de vie, c’est redonner à la liberté, à l’égalité, à la fraternité, leur sens le plus profond — jusqu’au dernier souffle. Mais en sommes-nous, dans le moment, capables ?