Bonne Nuit ou l’imagination des drama-clowns au pouvoir

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Jeudi 8 août, sur la côte vendéenne, on est allé au concert du groupe Bonne Nuit. Parce que la gauche, ça passe aussi par l’électro-pop !

Il est près de 20h30 sur la plage du Corps de Garde, à La Tranche-sur-Mer (85, Vendée), le jour décline lentement et l’océan entame sa redescente. Une petite foule de vacancier.e.s et de locaux.ales s’est rassemblée en cette dernière fête estivale de la case d’Elo et l’atmosphère est bon enfant. Ce cabanon tient lieu d’unique restaurant à des dizaines de dunes à la ronde, et ses gérant.e.s Élodie et Pablo ont décidé, au bout de dix ans, d’en céder la concession. Juché.e.s pour l’occasion sur le parvis qui leur fait office de scène-radeau, les musicien.ne.s du groupe Bonne Nuit ont déjà commencé à semer leur doux désordre électro-pop, en forme de berceuses décadentes, de slogans fardés, de blagues grandiloquentes.

Il y a évidemment Théodore, le chanteur-parolier et guitariste magnétique, bien accroché dans ses baskets et qui ne perd jamais le flow même s’il semble à chaque instant nous partager toute son énergie vitale. Il se balançe dangereusement sur les enceintes, fait l’amour fou à sa guitare, et découpe des nausées sombres-tendres de sa voix qui traîne sans trembler :

« La vie est belle
La vie est belle
Quand on fait le choix
La vie est belle la vie est belle
De ne pas regarder en bas »

« Zéro virgule zéro un pour cent
Des gens
Détiennent
Quarante-trois pour cent »

Entre deux chansons, ou entre deux refrains, cet ange blond au sourire contagieux invente des sketchs avec les autres musicien.ne.s, célèbre les gérant.e.s de la case d’Elo, ou annonce avec fracas, l’arrivée imminente de son oncle, qui ne s’avérerait être ni plus ni moins que le célèbre DJ Laurent Garnier. Aussi, Étienne, le compositeur aux manettes, doux ours endimanché, n’est pas en reste. Quand il n’est en pas en train d’ambiancer tout le public avec ses beats accrocheurs, il dégaine son accordéon électronique à toute vitesse et pianote frénétiquement tandis que tout son corps s’ébroue en spasmes et en grimaces. Ensemble, ces deux drama-clowns dévorés nous déversent leurs militances sensuelles sur fond d’harmonies savoureuses, et il ne fait pas encore nuit, mais on se met tous.tes progressivement debout. 

« Morts aux riches
Morts aux riches »

« Café clope caca
Café clope caca
Café clope Caca
Café clope caca
Café clope caca
Café clope Caca
Café clope caca
Café clope caca »

« Il n’y a plus de dessert
Il n’y a plus de beurre
Dans mon réfrigérateur
Il n’y a plus de dessert
Il n’y a plus de beurre
Dans mon réfrigérateur »

Ce soir-là, en découvrant ce duo de jeunes vendéens bien enragés, accompagnés pour l’occasion par trois autre musicien.ne.s – à la basse, Adèle Vernet, au synthé, Rose Conan, et à la batterie, Louis Bonnin –, je ressens toute de suite l’ironie de Salut c’est cool, en beaucoup moins hipster, les provocations drôlatiques de Philippe Katerine, en plus rock, et  l’envoûtement de La Femme, en plus décontracté. Aussi, c’est indéniable, dans ce cadre intimiste, une générosité infinie déborde de cette performance musicale, quelque part entre leurs poèmes décalés, leurs interprétations hyper-emphatiques, et les interactions continuelles avec les spectateur.ice.s, dont une partie connaît les paroles par cœur. Autour de moi, des parents, enfants et groupe d’ami.e.s plus ou moins jeunes sont enchanté.e.s : certains dansent, d’autres pic-niquent tranquillement… Trois jeunes femmes me racontent que Théodore était surveillant dans leur lycée et qu’à l’époque, il faisait déjà des concerts dans la cour. À un moment, Théodore annonce qu’il va y avoir une pause, suivie d’un deuxième set : « Et désolé par avance, on reprendra plusieurs chansons car on en a pas encore écrites assez ! »

En backstage, Théodore Barbarit, 25 ans, le causeur sympathique venu de Treize-Vents, et Étienne Coutand, 23 ans, le philosophe tranquille originaire de Saint-Laurent-sur-Sèvres, vivent à Paris et se réunissent presque trois à quatre jours par semaine à s’occuper de leur groupe. Ils ont commencer à imaginer Bonne Nuit, il y a deux ans, après une première expérience avec Origine Club, dont les autres membres se sont éloigné.e.s. Intermittents tous.tes les deux, grâce à leurs nombreuses dates – dont plus de la moitié en Vendée, dans des petites villes, sur des places de villages, dans des campings, des hôpitaux, et le reste à Paris et dans d’autres villes de France –, ils ont des parcours complémentaires. Lorsque je les ai rencontrés le lendemain, la conversation a porté en grande partie sur leurs convictions. Tous.tes deux sont musiciens autodidactes et bien décidés à agir. Parallèlement à ses études en droit de l’environnement, et puis en gestion de projets musicaux, Théodore a créé un parti écologique : Vendéécologie. Trois candidat.e.s se sont présenté.e.s lors des élections législatives de 2022 et les meetings ont pris des airs de performances théâtrales, mais aucun.e n’a été élu.e. Sur son Instagram, il se présente comme troubadour, testeur de micro et politicien écolo-loser, et publie alternativement des vidéos de concerts et des posts partisans. Étienne, lui, a étudié l’ergothérapie et, s’il ne fait pas de politique politicienne, se considère très à gauche. 

Aussi, l’engagement en faveur d’une autre Vendée est au centre de leur projet musical. « Enfin, c’est pas vraiment un projet, c’est plutôt l’art et la vie réuni.e.s », explique Théodore. Leurs grands-parents étaient agriculteur.ice.s, le père d’Étienne l’est aussi, et s’ils souhaitent percer dans la musique, c’est avant tout pour diffuser leurs idées au plus grand nombre. Colportant partout où ils vont leur désir de changement, ils ont pu parfois sentir de l’animosité pendant leurs concerts, dans des villes où l’extrême droite monte, et ont été déprogrammés à plusieurs reprises. Une fois, à Mauleon, on a carrément débranché leur système son. Ils rêvent de suivre la voie de Philippe Katerine, cet artiste vendéen qu’ils admirent. « Je sens qu’on arrive de plus en plus à faire ce que l’on veut », dit Théodore avant de rapporter qu’un producteur a estimé qu’ils faisaient de la musique populaire de qualité. « Je ne sais pas si c’était un compliment venant de sa part, mais nous c’est exactement cela qu’on veut faire. Pour nous, même si on réussit, la médiation c’est important, on souhaite jouer de plus en plus dans des écoles, des maisons de retraites, pour des publics empêchés. Faire de la thune c’est vraiment pas ce qui nous intéresse », dit-il. « C’est écœurant même », ajoute Étienne. 

Quand je leur demande quels sont les fantômes qui les habitent lorsqu’ils sont sur scène, Étienne explique qu’il adore être dans son personnage et Théodore confirme : « Oui, ton personnage il est un peu bestial, et moi c’est plutôt un hyper-moi, c’est moi dans l’extravagance, j’ai confiance, car je n’ai pas peur du ridicule. Le meilleur état, c’est quand on est là, ancrés dans le présent. Et puis nous on fait vraiment tout ça pour le live. Pour l’instant, le plus souvent, on n’est que deux, mais dès qu’on peut, on s’entoure d’autres musicien.ne.s et là on peut vraiment improviser. Et c’est peut-être pas la meilleure façon de faire la musique parfaitement, mais pour nous c’est un grand bonheur et je sens que c’est un bonheur partagé avec les gens. Nous ce qu’on essaie de faire, c’est de faire de la musique populaire, sans prendre les gens pour des cons. Quand on dit, mort aux riches, ce qu’on veut dire c’est que ce qui nous révolte, ce sont les inégalités croissantes qui rongent notre société de l’intérieur. »

 Le concert reprend au crépuscule. Tout le public saute sur le sable. Il n’y a pas même besoin de retirer des pavés, la plage est déjà là, et on chante tous.tes très forts, des mots d’ordres bouffons et des mélodrames en forme de rêves éveillé.e.s. 

« Café clope caca
Café clope caca
Café clope Caca »

« Tu as plongé tes yeux dans ceux du type aux yeux noirs
Résigné dévoré
Touché coulé
Mes yeux marrons laissent échapper
Les larmes que j’ai pas pu pleurer »

À un moment, Laurent Garnier monte sur scène ! Incroyable, je le vois à peine, mais je crois bien le reconnaître… Enfin non, je ne suis pas sûre… Gros gag ! Et puis bientôt, Élo et Pablo, enlacé.e.s, sont là aussi, ils se déhanchent en plein milieu de la scène, en se refilant un chapeau à paillettes. Tout à coup, Théodore s’agrippe aux piliers de la cabane et monte sur le toit. Entre temps, il s’est changé, il a quitté sa tenue de ménestrel 2.0 et il a essayé d’enfiler un haut résille. Raté, ça le serre, mais on s’en fout complètement : de là haut, micro en main, la tête dans les premières étoiles, il chante « Emma, Emma, Nuel, Emma, Nuel », une belle chanson d’amour et qui se termine tout à coup très mal : « Ta gueule ! » Et d’enchaîner, en hackant juste un petit peu pour l’occasion la chanson de Bérurier Noir : « La jeunesse emmerde le Front national ! La jeunesse adore la case d’Elo ! La jeune emmerde le Front national ! La jeunesse adore la case d’Elo ! » Et puis il saute du toit, tadammm, au beau milieu du foule désormais très en liesse, et très aimante. Pendant ce temps, Étienne se maintient sur le radeau, enfin pas tout à fait, il revient tout juste d’un bain de foule de minuit, et on dirait que son accordéon va s’embraser, et tous.tes les autres musicien.ne.s avec lui. J’échange quelques mots avec le faux Laurent Garnier, qui me raconte que lors d’un concert, son neveu a sauté d’un lampadaire et s’est cassé le bras : « Il a pas peur ! »

Dans cette région où le RN (parfois soutenu par Les Républicains) a fait 37,9% aux législatives, cette nuit est décidément vraiment bonne, elle est autre même. Car soudain, nous aussi on a moins peur, et on y croit tout à coup, que la Case d’Elo, cette cabane qui fait face aux tempêtes, est le refuge contre tous.tes les con.ne.s, et que le Front Populaire gagnera la présidence en 2027. Et à partir de là, je ne me souviens plus de ce qu’il s’est passé, sauf qu’on a encore et encore chanté et rebondi, presque à l’unisson. Et que des specteur.trice.s ont réclamé une chanson, encore et encore, et que Théodore a fini par la chanter, mais qu’il ne se souvenait plus des paroles et qu’il a dû en inventer des nouvelles. Et qu’elles étaient exquises. Bonne Nuit, on en re-veut encore, du dessert, et d’autres chansons de vous, de celles qui nous susurrent qu’on a le droit, et même le devoir, de continuer à rêver !


Bonne nuit sortira son prochain single courant novembre

Dates à venir :
30 août, Les Sables d’Olonne, Le Bronx
07 septembre, Les Insomnies Festival (85)
13 septembre, Perros-Guirec, Café Breton
21 septembre, Festival des Boucaniers (85)
4 octobre, Bressure, La minute blonde
11 octobre, Les sables d’Olonne, Le Bronx
18 janvier, Paris, La Boule Noire

plus d’infos : https://linktr.ee/bonnenuitmusique

crédit photos : Sid Jordan

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